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"Le nombre de redressements judiciaires ne correspond pas à la réalité économique"
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Dominique Maguer président du tribunal de commerce de Brest "Le nombre de redressements judiciaires ne correspond pas à la réalité économique"

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Alors que les mesures d’aides gouvernementales maintiennent toujours l’économie sous perfusion, Dominique Maguer, le président du tribunal de commerce de Brest, appelle les dirigeants en difficulté à se mettre le plus tôt possible sous la protection de sa juridiction pour augmenter les chances de survie de leur entreprise.

Dominique Maguer, par ailleurs directeur général de la holding Pen Allen, préside le tribunal de commerce de Brest depuis janvier 2020 — Photo : Jean-Marc Le Droff

Quelle est votre analyse de la situation économique en ce début d’année 2023 ?

L’économie est toujours sous cloche car le gouvernement a pris de nombreuses mesures pour alléger au maximum la pression sur les entreprises. Actuellement, par exemple, les Urssaf ne poursuivent pas les entreprises qui ne respectent pas leur échéancier de paiement. Elles se contentent de mises en demeure, alors qu’en temps normal ces entreprises auraient déjà été assignées en redressement judiciaire.

Les 177 procédures collectives que nous avons enregistrées en 2022 au tribunal de commerce de Brest (contre 226 en 2019) ne correspondent donc pas à la réalité de la situation économique. Certes, les entreprises continuent à se payer entre elles. Mais certaines ont accumulé trop de passif et risquent de mettre en danger les autres quand elles devront en plus rembourser les prêts garantis par l’État et les créanciers sociaux.

Quid de la flambée des coûts de l’énergie, qui constitue également un risque pour la trésorerie des entreprises ?

Pour y faire face, le gouvernement a rajouté une vague de mesures qui peuvent paraître insuffisantes, mais qui sont malgré tout énormes et viennent s’ajouter aux aides que nous avons citées précédemment. L’impact de la hausse des prix varie beaucoup d’une entreprise à l’autre, en fonction du métier et du type d’énergie utilisé. Dans certains cas, la facture d’électricité peut grimper jusqu’à 400 % d’augmentation, alors que les aides ne couvriront qu’environ 25 % du surcoût. Cela veut dire que ces entreprises garderont à leur charge entre 70 % et 80 % de la hausse.

Certains dirigeants avaient négocié les prix pour 2023 en 2021, mais les hausses finiront quand même par arriver. Et lorsque l’énergie représente 3 % du chiffre d’affaires d’une entreprise, qui est le seuil défini par le gouvernement pour bénéficier des aides, une multiplication par quatre de la facture énergétique peut rapidement peser plus de 10 % du chiffre d'affaires.

>> Lire notre enquête : "Comment les PME se sont retrouvées prises au piège de la crise de l'énergie"

Comment évolue la typologie des entreprises qui se placent sous la protection du tribunal de commerce de Brest ?

Jusqu’en 2019, environ 25 à 30 % des entreprises en difficulté demandaient leur placement en redressement, car elles avaient espoir de pouvoir repartir. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 16 %. Or, plus on attend, plus on accumule de passif, ce qui réduit considérablement les chances de survie de l’entreprise. À cela s’ajoute bien souvent une forme de découragement pour les dirigeants car, à 50 ans, quand on a accumulé un passif élevé, c’est difficile de se dire qu’on va passer les dix prochaines années à dégager du bénéfice pour éponger les dettes.

Un autre phénomène concerne la taille des entreprises qui nous sollicitent. En 2018, elles employaient en moyenne 3,2 salariés. Aujourd’hui, ce chiffre est descendu à 2,1 salariés, ce qui signifie que ce sont davantage les petits commerçants et les TPE, notamment du BTP, qui sont en difficulté. C’est un indicateur inquiétant pour le tissu économique local. Dans ce contexte, il est très important de rappeler aux dirigeants en difficulté de ne surtout pas attendre pour s’intéresser, via les entretiens de prévention que nous organisons sur simple demande, aux procédures amiables et confidentielles, car elles multiplient les chances de survie de leurs entreprises.

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