Lille
Eric Feldmann : "Les chefs d'entreprises doivent franchir la porte du tribunal de manière préventive"
Lille # Réseaux d'accompagnement

Eric Feldmann : "Les chefs d'entreprises doivent franchir la porte du tribunal de manière préventive"

S'abonner

Début 2021, l'économie des Hauts-de-France a été marquée par les difficultés de grandes enseignes, à l'image de Flunch, Office Dépôt et Nocibé. Faut-il y voir les premiers signes de cette vague de défaillances tant annoncée ? Éléments de réponses avec le président du tribunal de commerce de Lille.

Eric Feldmann, président du tribunal de commerce de Lille — Photo : Elodie Soury-Lavergne

Quand faut-il s’attendre à une vague de défaillance d’entreprises liée à la crise sanitaire ?

Eric Feldmann : Il est difficile de faire des pronostics… Preuve en est : le confinement de mars 2020, tout le monde pensait que ce serait le premier et le dernier. Il y a d’ailleurs eu une certaine reprise économique en septembre, laissant penser que les dispositifs d’aides aux entreprises allaient progressivement cesser et entraîner une vague de défaillances. Mais les aides ont continué, comme la suspension des charges fiscales et sociales, celle des remboursements de prêts bancaires ou l’obligation de déclarer la cessation de paiements dans un délai de 45 jours… Tout ça fait que les entreprises ont tenu bon en 2020, à tel point qu’au tribunal de commerce de Lille, comme ailleurs en France, nous avons constaté une réduction des procédures collectives de l’ordre de 35 à 40 % sur l’année 2020, par rapport à 2019. Si elles ont été moins nombreuses, elles ont en revanche concerné davantage de salariés, c’est-à-dire 5 579 salariés en 2020, contre 2 500 en 2019. Cela signifie que des entreprises de taille plus importante se sont retrouvées en difficulté l’année dernière.

À quoi va ressembler l’année 2021 ?

Un troisième confinement est notre épée de Damoclès. La situation sanitaire contraint une partie des entreprises à rester fermées dans les secteurs du tourisme, de l’événementiel, du sport, de la culture, etc. Ces entreprises représentent 12 à 15 % du PIB Français… Les dispositifs d’aides se poursuivent donc : toutes les entreprises sont sous morphine, la crise ne fait pas mal pour le moment. Le rythme de la fin des aides sera lié au déploiement de la campagne de vaccination. Quand l’État cessera d’accompagner les entreprises à coups de milliards d’euros, le tri se fera entre celles qui avaient de la trésorerie avant la crise et celles qui étaient structurellement déficitaires. Et au lieu d’un tsunami, ce sera une lame de fonds…

Les chefs d’entreprise s’y préparent-ils ?

Quelques dirigeants viennent nous voir en prévention, mais pas assez et je le déplore. Nous incitons les chefs d’entreprise à franchir la porte de ce tribunal, même si ce mot fait peur. Cela renvoie à la notion d’échec, que l’on n’admet pas en France. Je constate aussi que parmi les entreprises de moins de 10 salariés entrées en procédure collective en France, 95 % ignoraient l’existence de la procédure de prévention. Ces procédures, qui sont confidentielles, affichent pourtant un taux de succès de 75 %, alors que pour les procédures collectives, les issues favorables sont rares. 70 % des entreprises en procédure collective seront liquidées dans les cinq ans… Le dispositif de prévention est peu utilisé alors qu’il est conçu pour répondre à un problème conjoncturel, à un trou d’air momentané, ce qui est le cas avec cette crise sanitaire. Si le chef d’entreprise vient discuter de ses difficultés à temps, nous nommons un administrateur judiciaire en mandat ad hoc ou en conciliation. Un bilan complet est fait et surtout, on se pose la bonne question : le modèle économique de l’entreprise est-il toujours adapté à la demande ?

Lille # Réseaux d'accompagnement # Conjoncture