Les villes intelligentes s'inventent aussi à Rennes
Enquête # Collectivités territoriales

Les villes intelligentes s'inventent aussi à Rennes

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La ville intelligente, ou « smart city », ce n’est pas pour demain : c’est déjà maintenant ! Et ce n’est pas réservé qu’aux grands centres urbains. De petites ou moyennes communes profitent déjà de technologies inventées à Rennes et dans sa périphérie. Transport, énergie, communication, gestion… tout peut devenir connecté.

Wi6Labs et Alkante travaillent ensemble à la création d'objets connectés — Photo : © Wi6Labs / Alkante

La « smart city » est partout. Au programme des tables rondes et conférences économiques, sur les réseaux sociaux, dans les médias… On en parle beaucoup, mais concrètement, où peut-on les voir et qui les invente ? « Une smart city, c’est une ville économe, communicante et participative, qui intègre ses citoyens, tente de définir François Leprince, fondateur et dirigeant d’Alkante (3 M€ de chiffre d’affaires, 40 salariés), à Noyal-sur-Vilaine. Elle dispose de systèmes de supervision et de systèmes connectés ». Des projets la mettant en œuvre fleurissent ainsi un peu partout dans le monde, à commencer par la région rennaise. Des villes se disent « smart » et des entreprises les accompagnent.

Saint-Sulpice-la-Forêt, terrain de jeu de Wi6Labs et Alkante

Il y a trois ans, la plus petite « smart city » du monde voyait le jour à Saint-Sulpice-la-Forêt, au nord de Rennes. En effet, quoi de mieux pour une entreprise que d’expérimenter ses produits innovants sur son propre territoire ?

Deux acteurs rennais de l’Internet des objets s’étaient mis à travailler ensemble pour tester, grandeur nature, leurs éléments dédiés à la ville intelligente. Wi6Labs (pour les capteurs et la solution), qui se dit « plombier de l’IoT », et Alkante (pour l’hébergement des données et leur analyse). Des capteurs (fabriqués par l’entreprise bretillienne Kerlink) ont donc été installés sur six bâtiments communaux (école, salle polyvalente…) pour mesurer en temps réel les consommations d’électricité, d’eau, de gaz, mais aussi relever la température et le niveau sonore. Deux antennes relais transmettent ensuite les données vers une interface, grâce à la technologie LoRa.

Les essais sont concluants : l’objectif de 20 % d’économies d’énergies est atteint. Quand on sait que 76 % des dépenses énergétiques de collectivités sont liées à l’utilisation des bâtiments publics, voilà la preuve que la smart city n’est pas l’apanage des grandes villes !

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Connecter les bâtiments pour faire des économies

Petite commune voisine de Rennes, Saint-Grégoire, a également décidé de devenir une « small smart city » en 2019, « pour mieux vivre la ville, mieux gérer ses ressources et créer plus de liens », souligne la commune.

Pour faire émerger cette ville collaborative, elle s’est appuyée sur les nouvelles technologies d’entreprises du territoire pour développer des solutions innovantes. Elle a ainsi notamment travaillé avec Sensing Vision, société installée dans le petit bourg de Chevaigné, toujours au nord de Rennes. Créée en juin 2017, cette entreprise de 7 collaborateurs (1 M€ de CA) propose des solutions visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments, grâce à l’Internet des objets. Elle intègre pour cela des solutions reliées à des capteurs (de température, d’humidité…). Cela rend aussi chaque citoyen responsable, lors de l’utilisation qu’il fait d’un équipement public.

« La smart city n’est pas un gadget technologique, c’est du numérique utilisé pour améliorer la vie des habitants. »

L’entreprise développe également des outils d’analyse de données et en déploie les solutions. Sensing Vision met notamment au point des infrastructures de réseaux de télécommunications en cloud managé. « Cela permet à des petites communes, comme Chevaigné ou encore Vitré, de s’équiper du wifi gratuitement partout, à destination des usagers (habitants, associations, touristes…) », précise Benoît Vagneur, président et fondateur de Sensing Vision. Sa société travaille avec d’autres spécialistes des télécoms, comme le bretillien Kerlink (pour l’IoT) ou les acteurs mondiaux Cisco (pour les réseaux) et Nvidia (pour l’IA).

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À la clé, pour les communes et leurs administrés : des économies d’énergie et de budget. « À titre d’exemple, nous avons pu, grâce à nos solutions, détecter une fuite d’eau dans une commune du grand Ouest, témoigne le dirigeant sans la citer. Si on ne fait rien, cette petite fuite va représenter un gâchis équivalent au remplissage de cinq piscines olympiques, soit 30 000 € de pertes ! » Les bâtiments connectés peuvent aussi servir, par exemple, à mesurer le taux de CO2 dans des salles de classe ou de loisirs, à superviser la chaîne du froid des réfrigérateurs municipaux, etc.

La smart city, c’est aussi détecter les places de parking vacantes en centre-ville (comme pour Saint-Grégoire, où Sensing Vision a installé des capteurs), organiser de la vidéoprotection, collecter des données utiles à la vie citoyenne, ou encore superviser la collecte des déchets dans les conteneurs.

La smart city, des déchets aux transports

Rennes Métropole a déjà intégré cette technologie. Un programme est même en cours d’expérimentation pour accélérer sur cette partie gestion des déchets. Le groupe Suez a équipé certains camions de ramassage avec des capteurs. L’objectif de ces véhicules intelligents : réaliser des mesures de qualité de l’air, de bruit, d’état de la voirie, etc., à des endroits de passages réguliers des tournées. Les données seront ainsi récoltées, puis analysées, afin de réévaluer les besoins réels de collecte, mais aussi faire évoluer la ville de demain, puisqu’une thermographie de la ville est réalisée, cartographiant la déperdition d’énergie des bâtiments.

Dans la même veine, côté transports, un projet collaboratif européen, baptisé Scene, fait notamment réfléchir la société cessonnaise JCP Connect (10 collaborateurs, 400 000 € de chiffre d’affaires en 2018). Spécialisée dans le traitement des données des objets connectés et les technologies de caching (collecte de données), elle teste actuellement sa dernière solution, NaviConnect. Celle-ci permet la diffusion de contenus numériques dans un environnement de connectivité limitée, en configuration fixe (évènements, lieux publics) ou mobile (transports). Le projet Scene, financé par la Commission européenne (budget : 3 M€), vise ainsi à développer un modèle de plateforme mobile ouverte.

« Le nombre d’informations envoyées par les capteurs, de plus en plus nombreux, explose dans les réseaux. Les utilisateurs consomment de plus en plus de contenus en fixe et en mobilité. Or, les réseaux télécoms représentent 15 % de l’énergie consommée dans le monde », constate Jean-Charles Point, fondateur et dirigeant de JCP Connect. Lui veut, avec ses solutions traitant localement les données, optimiser les ressources de réseaux, en créant une passerelle intelligente qui va stocker et traiter les informations. Et ainsi réaliser des économies d’énergie pour la planète. Un test technique sera bientôt réalisé à Rennes. La ville, réceptive aux innovations numériques, a d’ailleurs déjà expérimenté un réseau LoRa sur 1 000 km² (avec Wi6Labs). Elle dispose de son propre datacenter.

Un showroom et des exemples pour le monde entier

Le showroom Smile, chez Enedis à Rennes, présente notamment les projets innovants en matière de ville intelligente (smart city) — Photo : © Virginie Monvoisin

D’autres entreprises rennaises travaillent dans l’ombre des villes intelligentes. Sans toutes les citer, on retrouve régulièrement, au sein de projets collaboratifs, les sociétés Niji, Kemiwatt, Energiency, RF-Track, etc.

Le territoire bretillien est déjà très sensibilisé à conception de la ville intelligente de demain. Et avec lui, le département entraîne même toute la Bretagne. C’est en effet à Rennes qu’a vu le jour, il y a quelques mois, un showroom spécialement dédié aux « smart grids », baptisé Smile (smart ideas to link energies). S’il ne concerne pas uniquement les villes intelligentes, mais aussi les îles ou maisons connectées, ce lieu dédié aux réseaux électriques intelligents (porté par les Régions Bretagne et Pays de la Loire) compte déjà plus de 250 adhérentes (entreprises, collectivités…). Fonctionnant comme une association, Smile met en avant des projets innovants inventés à l’Ouest. L’objectif affiché est de déployer un système intelligent sur tout le grand Ouest, au-delà donc des simples villes.

« Les villes 100 % connectées, on y viendra, car les citoyens ne supportent pas que les collectivités consomment trop d’eau ou d’électricité… »

L’Ille-et-Vilaine et la Bretagne peuvent ainsi faire valoir leur expertise et leurs expérimentations pour rayonner jusqu’à l’international. Parmi les projets déjà homologués par Smile, on trouve, par exemple, celui de Rennes Grid, sur la zone d’activités de Ker Lann, mené par Langa, Schneider et le cluster Eco-Origin. La ville intelligente est en effet aussi construite avec des initiatives isolées.

Photo : © Virginie Monvoisin

Des freins sociétaux à la smart city

Car, selon Benoît Vagneur, le dirigeant de Sensing Vision, « la smart city n’est pas un gadget technologique, c’est du numérique utilisé pour améliorer la vie des habitants. Pour qu’un projet de smart city ait du sens, il faut que les gens aient envie de s’en servir et utilisent la technologie… » Ulrich Rousseau, président de Wi6Labs (15 salariés, 800 000 € de CA) ajoute : « Nos freins ne sont pas techniques, mais sociétaux. »

Les bases existent aujourd’hui pour créer tout une communauté smart, autour des notions de ville durable, technologique, connectée et sensible au bien-être des citoyens. « Dans cinq ou dix ans, on peut imaginer que toutes les communes seront des smart cities », estime Jean-Charles Point. « Le nombre d’objets connectés augmente, constate François Leprince. Les villes 100 % connectées, on y viendra, car les citoyens ne supportent pas que les collectivités consomment trop d’eau ou trop d’électricité… Reste à savoir si les villes sont propriétaires de leurs données. Cela est, souvent, un choix politique. » En tout cas, il y a du business en perspective pour les entreprises bretilliennes qui ont pris ce chemin intelligent.


À Angers, un territoire intelligent complet

Dans les territoires voisins de l’Ille-et-Vilaine, des projets similaires se mettent en place. À l’image de celui mené depuis un an par Angers Loire Métropole, unique en France par son envergure. Il englobe la totalité des services de manière transversale : équipements publics, éclairage, mobilité, signalisation routière, stationnement, eau et assainissement, espaces verts, collecte et revalorisation des déchets.

La communauté d’agglomération s’est associée à La Poste, Vyv et Suez pour améliorer le pilotage des services publics, baisser sa consommation et créer de nouveaux usages. Objectif : réduire de 101 M€ les dépenses d’énergie sur 25 ans, comme par exemple 66 % sur l’éclairage public, 20 % sur les bâtiments ou 30 % sur l’eau d’arrosage. Pour son « territoire intelligent », piloté par Engie Ineo, Angers Loire Métropole investit 178 M€ sur douze ans et fait travailler 60 entreprises (25 dans l’Ouest).

Au programme, il faut, entre autres, changer 30 000 lanternes de rues, 10 000 mâts de lampadaires et installer 4 000 capteurs. « Nous allons aussi développer une maquette numérique du territoire, un « jumeau numérique » avec lequel on pourra effectuer des simulations dans le domaine de l’urbanisme, de la circulation ou de la qualité de l’air, précise Yann Rolland, PDG d’Engie Ineo. Un centre d’hypervision apportera ainsi une aide à la décision : report de travaux en cas de pollution atmosphérique, meilleure gestion de l’éclairage public, proposition auprès des personnes asthmatiques de trajets les moins susceptibles de les gêner en période de canicule, etc. ».

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