Anthony Roux, président d’Ankama: « Depuis l’entrée de notre nouvel actionnaire, c’est le jour et la nuit »
Interview # Innovation

Anthony Roux, président d’Ankama: « Depuis l’entrée de notre nouvel actionnaire, c’est le jour et la nuit »

S'abonner

Ankama a inauguré cet automne le MadLab, un nouveau studio d’animation roubaisien, lancé en partenariat avec Média Participations, qui vient d’entrer à son capital. Une petite révolution qui clôt une période délicate pour l’entreprise et ses dirigeants, et ouvre une ère de nouveaux projets. Entretien avec Anthony Roux, président et co-fondateur d’Ankama.

— Photo : Ankama

Le Journal des Entreprises. A l’origine d’Ankama, il y a un trio de fondateurs et d’actionnaires. Quels ont été les débuts de l’entreprise ?

Anthony Roux. Nous avons fondé Ankama en 2001, à trois, en investissant 3.000 euros chacun dans le projet. Le nom de l’entreprise est d’ailleurs la contraction de nos trois prénoms. A la base, nous étions une web agency, qui fabriquait des sites internet. Avec Camille Chafer nous étions tous les deux passionnés de jeux vidéo. En 2004, nous avons créé un jeu en ligne, Dofus. Dès le premier mois, on avait récolté 15.000 euros, et six mois après, on faisait 600.000 euros mensuels. On n’a pas trop compris ce qui se passait.

On s’est concentré sur le jeu. Plutôt que de parier sur de la pub, j’ai développé une bande dessinée, un dessin animé, des produits dérivés, pour faire rayonner nos jeux. On a créé Ankama Games, puis Ankama Editions, Ankama Animation, et enfin Ankama Products. Aujourd’hui, Ankama Games fait toujours 70% du chiffre d’affaires. C’est une stratégie qui a fonctionné, et qui nous a permis de fédérer une communauté autour notre univers.

Mais aujourd’hui, l’actionnariat d’Ankama a changé.

A.R. En fait, le troisième associé n’a jamais vraiment compris le tournant d’Ankama autour du divertissement, il n’a jamais été joueur. Il a suivi le mouvement, en gardant des fonctions cadres. Mais la société grossissant, ça n’a plus été possible, et il est parti il y a cinq ans… en restant actionnaire minoritaire. Ça a été une période très compliquée, qui n’a pas fait de bien à l’entreprise, au point que j’ai pu être tenté d’arrêter là. Et puis je me suis rapproché de Claude de Saint-Vincent, le DG de Média Participations, qui est un peu devenu mon mentor. Ils gèrent la distribution d’Ankama Editions, ils nous connaissent bien, et ensemble, on a lancé des projets, comme la création du MadLab, notre nouveau studio. Ils ont compris la situation et ont fini par racheter les parts du troisième actionnaire, en février dernier. Depuis, c’est le jour et la nuit ! Quand on se voit, c’est pour évoquer l’avenir de l’entreprise, nos projets… C’est un énorme groupe, (355 millions d’euros de CA, 1000 salariés, ndlr), Dupuis, Dargaud, Le Lombard… c’est eux. Ils ont accepté de nous soutenir, tout en restant minoritaires, et sans rien exiger en retour. Ils ont vraiment joué les superhéros dans cette affaire !

Inauguré en septembre, le MadLab est un symbole de cette nouvelle dynamique ?

A.R. C’est un exemple de nos collaborations. Ils voulaient ouvrir un studio à Angoulême, on leur a dit « pourquoi pas Roubaix ? ». On va développer des projets avec eux, comme Abraca, une série à nous, déjà en production. De notre côté, on travaille sur notre prochain long métrage, Princesse Dragon. C’est un nouveau projet, et pas la suite de Dofus, qui a été un échec, même si on a appris beaucoup en le faisant. Et avant tout, que notre cible n’était pas la bonne : le film s’adressait aux pré-ados, qui ne vont pas au cinéma, mais téléchargent. Nous avons fait peu d’entrées, mais nous étions en top des sites de téléchargement illégal… Pour le prochain, on va donc viser un public plus jeune, que les parents emmènent au cinéma ! On développe aussi un nouveau jeu, la suite de Dofus cette fois. En parallèle, on lance un nouveau catalogue de jeux mobile, rapides et peu coûteux à produire, entre 50 et 100.000 euros. Un jeu comme Dofus, c’est 2 à 3 millions d’euros, on est dans un autre univers.

C’est une étape importante vers un écosystème en région ?

A.R. Dès le début, notre gros problème, ça a été de faire venir les talents à Roubaix. Apparemment, c’est pas un endroit qui fait rêver. On a eu énormément de soucis au démarrage, surtout pour l’animation. Par exemple, quand j’ai pré-vendu notre première série, j’ai dû embaucher en urgence 80, 90 personnes. Ça a été tellement compliqué de convaincre les gens de venir, qu’on n’a recruté que des jeunes diplômés, en CDI, ce qui se fait très peu dans le milieu, où l’intermittence est la règle. Aujourd’hui encore, ça reste compliqué de convaincre les intermittents de venir, ils ont peur de ne pas retrouver de travail après leur contrat. C’est pour ça qu’il faut qu’un écosystème se crée. C’est en train de se mettre en place, il y a de plus en plus d’entreprises qui s’installent.

Vous n’avez jamais songé à déménager, à aller là où sont les talents ?

A.R. On a eu plusieurs propositions, y compris pour partir à Montréal, que j’adore. Mais je reste très chauvin ! Et ce qui me rend fier, peut-être plus encore que la réussite d’Ankama, c’est quand je regarde les vieilles photos, et que je vois d’où on vient. La rue, le quartier, c’était une catastrophe ! Mais on a retapé ce bâtiment, créé un resto et une crèche… le quartier a repris vie autour de l’entreprise. En revanche, l’image de Roubaix dans les médias me saoule vraiment, c’est toujours des histoires sordides qui attirent l’attention, alors qu’il s’y passe plein de trucs bien.

# Innovation