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Ciments Hoffmann : l'insatiable ambition de Julien Blanchard
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Ciments Hoffmann : l'insatiable ambition de Julien Blanchard

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Entrepreneur dès l’âge de 25 ans, Julien Blanchard est aujourd’hui à la tête de trois sociétés. Sa dernière-née, Hoffmann Green Cement Technologies, mise sur une innovation de rupture. Après avoir levé 10 millions d’euros pour créer une usine test, le dirigeant vient de rassembler 74 millions d’euros en Bourse pour multiplier sa production par dix. Portrait de cet entrepreneur à l’ambition dévorante.

Julien Blanchard, président d'Hoffmann Green Cement Technologies, vient de signer la plus grosse levée de fonds de ces quinze dernières années sur le marché Euronext Growth Paris — Photo : Hoffmann Green Cement Technologies

Inconnu il y a encore quelques mois, Julien Blanchard n’en finit plus de faire parler de lui. Ce trentenaire d’un calme olympien, aussi ambitieux que discret, vient en effet de signer la plus grosse levée de fonds de ces quinze dernières années sur le marché Euronext Growth Paris. Sans tambour, ni trompette, ce grand gaillard aux yeux bleus perçants, toujours vêtu d’une chemise et d’une veste de costume, est en train de révolutionner le marché du BTP avec son innovation de rupture : un substitut au ciment qui rejette quatre fois moins de CO² qu’un ciment classique.

Dès 2016, l’entrepreneur recevait la visite d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie. En 2018, il réussissait à lever 10 millions d’euros pour créer sa première usine-test Hoffmann Green Cement Technologies, à Bournezeau, en Vendée. Et quelques mois plus tard, il annonçait son introduction en Bourse et une levée de fonds record de 74 millions d’euros grâce au soutien des acteurs les plus puissants de la construction comme Bouygues, Eiffage et les grands noms du BTP vendéens tels que Cougnaud.

Alors qui est cet entrepreneur, niché au beau milieu de la campagne vendéenne, capable de déplacer des montagnes ? L’histoire commence il y a cinq ans. Julien Blanchard est à la tête de deux sociétés : l’entreprise Gillaizeau, fabricante de carreaux, tuiles, plaquettes et briques en terre cuite, qu’il a reprise à l’âge de 25 ans, et Argilus, qui conçoit des enduits naturels intérieurs et extérieurs à base d’argile. C’est cette seconde entreprise, spécialisée dans l’écoconstruction, qui suscite un jour l’intérêt de David Hoffmann, futur associé de Julien Blanchard. Cet ingénieur chimiste dans un grand groupe travaille à ce moment-là sur un substitut au ciment et cherche à s’associer à un entrepreneur pour lancer son innovation. Il contacte alors le dirigeant vendéen qui « ne réfléchit pas longtemps avant d’accepter. »

Un « cavalier habitué des sauts d’obstacles »

Julien Blanchard, président d'Hoffmann Green Cement Technologies — Photo : Jéromine Doux

Pour Guy Blanchard, le père de Julien, c’est la force de ce tandem qui fait la réussite des Ciments Hoffmann. « David est un homme de l’ombre, c’est un scientifique. Mais sans lui, la société n’existerait pas. Il y a une estime réciproque entre les deux hommes, l’un ne va pas sans l’autre. » Car si David Hoffmann est à l’initiative de l’innovation, Julien Blanchard s’est battu pour la faire exister. « À l’origine, Julien est un cavalier, habitué des sauts d’obstacles. Il est très exigeant avec lui mais aussi avec les autres. Et il n’est pas très patient », décrit son père.

Un défaut qui peut être un atout. Car après trois ans de recherche et développement, les dirigeants ont dû accélérer pour passer à l’industrialisation. Une phase complexe et fascinante pour le dirigeant vendéen, qui admire les entrepreneurs tel que Steve Jobs ou Elon Musk. « Je suis impressionné par les pionniers, les bâtisseurs, confie-t-il. Ceux qui ont créé des innovations de rupture et ont su passer du laboratoire à l’usine. »

Cette première étape a également été franchie avec succès par Les Ciments Hoffmann qui disposent d’une usine d’une capacité de 50 000 tonnes depuis fin 2018. L’idée est désormais de faire passer la production à 550 000 tonnes de ciment à l’horizon 2024, grâce à deux nouvelles usines, situées en Île-de-France et à Bournezeau. Une ambition qui a motivé l’entrée en Bourse de la société. « Cette opération nous permet de nous doter des moyens financiers suffisants pour développer nos capacités industrielles. Et cela donne plus de visibilité à l’entreprise », précise celui qui envisage de réaliser un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros dans les quatre ans à venir, soit 3 % des parts du marché français.

150 000 tonnes de ciment commandées

« L’industrie du ciment pèse 18 millions de tonnes en France, poursuit le dirigeant, qui ne compte aujourd’hui que 13 salariés et ne communique pas son chiffre d’affaires. Nous voulons aller vite pour répondre à la demande de nos clients, nous avons déjà 150 000 tonnes de ciment commandées, soit trois fois la capacité de production de notre usine actuelle. Et nous souhaitons conserver notre avance technologique. Le fait de se déployer rapidement est une sécurité pour nous. » Pour le moment, Les Ciments Hoffmann sont les seuls à détenir cette innovation de rupture. Et le dirigeant ne veut surtout pas perdre cette avance.

« Julien est un acharné du travail, confie son ami de longue date Franck Grelier. Je ne connais personne avec une telle ambition. Pour lui, il n’est qu’en bas de la montagne. Et même s’il devient le plus grand cimentier du monde, je ne suis pas sûr que ça lui suffise. » Une détermination confirmée par l’entrepreneur. « Je n’ai pas pris de week-end depuis des années mais ça ne me dérange pas, je suis content de venir travailler, lance-t-il. Je n’ai pas de loisirs. Je suis passionné par ce que je fais. » Sans enfant, Julien Blanchard laisse peu de place à sa vie privée. Selon son père, il s’accorde deux heures pour aller courir le dimanche matin et passe le reste de son temps devant son bureau, jusqu’à 22 h 30. « Il ne déjeune pas le midi, à part quand il est avec des clients, il dîne à peine le soir, il ne dort pas beaucoup. Il n’a pas une vie très équilibrée et il ne sait pas s’arrêter », s’inquiète Guy Blanchard.

Un marché dominé par quelques acteurs très puissants

A gauche Julien Blanchard présente son entreprise à Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, en déplacement en Vendée en août 2016. — Photo : JDE

Car l’entrepreneur « n’a pas le temps. » Il a un défi de taille à relever. Le marché du ciment est dominé par quelques gros acteurs, très puissants. Comme le groupe Lafarge, le leader mondial qui a fusionné avec le géant Suisse Holcim en 2014 ainsi que les Ciments Calcia, Vicat ou Eqiom, qui comptent, chacun, entre 7 et 10 unités de production dans l’Hexagone. Pas facile donc, de s’imposer sur le marché.

Mais Julien Blanchard peut compter sur les grands noms de la construction pour se faire une place. Ce sont d’ailleurs ces spécialistes qui lui ont permis de lever les fonds espérés pour se développer. « Nous sommes les deux principaux actionnaires avec David Hoffmann mais juste derrière, on trouve les groupes Cougnaud et Briand. » Deux acteurs vendéens respectivement spécialistes de la construction modulaire et de la construction métallique, bois ou béton. LG Béton, à La Flocellière, Soriba, à Challans mais aussi Edycem, la branche béton du groupe Herige, à L’Herbergement, sont les autres acteurs du département qui soutiennent le projet et se sont engagés à acheter un certain volume de ciment.

La société est également soutenue au-delà des frontières vendéennes, par les plus grands acteurs français du BTP. Bouygues et Eiffage ont notamment signé un contrat de collaboration avec la jeune société, tout comme Terreal, Saint-Gobain ou le Groupe Chavigny. « Le PDG de Bouygues Construction qui signe notre contrat en personne, ça fait forcément quelque chose, confie Julien Blanchard. Le fait que tous ces grands acteurs de la construction nous rejoignent, c’est une marque de confiance. Cela nous apporte beaucoup de crédibilité et nous fait gagner du temps. »

Une nouvelle réglementation environnementale

Selon l’entrepreneur, cet engouement de la part des acteurs du département s’explique notamment par « l’esprit vendéen, qui fait que l’on aide les jeunes pousses à grandir ». Mais le dirigeant sait aussi que la nouvelle réglementation environnementale pousse les spécialistes de la construction à s’intéresser de près à ses produits. En 2020, la France souhaite en effet mettre en place de nouveaux standards environnementaux en matière de construction afin de généraliser les bâtiments à énergie positive et de diminuer l’empreinte carbone du BTP, qui est l’un des secteurs les plus émetteurs de CO². Certaines villes se penchent d’ailleurs sérieusement sur la question et incitent les acteurs du bâtiment à trouver des solutions. C’est le cas de Nantes, qui prévoit de créer un quartier « précurseur de la transition écologique » grâce à un faible impact carbone. 3 300 logements devraient voir le jour entre les secteurs de Pirmil et Basse Île à l’horizon 2 030. « Notre solution permet une émission de CO² identique à celle du bois, c’est ce qui intéresse beaucoup les acteurs de la construction », poursuit Julien Blanchard.

Une tendance qui devrait l’aider à bousculer le marché, en toute humilité. « L’orgueil n’atteint pas Julien, il ne va jamais se vanter », assure son ami Franck Grelier, « admiratif », qui travaille comme agriculteur à Chaillé-sous-les-Ormeaux, à proximité des sociétés Gillaizeau et Argilus. Car l’entrepreneur estime se « remettre en cause tout le temps pour continuer à être performant. »

« Mes trois fils sont des entrepreneurs nés »

Pour son père, Julien Blanchard a l’entrepreneuriat dans le sang. Et il semblerait que ce soit de famille. « En tant qu’avocat, j’ai créé deux structures, je me suis associé puis nous avons employé jusqu’à une dizaine de collaborateurs », raconte Guy Blanchard, qui a élevé ses trois enfants aux côtés de sa femme, mère au foyer, à Bressuire, dans les Deux-Sèvres. « Mes trois fils sont des entrepreneurs nés, poursuit-il. Julien est le cadet, mon deuxième garçon a deux entreprises à La Roche-sur-Yon, dans l’emballage bois, carton et le premier détient une écurie. »

Comme ses frères, le cadet a donc choisi rapidement la voie de l’entrepreneuriat. « J’ai fait une école de commerce française et américaine, l’American Business School », confie Julien Blanchard. Un cursus qui lui a permis d’étudier au Canada puis aux États-Unis. Puis en rentrant dans les Deux-Sèvres, le jeune diplômé a commencé à rénover des maisons avant de faire l’acquisition de sa première société, Gillaizeau, alors qu’il n’avait que 25 ans. « Je me fournissais en briques dans cette entreprise. Un jour, le propriétaire m’a dit qu’il voulait vendre. Ça m’a intéressé. Je n’ai pas réfléchi très longtemps et je l’ai rachetée », explique-t-il, gêné lorsqu’on aborde son parcours. L’entrepreneur de 39 ans semble plus à l’aise avec l’avenir.

Lorsque ses deux nouvelles usines Hoffmann seront sorties de terre, le dirigeant envisage d’implanter sa société à l’international. En privilégiant les zones géographiques permettant de dupliquer le modèle développé en France. Dans le même temps, le cimentier espère développer de nouvelles technologies dans le domaine des ciments. Toujours avec le même objectif : conserver son avance technologique.

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