Comment la crise du Covid-19 a changé le monde du travail  (ou pas)
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Comment la crise du Covid-19 a changé le monde du travail  (ou pas)

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Circulez, il n’y a rien à voir. La pandémie de Covid-19 n’aurait quasiment pas modifié le monde du travail, à en croire une étude de l’Institut Montaigne. Mais si la crise du coronavirus n’a pas tant révolutionné les pratiques, elle n’en a pas moins conforté ou accéléré certaines évolutions, montrent, en filigrane, les données recueillies par le cercle de réflexion.

Le distanciel "constitue la seule véritable rupture" introduite par la pandémie de Covid-19 dans le monde du travail, affirme l'Institut Montaigne. Et pourtant, son étude sur le sujet montre que les relations salariés-entreprises ne sont pas totalement sorties intactes de la crise sanitaire — Photo : Goodluz

Le "monde d’après" n’existe pas. L’Institut Montaigne en est en tout cas persuadé : contrairement à ce qui a pu être un temps annoncé, la pandémie de Covid-19 n’a pas vraiment révolutionné le rapport des Français au travail. Le cercle de réflexion en veut pour preuve les résultats d’un sondage Kantar Public, réalisé du 15 septembre au 3 octobre, auprès de 5 001 personnes. Mais derrière la conclusion péremptoire qu’il en tire, ses résultats montrent une réalité un peu plus contrastée.

Les Français contents de leur travail, moins de leur salaire

Premier signe évident de cette continuité entre l’avant et l’après-coronavirus : la satisfaction au travail reste à la fois forte et stable. Les répondants sont ainsi 77 % à évaluer leur bien-être professionnel avec une note supérieure à 6/10, dans la fourchette de précédentes enquêtes similaires, menées entre 2003 et 2019. La pandémie de Covid-19 n’a d’ailleurs pas déclenché d’épidémie de "paresse", se félicite l’étude : les personnes disposées à "travailler plus pour gagner plus" (31 % du panel) y apparaissent deux fois plus nombreuses que celles prêtes à faire le choix inverse ("travailler moins, quitte à gagner moins").

Autre indicateur mis en avant : les facteurs de mécontentement. Ils font, eux aussi, montre de constance entre l’avant et l’après-crise sanitaire : la rémunération arrive toujours en tête (46 % de mentions), devant l’absence de perspectives de carrière ou d’évolution professionnelle (42 %). Mais l’étude note l’émergence d’une nouvelle source de crispations : le télétravail.

Télétravail : une révolution plébiscitée au potentiel clivant

Un tiers des répondants se disent ainsi "très insatisfaits" des possibilités offertes par leur employeur de pratiquer le distanciel, ou pas. L’étude y voit même "une source de frustration assez forte, sans doute génératrice d’un nouveau clivage entre salariés". Une source de tension inévitable, dans la mesure où les postes d’une même entreprise ne sont pas tous, par essence, "télétravaillables".

L’Institut Montaigne n’en présente pas moins le distanciel comme "la seule véritable rupture" introduite par le Covid-19 dans le monde du travail. De fait, sa "progression fulgurante" saute aux yeux : 40 % des actifs interrogés le pratiquent au moins occasionnellement. C’est quasiment 6 fois plus qu’auparavant. Ce mode d’organisation est "véritablement plébiscité par les salariés" pour ses effets jugés positifs en matière d’efficacité, d’autonomie, mais aussi de vie familiale et professionnelle. Avec toutefois, pour corollaire, la sensation d’une intensité accrue du travail. Simple "ressenti", balaient les auteurs de l’étude, au motif que la durée effective passée à la tâche, elle, n’a pas bougé. Mais ils admettent aussi que le distanciel favorise des horaires qui n’ont plus d'"atypiques" que le nom, tant ils sont devenus courants. Ainsi, la "norme" traditionnelle (à savoir occuper son poste du lundi au vendredi, pendant la journée) ne concerne plus que 40 % des salariés à temps plein.

Par ailleurs, 6 personnes sur 10 déclarent que leur charge de travail a augmenté au cours des cinq dernières années, et ce, qu’ils soient télétravailleurs ou non. Or, cette pression n’est pas qu’une impression, finit par reconnaître l’enquête, dans une étrange pirouette. Elle souligne ainsi "l’importance majeure de la charge psychique dans le rapport au travail". Laquelle mènerait même "une forte minorité de salariés", dans "un cercle vicieux", allant jusqu’à "engendrer un nombre considérable de souffrances et de frustrations qui pèsent sur la santé physique, et surtout mentale", des personnes concernées.

Grande démission : un "mythe" au soupçon de réalité

L’enquête entretient la même ambiguïté autour de la "grande démission", phénomène volontiers qualifié de "mythe". Le niveau historiquement élevé des ruptures de contrat n’aurait rien à voir avec un nouvel état d’esprit post-pandémique ou une quelconque désaffection pour le travail. Il tiendrait plutôt à l’apparition de la rupture conventionnelle, en 2008, ainsi qu’à "l’amélioration du marché du travail […] tout particulièrement depuis la période post-Covid". Or, "un taux de chômage bas rend les transitions professionnelles moins risquées et accroît les opportunités de trouver un emploi plus satisfaisant", relativise d’abord l’institut. Avant, pourtant, d’admettre "qu’un tel comportement de fuite massive des salariés" pourrait bien être à l’œuvre "dans certains secteurs d’activité", et "vraisemblablement" l’hôtellerie, le commerce, la restauration, le transport et les loisirs. Soit une part non-négligeable de l’économie française !

De fait, l’étude ne nie pas les envies d’ailleurs des travailleurs : 55 % déclarent vouloir évoluer vers un poste différent au sein de leur entreprise, quand 37 % désirent quitter purement et simplement leur employeur actuel d’ici deux ans. Simplement, cette "volonté très marquée" d’évolution professionnelle est "souvent contrariée", avec "une grande majorité de projets [qui] ne se concrétisent pas".

Management : les entreprises pointées du doigt

Ultime preuve que cette période de crise n’a pas été aussi neutre qu’il veut bien le dire, l’Institut Montaigne appelle à en tirer plusieurs leçons. Avec, en premier lieu, une "urgence" à régler : le management des entreprises françaises, "en lien avec la qualité de vie au travail". Mal-être, absentéisme, charge psychique et clivage autour du distanciel… : "le management et les négociations sociales doivent absolument s’adapter à cette nouvelle donne", tonnent les auteurs, en conclusion de leur analyse. De même, l’évolution et la reconversion professionnelles restent un "chantier considérable", autant qu’une "nécessité économique et politique".

Enfin, le cercle de réflexion insiste sur "l’ampleur de la question salariale". Une problématique à ne pas sous-estimer, selon lui, car elle renvoie "à un ralentissement considérable et durable de la productivité du travail dans notre pays". Une "évolution inquiétante" de long terme… mais qui s’est, elle aussi, accentuée depuis l’irruption du Covid-19 : encore proche de sa tendance de longue période en 2019, selon la Dares (ministère du Travail), elle était 6,4 % en dessous au troisième trimestre 2022.

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