L’actionnariat salarié gagne du terrain dans les PME
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L’actionnariat salarié gagne du terrain dans les PME

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Le phénomène est nouveau. Longtemps réservé aux entreprises cotées, l’actionnariat salarié franchit désormais les portes des PME et ETI. Cette tendance est portée par les incitations de la loi Pacte et les politiques RSE des entreprises qui font du partage de la valeur une pratique de bonne gouvernance.

Dans les PME, l’actionnariat salarié a doublé entre 2015 et 2021, passant de 4 à 9 % du nombre d’entreprises — Photo : Jacob Lund

C’est une particularité hexagonale. La France est la championne de l’actionnariat salarié en Europe. Selon les chiffres de la Fédération européenne de l’actionnariat salarié, les salariés actionnaires français représentent, en effet, plus de 42 % des salariés actionnaires européens. Et la tendance se confirme malgré la crise. Après un tassement en 2020, l’actionnariat salarié a atteint un plus haut historique en 2021, année où plus de 3,8 milliards d’euros ont été souscrits par les salariés dans les actions de leurs entreprises. Selon le rapport annuel d’Amundi, premier gestionnaire d’actifs européen, le montant des encours souscrits a plus que doublé depuis 2013, tout comme le nombre de bénéficiaires. En 2021, environ 775 000 salariés ont profité de ce dispositif pour un montant moyen de 4 622 euros. Entre 2013 et 2021, la moyenne des souscriptions a ainsi augmenté de 50 %, témoignant de l’appétence des employeurs, comme des salariés, pour ce mécanisme de partage de la valeur. La nouveauté est que le dispositif se démocratise. Jusqu’à présent réservé aux entreprises cotées, dont 74 % disposent d’un plan d’actionnariat salarié collectif, il s’étend désormais aux ETI, ainsi qu’aux PME non cotées. Dans cette dernière catégorie d’entreprises, l’actionnariat salarié a doublé entre 2015 et 2021, passant de 4 à 9 % du nombre d’entreprises. C’est ce que révèle une étude de la société de conseil et de gestion Eres, menée par OpinionWay sur un échantillon de 418 entreprises de plus de 20 salariés. "Il se passe quelque chose au niveau de l’actionnariat salarié. Nous le sentons au quotidien avec des sollicitations de plus en plus nombreuses des entreprises. Le sujet est pris en main, il infuse. Le fait que le contexte de crise n’ait pas eu d’impact sur son développement constitue un signal très positif, même s’il y a encore des marges de progression importantes dans les PME", commente Marie-Noëlle Auclair, directrice du Cube, Expertise & Solutions chez Eres.

Les progrès de l’actionnariat salarié tiennent à plusieurs raisons. Il faut d’abord y voir la perception positive par les dirigeants de PME des bénéfices que peut apporter le dispositif. Ainsi, 84 % d’entre eux considèrent qu’associer des salariés au capital est une bonne chose.

Motiver, fédérer, fidéliser

Dans le détail, 75 % des entreprises ayant mis en place un dispositif d’actionnariat salarié soulignent son efficacité pour motiver, engager, fédérer et fidéliser les salariés autour d’un projet d’entreprise. C’est pourquoi, près d’un tiers des plans sont collectifs : 28 % des opérations ont été proposées à plus de 50 % des salariés. C’est le cas du groupe Sterimed (1 000 salariés, 150 M€ de CA) spécialisé dans les emballages stériles. Lors de son rachat par les managers et un fonds d’investissement en 2016, cette entreprise basée dans les Pyrénées-Orientales a ouvert son capital à ses salariés pour renforcer le sentiment d’appartenance. "Nous avons repensé notre modèle de management de manière générale. Nous avons réfléchi aux différentes possibilités pour atteindre notre objectif qui était de créer l’adhésion des collaborateurs autour du nouveau projet. C’est ainsi que nous avons décidé d’associer tous les collaborateurs au capital de l’entreprise, dans des conditions comparables à celles proposées au management, en mettant en place un dispositif d’actionnariat salarié. C’était pour nous la meilleure manière d’embarquer tout le monde dans l’aventure entrepreneuriale", explique Thibaut Hyvernat, président de Sterimed.

Accompagner la croissance

Pour ses partisans, l’actionnariat salarié est également un excellent outil pour accompagner la croissance de l’entreprise, voire améliorer sa performance. Une opinion que Marc Rollet, président de la PME normande Celfy (177 salariés, 24 M€ de CA), défend en ces termes : "Le large partage de la valeur acquise est un fondement de l’entreprise. Les faits montrent que partager la valeur acquise crée non seulement plus de valeur, mais aussi du développement. Car tous les salariés se sentent intimement concernés par l’atteinte du résultat technique et financier, mais aussi par le respect des délais et la satisfaction des clients." L’entreprise spécialisée dans l’installation et la rénovation de plomberie, chauffage, ventilation et climatisation pour les professionnels a ouvert son capital, en plusieurs étapes, à 36 de ses 177 salariés. Fabrice Lajoye, représentant de ces salariés actionnaires, confirme le point de vue du dirigeant : "Les salariés actionnaires se sentent impliqués et considérés. C’est comme s’ils étaient eux-mêmes entrepreneurs au sein de l’entreprise. Cela favorise les échanges et une meilleure compréhension mutuelle."

Transmettre l’entreprise

L’actionnariat salarié représente également un bon vecteur pour transmettre une entreprise, comme l’illustre la société Eurêka Solutions (42 salariés, 3,6 M€ de CA), basée à Pfastatt dans le Haut-Rhin. L’éditeur de logiciels a ouvert son capital à ses collaborateurs pour préparer la transmission de l’entreprise. 23 d’entre eux ont intégré le capital avec des tickets d’entrée de 1 000 à 15 000 euros. "29 % des actions de l’entreprise sont désormais détenues par les salariés. D’ici deux à trois ans, l’objectif est de faire un LBO, ou rachat avec un effet de levier, pour qu’ils en deviennent actionnaires à plus de 50 %", indique Henri Stuckert, président fondateur de l’entreprise.

RSE et critères ESG

L’actionnariat salarié constitue, enfin, une composante de la démarche RSE des entreprises. "Le partage de la valeur s’inscrit comme un pilier de la responsabilité sociale des entreprises et entre désormais dans les critères d’analyse environnementaux, sociaux et de gouvernance, dits ESG, qui sont pris en compte par les fonds à impact et contribuent, par ailleurs, à l’attractivité de la marque employeur. Cette nouvelle donne est un facteur incitatif pour déployer plus largement l’actionnariat salarié dans les entreprises", analyse Mirela Stoeva, directrice des études au sein du Cube, Eres. C’est dans cet esprit que le groupe informatique nantais Sigma (730 salariés, 70 M€ de CA) a bouclé deux opérations d’ouverture du capital à l’attention de ses salariés, qui détiennent désormais 4 % des titres de l’entreprise. "Nous avons réalisé des opérations d’actionnariat salarié pour mettre notre modèle d’actionnariat en cohérence avec notre vision d’entreprise : partager la valeur. La gouvernance, qui constitue un des piliers de la RSE, nous engage à garantir des pratiques éthiques et une croissance partagée. Par ailleurs, un capital détenu majoritairement par les salariés et dirigeants de l’entreprise renforce notre indépendance. Dans une trajectoire de long terme, cela augmente notre capacité d’investissement pour servir durablement nos clients", argumente Philippe Oléron, président de Sigma, qui dit réfléchir à une troisième opération d’ouverture du capital.

Le coup de pouce de la loi Pacte

Le développement de l’actionnariat dans les PME a également bénéficié des avantages prévus par la loi Pacte. En effet, cette dernière instaure la possibilité de verser un abondement unilatéral sur le Plan d’épargne d’entreprise (PEE). En l’absence de contribution du salarié, l’entreprise peut effectuer une attribution uniforme à 100 % des salariés sur des Fonds de l’entreprise. De plus, le montant de la décote des plans d’actionnariat salarié dans le PEE est porté de 20 à 30 % pour une indisponibilité des fonds pendant 5 ans et de 30 à 40 % si la période de blocage est étendue à 10 ans. Selon l’Observatoire Amundi, 63 % des opérations d’ouverture de capital ont été proposées aux salariés avec une décote d’au moins 20 % en 2021 et près du tiers des entreprises ont offert une décote supérieure à 20 %. Les offres sans décotes émanent principalement des entreprises non cotées qui compensent le plus souvent par un abondement fort (souvent au moins 100 % du montant souscrit). Elles y sont encouragées par l’allègement du forfait social pesant sur l’abondement. Celui-ci a été ramené de 20 à 10 % et, même, supprimé pour les entreprises de moins de 50 salariés. "Nous constatons une augmentation des plans collectifs proposés dans des conditions très avantageuses, avec un taux de moyen de décote et un abondement en hausse", souligne Mirela Stoeva.

Partage de la plus-value de cession

Enfin, la loi Pacte propose un mécanisme fiscalement avantageux de partage de la plus-value de cession avec les salariés. "Ce mécanisme permet de céder aux salariés jusqu’à 10 % de la plus-value de cession réalisée par les actionnaires, sous certaines conditions. Pensé pour le capital-investissement, il est adapté aux entreprises sous LBO. Les dirigeants de PME et ETI peuvent aussi être intéressés par cette mesure pour partager avec leurs salariés la valeur créée, lors de la revente de leur entreprise. Dès lors qu’il y a plus-value, les salariés sont gagnants et, à défaut, ils ne perdent rien puisqu’ils n’ont pas à investir", analyse Marie-Noëlle Auclair. La mesure, créée en 2019, commence à se déployer. Elle demande toutefois un peu d’anticipation, puisqu’un Plan d’épargne d’entreprise doit avoir été mis en place au préalable pour que les salariés puissent recevoir ainsi leur quote-part. Les sommes sont disponibles au bout de cinq ans, sauf déblocage anticipé. La fiscalité qui s’applique est celle de l’abondement au PEE. À travers ces mesures incitatives, le gouvernement a l’objectif ambitieux de tripler le taux d’actionnariat salarié et d’atteindre 10 % d’ici 2030.

Des freins à lever

Pour y parvenir, il reste néanmoins des freins à lever. Le premier est de communiquer sur les mesures incitatives de la loi Pacte que deux entreprises sur trois disent ne pas connaître. Les autres freins exprimés par les dirigeants de PME tiennent aux enjeux de confidentialité et à la complexité des opérations d’ouverture d capital. "Les sujets de partage de l’information financière et stratégique constituent un frein psychologique pour certains chefs d’entreprise, alors que ce n’est pas un problème pour les entreprises cotées, astreintes à la transparence. Pourtant, communiquer ces informations est une posture saine qui permet d’impliquer les salariés dans la vie de la société et de renforcer les liens. La complexité des opérations d’ouverture du capital est, quant à elle, bien réelle et demande de se faire accompagner ", conseille Mirela Stoeva. Pour développer encore plus l’actionnariat salarié, Eres suggère, notamment, d’aligner les modalités de gouvernance sur les conseils de surveillance des fonds commun de placement d’entreprise afin de lever les blocages psychologiques chez des actionnaires institutionnels ou familiaux qui ne souhaitent pas se retrouver en assemblée générale avec des dizaines, voire des centaines, de salariés face à eux.

"À notre sens, l’actionnariat salarié va continuer à se développer. 4 % des entreprises pensent mettre en place le dispositif dans les trois ans. Ce qui nous amènerait à 15 % de PME équipées. Par ailleurs, les volets RSE et ESG qui constituent de puissants leviers n’en sont qu’au début et vont continuer à prendre de l’ampleur. Dernier élément positif pour les militantes du partage du profit que nous sommes : 93 % des PME ayant ouvert le capital aux salariés seraient prêtes à reconduire ce choix", concluent Marie-Noëlle Auclair et Mirela Stoeva.

# Gestion # Capital # Ressources humaines