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"Les entreprises familiales ayant ouvert leur capital à des fonds sont plus performantes"
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Claire Chabrier présidente de France Invest "Les entreprises familiales ayant ouvert leur capital à des fonds sont plus performantes"

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Les entreprises, essentiellement des PME familiales à l’origine, qui ont ouvert la majorité de leur capital à des fonds entre 2009 et 2019 ont réalisé des performances supérieures à leurs concurrentes. C’est ce que révèle une étude réalisée par France Invest et le cabinet de conseil en stratégie Inuo Strategic Impact.

Claire Chabrier, présidente de France Invest — Photo : ©Magali Delporte

Votre étude compare la performance d’entreprises accompagnées par des fonds à leurs homologues n’ayant pas ouvert leur capital. Qu’avez-vous voulu démontrer ?

Claire Chabrier : Malgré la hausse du nombre d’entreprises accompagnées par les acteurs du capital-investissement, nous constatons que les entreprises familiales éprouvent encore trop souvent des réticences à accepter un actionnaire financier au capital. Des préjugés subsistent. Les principales craintes portent sur la perte de contrôle de l’entreprise, la réduction du patrimoine familial, le risque de dilution de la culture familiale, les contraintes du reporting financier, le niveau d’endettement ou encore l’incertitude sur les conditions de sortie. Considérant que les chefs d’entreprise sont nos meilleurs ambassadeurs auprès de leurs pairs, nous avons recueilli le témoignage de 28 d’entre eux qui avaient ouvert la majorité de leur capital, pour montrer comment l’accompagnement par des fonds successifs, entre les deux crises de 2009 et 2019, a permis à ces entreprises, pour la plupart des PME familiales à l’origine, issues de tous secteurs, de se développer en France et à l’étranger. Nous avons comparé la création de valeur qu’elles avaient générée à celle d’entreprises familiales concurrentes non accompagnées par des fonds.

Quel écart de performance avez-vous constaté ?

Chiheb Mahjoub : Il ressort de notre étude que les entreprises ayant ouvert la majorité de leur capital ont mieux réussi que leurs homologues qui n’étaient pas accompagnés par des fonds. Cette performance apparaît à travers trois indicateurs. Les entreprises accompagnées par des fonds ont connu une croissance plus rapide : leur chiffre d’affaires a progressé de 14 % par an en moyenne sur la période, contre 8,5 % pour leurs homologues. 75 % d’entre elles ont également amélioré leur rentabilité et 64 % ont une efficience opérationnelle supérieure à celle de leurs concurrents. Enfin, en termes de gouvernance, on constate qu’au fil des entrées et sorties de fonds, les familles et les managers sont remontés au capital. Dans plus de 20 % des entreprises que nous avons analysées, ils sont redevenus les actionnaires majoritaires. On est donc loin du cliché d’une mise sous tutelle par les fonds !

Comment expliquez-vous cette surperformance des entreprises accompagnées par des fonds ?

Claire Chabrier : Il faut la relier au travail effectué au quotidien par les fonds acteurs du capital-investissement auprès des entreprises. Outre un apport financier, ils fournissent des conseils, des bonnes pratiques, des compétences, de l’expérience, un réseau, de l’accompagnement dans les croissances externes… Tous ces éléments sont autant de valeur ajoutée, source de croissance pour les entreprises.

Quels conseils donneriez-vous à un chef d’entreprise pour réussir son ouverture de capital à un fonds ?

Chiheb Mahjoub : La première clé du succès est de choisir un partenaire qui corresponde à l’entreprise et à ses besoins. Depuis deux à trois ans, les fonds sont demandeurs. Il y a donc l’embarras du choix. Il faut vérifier l’alignement de l’actionnaire financier sur la stratégie de l’entreprise, bien border le contrat avec des clauses claires et précises, notamment sur la gouvernance - qui prend les décisions - et sur la sortie : à quel moment le partenaire peut-il vendre ses parts, les céder à un industriel, aux managers…

Claire Chabrier : Il faut accepter de passer du temps à chercher le bon partenaire. Aujourd’hui, le marché du capital-investissement est mature. Il existe donc une palette de fonds très large pour accompagner les entreprises aux différents moments de sa vie. Un chef d’entreprise ne cherchera pas les mêmes partenaires, selon le stade de développement de sa société, selon qu’il ouvre son capital pour la première fois ou qu’il s’agit de sa deuxième ou troisième opération, selon qu’il a des ambitions à l’international et a besoin d’être accompagné sur tel ou tel marché à l’export, etc.

Inversement, quels sont les pièges à éviter ?

Chiheb Mahjoub : L’entreprise doit être prête à accueillir un ou plusieurs fonds. Cela signifie qu’elle doit avoir une structure managériale complète, une organisation financière robuste, un directeur financier de qualité. Sinon, il y a un risque d’incompréhension. Il ne faut pas négliger non plus l’aspect humain. Le courant doit passer entre le dirigeant et l’actionnaire. Les échecs peuvent également provenir d’une mauvaise anticipation de ses marchés par le dirigeant ou d’une taille du fonds ne correspondant pas à celle de l’entreprise. Si une entreprise de belle taille fait appel à un petit fonds, la performance de celui-ci va dépendre excessivement des résultats de l’entreprise et la pression sera trop grande. C’est pourquoi, je conseille aux chefs d’entreprise souhaitant accueillir des partenaires financiers d’échanger au préalable avec d’autres dirigeants et plusieurs gestionnaires de fonds.

Sur quels points les investisseurs se montrent-ils, pour leur part, vigilants ?

Chiheb Mahjoub : Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et carbone sont devenus incontournables dans les décisions d’investissement. Tous les fonds procèdent aujourd’hui à un audit RSE avant d’entrer dans une entreprise. Ils peuvent jouer un rôle de coaching auprès des PME, parfois moins avancées dans cette démarche, en mettant en place une feuille de route avec des objectifs annuels. Bercy a réalisé un énorme travail sur les indicateurs permettant de réaliser un reporting ESG dans les PME et TPE. La maturité digitale et le niveau de cybersécurité des entreprises deviennent également des critères discriminants.

En 2019, les levées de fonds ont atteint un record historique. Qu’en est-il après le Covid ?

Claire Chabrier : France Invest (association regroupant les professionnels français du capital-investissement, NDLR) accompagne 7 000 entreprises en France ayant un fonds dans leur actionnariat. En 2019, nos adhérents ont battu un record en investissant 19,3 milliards d’euros dans ces entreprises, contre 14,7 milliards en 2018. Au premier semestre 2020, plus de 7 milliards d’euros ont été levés, dont 76 % pour les fonds destinés à l’accompagnement des PME et des ETI. Je tiens à souligner que les acteurs du capital-investissement se sont montrés résilients face à la crise. Ils ont continué à investir et 56 % des montants ont été investis pour soutenir des sociétés en portefeuille. Nous n’avons pas encore les chiffres du premier semestre 2021, mais on perçoit un effet de rattrapage. Je pense que la crise aura un effet positif sur l’ouverture du capital. Dans un monde de plus en plus complexe, les dirigeants de sociétés familiales ont besoin d’accompagnement pour apporter des réponses rapides à des problématiques, telles que la digitalisation ou les transitions environnementales. De plus, on voit émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs ayant la volonté de positionner leur entreprise à l’international, d’être plus compétitifs, de transformer leur PME en ETI… L’ouverture du capital fournit un moyen d’accélérer ces mutations.

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