Éric Heyer : « En 2020, l’économie française pourrait faire mieux que la zone euro »
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Éric Heyer docteur en économie Éric Heyer : « En 2020, l’économie française pourrait faire mieux que la zone euro »

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La croissance française s’est maintenue en 2019. Les perspectives semblent comparables pour 2020, selon Éric Heyer, docteur en économie et directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L’économie française pourrait même faire mieux que la zone euro. Le PIB devrait croître de 1,3 % en 2020 malgré les mouvements sociaux, la guerre commerciale, les tensions en Europe et les menaces d’un Brexit sans accord.

Pour le directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les entreprises tricolores profitent actuellement d'un contexte porteur et bénéficient de capacités financières élevées. — Photo : DR

La France a été confrontée en 2018 et 2019 à la crise des Gilets jaunes. Ces événements, s’ils se poursuivent, peuvent-ils casser la croissance économique en 2020 ?

Éric Heyer : Les mouvements des Gilets jaunes ne sont pas suffisamment forts pour casser la croissance économique. Il y a eu en 2018 une légère répercussion négative, mais la situation s’est améliorée en 2019. Les manifestations ont joué sur le moral des ménages, qui ont réduit leur consommation, et engendré une épargne de précaution. Ça n’est pas si important, car ce qui est épargné devrait être consommé plus tard. Ce qui est une perte sèche en revanche, c’est le tourisme. Mais les effets ont été limités. Les mouvements contre la réforme des retraites, avec des grèves de la SNCF à répétition, pourraient créer d’autres craintes et paralyser beaucoup plus l’économie.

La croissance française va donc être impactée par de nouveaux mouvements ?

É. H. : Pas si sûr. Malgré les incertitudes propres à la France et le léger ralentissement de l’activité, l’économie résiste plutôt bien. La France devrait même être le premier pays contributeur à la croissance de la zone euro, selon l’OFCE. Près d’un quart de la croissance de la zone euro proviendra de l’économie française cette année. Et pour la première fois en six ans, la croissance française sera légèrement supérieure à celle de la zone euro.

L’investissement des PME est resté soutenu ces deux dernières années. Les entreprises vont-elles rester sur cette dynamique en 2020 ?

É. H. : Nous avons des taux d’investissement très élevés en France. Toutes les branches ou presque sont concernées. Les entreprises investissent notamment beaucoup dans les actifs immatériels tels que les logiciels, la R & D. Elles y consacrent environ 24 % de leur valeur ajoutée. Le pic est sans nul doute atteint. Ce taux risque de ne plus progresser mais il va rester élevé.

Comment expliquez-vous cet appétit d’investissement des entreprises françaises ?

É. H. : Les entreprises profitent actuellement d’un contexte porteur. Elles disposent de capacités financières élevées. Avec la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de cotisations sociales patronales, qui se cumule avec le crédit d’impôts de 2018, les structures bénéficient en 2019 d’un double chèque, et d’une rentabilité de plus de 20 milliards d’euros. C’est une très bonne chose. Cela va renforcer leur trésorerie et augmenter leur taux d’autofinancement et leur taux de marge. Ce dispositif comporte néanmoins un effet pervers. Si la transformation du CICE en baisse de charges va améliorer les résultats des entreprises, elle va mécaniquement faire grimper l’impôt sur les sociétés. Les dirigeants qui n’embauchent pas de salariés vont réaliser plus de bénéfices, et donc augmenter leur impôt.

Cette probable hausse de l’impôt sur les sociétés ne va-t-elle pas être compensée par la baisse des taux de cet impôt, annoncée par le gouvernement et actée dans la loi de finances ?

É. H. : Le taux de l’impôt sur les sociétés va baisser en 2020 pour toutes les entreprises, y compris si leur chiffre d’affaires est égal ou supérieur à 250 millions d’euros, avec des trajectoires de baisse différenciées. Le taux continuera à diminuer jusqu’à 25 % en 2022 pour toutes les entreprises. Mais cela ne va pas compenser intégralement la hausse de l’impôt, sauf à ce que les entreprises utilisent la baisse de cotisations sociales en embauchant des salariés. Les entreprises feront ainsi moins de bénéfices, et diminueront d’autant leur facture fiscale.

Les baisses d’impôts à venir sont-elles une promesse de soutien de l’emploi sur les prochains trimestres ?

É. H. : On a l’impression que ces différentes mesures (baisse de l’IS et transformation du CICE en baisse de cotisations) enrichissent la croissance en emploi. L’enquête sur les « besoins en main-d’œuvre des entreprises » pour l’année 2019 (de Pôle emploi, NDLR) montre une nouvelle hausse importante des intentions d’embauche (+14,8 %). En 2019, 2,7 millions de projets de recrutements sont comptabilisés, soit le plus haut niveau observé depuis le début de la décennie. Une performance qui vaut d’être saluée, alors que la croissance oscille mollement entre 0,3 et 0,4 %. Les chiffres de l’Insee confortent également cette tendance de création d’emplois. Au premier trimestre 2019, 93 800 nouveaux postes ont vu le jour, soit une augmentation de 0,3 % par rapport au trimestre précédent.

Cette dynamique va se poursuivre en 2020. Les entreprises vont continuer à recruter, mais elles le feront dans des proportions moindres. Près de 100 000 emplois seront sans nul doute créés. Cette activité serait à même de prolonger la baisse du chômage. À l’horizon 2021, ce dernier demeurerait toutefois encore supérieur d’un point à son niveau du premier trimestre 2018 qui a marqué l’entrée dans la crise.

Ce haut niveau de création d’emplois fait resurgir des tensions sur les recrutements, dans l’industrie notamment. Quelles sont les solutions ?

É. H. : Les difficultés à recruter sont en hausse, mais c’est un signe que le marché du travail tourne bien. Elles ne vont nullement stopper les créations d’emplois. En 2015, il n’y avait pas de difficultés à recruter mais il n’y avait pas de création d’emplois. Certains secteurs comme l’industrie rencontrent beaucoup de difficultés pour recruter des ouvriers qualifiés et des techniciens, des carrossiers ou des soudeurs. Se posent la question de l’attractivité de ces métiers et la réflexion autour de l’apprentissage. C’est en amont et en travaillant avec l’Éducation nationale que l’on peut remédier à cela.

Une plus grande flexibilité du marché du travail en France pourrait-elle résoudre les problèmes de recrutement ?

É. H. : Vingt-six millions de contrats sont signés chaque année. 85 % sont des CDD. Les deux tiers, soit 66 %, sont des contrats à durée déterminée de moins d’un mois. Les entreprises recourent massivement aux contrats courts mais c’est un peu moins vrai qu’il y a quatre ans. En 2015, nous avons atteint le cap des 70 %. Ces durées de contrats faibles permettent aux entreprises de mieux gérer leurs besoins de main-d’œuvre. Il faut pouvoir les utiliser afin de donner une flexibilité aux entreprises.

Que pensez-vous du principe de bonus-malus sur les CDD ?

É. H. : Ces contrats courts coûtent cher à la société via l’assurance chômage. Se pose donc la question du financement de ces outils. Est-ce qu’on va demander à toutes les entreprises de les financer, aux chômeurs en baissant leurs droits ou aux structures qui utilisent ces contrats ? Le plus juste serait que les entreprises utilisatrices du dispositif en payent le prix. La proposition du Gouvernement d’instaurer un bonus-malus sur la cotisation d’assurance chômage payée par les entreprises issues de sept secteurs d’activité (hébergement-restauration, agroalimentaire, transports…) sur les 38 définis par l’Insee me semble toutefois trop restrictive.

La trajectoire de l’économie française reste sujette à d’autres aléas et notamment celui d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord. Quelles vont être les conséquences du Brexit sur les PME françaises ?

É. H. : Un hard Brexit, à savoir une sortie non ordonnée, pourrait amputer le PIB de 0,6 point réparti sur plusieurs trimestres, selon une évaluation conduite par l’Insee. Cela pourrait avoir de lourdes conséquences pour l’économie britannique et la France. Surtout en ce qui concerne les formalités douanières et le paiement des droits de douane. Environ 30 000 entreprises françaises exportent outre-Manche et 100 000 importent des produits britanniques, selon le recensement des douanes. Au cours des douze derniers mois, les entreprises hexagonales ont exporté 34 milliards d’euros de biens outre-Manche, principalement des produits agroalimentaires et des voitures. Cela a permis à la France de dégager un excédent commercial de 13 milliards d’euros, le plus élevé de tous les pays avec lesquels nous commerçons. Mais il faut relativiser la probabilité d’un hard Brexit. Cela ne reste pas le scénario central – la date butoir a été reportée au 31 janvier 2020 –, car il n’y aurait que des perdants. Il y aura un coût mais il ne sera pas d’une violence extrême. La création d’emplois pourrait être divisée par deux mais on ne tomberait pas en récession.

Faut-il anticiper d’autres risques mondiaux qui pourraient impacter la croissance des entreprises ?

É. H. : La montée des tensions en Europe et la mise en place de taxes américaines pourraient créer des nouveaux chocs et enlever deux à trois dixièmes de croissance si ces événements restent isolés. En revanche, si tous ces points de vigilance se produisent en même temps, les dégâts pourraient être beaucoup plus conséquents. La somme des chocs pourrait faire basculer la France dans une récession.

Doit-on craindre un nouveau choc pétrolier ?

É. H. : Je n’y crois pas. Avant la crise économique de 2007, le baril de pétrole était à 120 dollars. Aujourd’hui, il est à 60. Ni les tensions entre l’Iran et les États-Unis, ni les attaques de drones qui amputent potentiellement de 5 à 10 % la production mondiale de pétrole n’ont fait déraper durablement les prix.

La décision de la Banque centrale européenne de baisser à nouveau le taux de dépôt ne va-t-elle pas impacter à terme les entreprises ?

É. H. : La politique monétaire européenne arrive au bout de ce qu’elle peut faire. Elle a fait son job, et a permis de limiter l’instabilité financière, de jouer sur l’inflation et d’éviter la faillite de la zone euro. Désormais, la baisse des taux d’intérêt n’a plus aucun sens économique. C’est aux différents États d’agir, et d’utiliser différentes politiques et outils pour permettre aux économies de se rétablir. 2020 ne sera pas 2017, ni 2018. Nous resterons dans une phase de croissance économique, même si les prévisions de l’OCDE ont été légèrement revues à la baisse, avec une hausse limitée à 1,3 %, contre 1,4 % attendu. Ces performances resteront toutefois bien meilleures que celle de l’Allemagne, qui pourrait enregistrer une croissance de seulement 0,5 %.

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