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Ronan Le Moal (Épopée Gestion) : "Décentraliser la France passe par les entreprises en région"
Interview Bretagne # Finance # Conjoncture

Ronan Le Moal cofondateur d’Épopée Gestion "Décentraliser la France passe par les entreprises en région"

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Ronan Le Moal, l’ancien directeur général de la banque Crédit Mutuel Arkéa, connu pour son goût pour le financement des start-up, est passé en 2020 du côté des entrepreneurs en créant, avec le dirigeant du groupe W3 Charles Cabillic, Épopée Gestion. Ce fonds d’investissement se définit comme une "entreprise d’investissement territoriale", avec comme objectif de faire naître des champions régionaux.

Ronan Le Moal a cofondé Épopée Gestion avec Charles Cabillic en 2020 — Photo : Isabelle Jaffré

Vous avez lancé Épopée Gestion en septembre 2020. Quel bilan tirez-vous de vos premières opérations ?

En 2020, avec Charles [Cabillic, entrepreneur et cofondateur d’Épopée Gestion, NDLR], nous avions cette idée : participer au mouvement de déconcentration de la France, pour ne pas dire décentralisation. Nous ne sommes pas des politiques. Par contre, nous connaissons un peu les entreprises, le digital et l’immobilier. Nous nous sommes dit que la meilleure chose à faire pour un terrain fertile comme la région Grand Ouest, et notamment la Bretagne, était d’aider les entreprises à se créer, à grandir, à se doter d’infrastructures. Ces entreprises vont créer de l’emploi autour d’elles et faire vivre des écosystèmes régionaux dynamiques. Ces "champions" en région vont tracter toute l’économie et vont faire de l’écologie, de l’aménagement du territoire.

Selon moi, la meilleure décentralisation, c’est celle qui se fait par l’économie et la création d’acteurs en région, à l’image de ce qu’ont pu faire Samsic ou La Brioche dorée. Y compris sur les grands sujets qu’on connaît tous, comme le transport, l’environnement. Il faut des boîtes qui justifient que l’on mette des infrastructures en place.

Vous avez commencé par un fonds sur l’innovation, pourquoi ?

Il s’agit d’aller accompagner les start-up naissantes. Nous ne cherchons pas forcément le Google de demain ou les start-up qui feront les plus belles levées de fonds mais celles qui feront de belles sorties pour nous et, surtout, de beaux champions en région. Le Grand Ouest recèle de beaux projets qui sont moins gourmands en capital, mais avec des gens qui demandent d’être bien accompagnés. Nous sommes en capacité de mettre de l’argent et de l’accompagnement. Nous avions repris la gestion de West Web Valley I et nous avons lancé le fonds West Web Valley II en juillet dernier, qui a levé 40 millions d’euros. Aujourd’hui, nous en sommes à 74 millions d’euros levés sur l’innovation.

Vous avez ensuite créé Transitions PME/ ETI…

Très vite, nous nous sommes dit qu’il y avait de la place également pour la partie financement des PME et des ETI. L’idée est née d’une discussion pendant le confinement en mars 2020 avec Nicolas Dufourcq (DG de Bpifrance, NDLR). Il m’a dit : "vous devez aussi réfléchir à la partie capital développement parce que la réalité, c’est qu’il faut aussi les champions en région pour réussir à faire une belle France". Et c’est vrai que l’on parle de réussite pour une start-up, quand elle lève 60 ou 100 millions d’euros, mais que la PME/ETI qui arrive à lever péniblement un million d’euros, c’est déjà un grand maximum. Nous avons donc lancé un fonds de capital développement Transitions PME / ETI pour les sociétés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 150 millions d’euros.

Nous investissons de manière minoritaire par un ticket qui représente 20 à 30 % du capital. Et comme pour l’innovation, nous appliquons la même logique d’accompagnement. Nous avons levé plus de 100 millions d’euros sur cette thèse d’investissement auprès de gens comme Bpifrance, la région Bretagne, des entreprises (Matmut, Macif…) et des family offices.

Votre dernier véhicule concerne l’immobilier, pourquoi ?

Il y avait quelque chose à faire dans les infrastructures, donc l’immobilier de bureaux, la logistique. Notre fonds a une capacité d’investissement de 260 millions d’euros. Nous avons déjà investi 150 millions d’euros en achetant une quarantaine d’actifs dans la région Grand Ouest : des bureaux, des locaux d’activité ou de la logistique. L’idée est d’éviter aux entrepreneurs de financer leurs locaux eux-mêmes ou par de la dette bancaire.

Vous avez aussi réalisé des opérations en rachetant des locaux à des entreprises pour leur relouer. Quel est l’intérêt ?

Cela s’appelle du lease-back. Nous l’avons fait avec le groupe Bodemer et Klap France. Les concessions ou l’usine ne sont plus immobilisées dans le bilan. Les entreprises récupèrent de la capacité à investir. Elles libèrent des fonds propres pour de l’investissement, de la croissance, etc. Ce sont des opérations qui font sens pour les entrepreneurs et nous espérons en faire d’autres demain.

Au total, combien d’argent avez-vous mobilisé ?

Nous avons aussi été choisis pour distribuer les obligations Relance aux entreprises du grand Ouest. Aujourd’hui, nous en sommes à 470 millions d’euros de capacité d’investissement. Nous en avons déployé à peu près la moitié : 260 millions d’euros. Nous avons commencé il y a deux ans à 5 personnes, nous sommes 30 désormais à Brest, Nantes et Paris. Sur le fonds PME/ ETI, nous avons vu 300 dossiers et réalisé quatre opérations à ce jour : Vnaya Village, Le Roy Logistique, Entech et Ideal Groupe. C’est un bon ratio car il faut être très sélectif.

Vous allez chercher de l’argent auprès d’autres fonds, nationaux notamment. Pourquoi passent-ils par vous plutôt que d’investir directement ?

Quand vous discutez avec des fonds comme Amundi, ils comprennent bien l’intérêt d’investir à Saint-Brieuc, à Lorient, à Rennes, à Quimper ou à Nantes. En revanche, ils n’ont pas d’équipes capables sur le terrain de mobiliser du temps et de l’énergie pour connaître l’écosystème. Les fonds nationaux ne connaissent pas toutes les entreprises que nous, nous connaissons, à l’image d’Entech par exemple. Nous sommes une espèce de proxy qui leur permet d’être sur le terrain. Chez Épopée Gestion, nous sommes collés au territoire et nous connaissons bien les entrepreneurs. Nous savons gérer des actifs. Cela donne lieu à des projets.

La finance responsable est à la mode. Vous y intéressez-vous ?

Faire naître des acteurs régionaux contribue au verdissement de l’économie. On produit et on consomme sur place, en circuit court. Une meilleure écologie passe par un meilleur aménagement du territoire. Parmi les critères de nos fonds, nous avons également mis des critères extra-financiers comme la RSE, l’environnement, etc.

Nous avons aussi créé un fonds de dotation indépendant qui va permettre d’ouvrir des commerces de proximité par exemple. On ne gagnera pas d’argent là-dessus mais nous voulons contribuer aussi comme cela au dynamisme du territoire.

Le FMI annonce une récession mondiale. Comment envisagez-vous les années à venir dans le Grand Ouest ?

Je crois qu’il faut faire attention aux prophéties autoréalisatrices. Je suis en train de dire que tout va bien. Mais il y a beaucoup d’acteurs du financement de l’économie qui disent "ça ne va pas bien aller demain". À force de le dire, ça va finir par ne pas aller effectivement car ils vont arrêter d’investir ou de prêter et les entreprises ne seront plus financées. C’est un peu caricatural, mais il y a un peu de ça, donc il faut faire très attention à ce que l’on dit.

Je pense que nous aurons un creux en 2023. La suite dépendra de l’inflation. Mais je pense que l’économie peut repartir en 2024. Notamment parce que la crise du Covid a appris aux dirigeants à adapter les modes de travail, à gérer au mieux sa trésorerie, etc. Cela a créé une forme de carapace qui, à mon avis, pourrait être potentiellement un petit amortisseur.

La Bretagne a-t-elle des atouts pour résister à ce creux ?

La région a beaucoup d’atouts. Je pense à de beaux projets comme ceux autour du fret à la voile. Je pense aussi qu’il faut arriver à mieux mettre en avant les entreprises. Pas pour la gloriole. J’estime que la modestie est une vraie qualité. Il ne faut cependant pas rester dans son coin et montrer qu’il y a de belles entreprises, de belles aventures qui grandissent ici. C’est un travail que l’on peut faire en tant que fonds d’investissement mais les entrepreneurs eux-mêmes doivent accepter de se montrer un peu.

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