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En Bretagne, une filière drone parée au décollage
Enquête Bretagne # BTP

En Bretagne, une filière drone parée au décollage

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S’appuyant sur un axe Rennes-Lannion, une filière bretonne des drones cherche à prendre son envol. De la conception des drones jusqu’à la formation des utilisateurs, ce regroupement d’entreprises bretonnes pourrait notamment se spécialiser autour des drones sous-marins.

Alain Le Bouffant, président d’Anticipa, et Didier Marchandise, président de Bretagne Aerospace, figurent parmi les locomotives du projet de création de filière — Photo : Matthieu Leman

En ce jour d’automne ensoleillé, l’aéroport de Lannion accueille une manifestation portant sur l’utilisation des drones dans le domaine maritime. Une centaine de personnes est présente. Il y a des donneurs d’ordres, en majorité publics, comme les Affaires Maritimes, la Marine Nationale, le Secrétariat Général de la Mer, le SDIS… À leur côté, 47 entreprises, à la fois des PME et des grands groupes, venus de toute la France, pour présenter leurs solutions.

"Les usages des drones dans le domaine maritime sont étendus et nombreux", souligne Frédéric Renaudeau, conseiller Défense du Pôle Mer Bretagne Atlantique, le pôle de compétitivité organisateur de la journée. "Il peut s’agir de besoins de surveillance, de positionnement, de communication, dans les domaines de la sécurité, de la pollution, de l’océanographie, de l’aménagement du territoire…" Drones de longue élongation, destinés à de longs vols au-dessus de l’eau, drones à courte portée, drones sous-marins… : "Le sujet explose", s’enthousiasme le Breton. "On ne compte plus les domaines d’activité liés à la fabrication et aux usages des drones, que ce soit l’intelligence artificielle, avec le management de mission, c’est-à-dire la préparation et le suivi du vol ; l’intégration et le traitement des données ; les charges utiles, l’électronique, les systèmes de détection…"

Frédéric Renaudeau, conseiller Défense au Pôle Mer Bretagne Atlantique, dénombre de multiples utilisations aux drones — Photo : Matthieu Leman

Trois structures poussent la dynamique

C’est pour profiter de ce business qui existe déjà mais qui possède encore plus d’opportunités futures qu’une filière bretonne du drone est en cours de lancement. À l’origine de cette volonté, figurent la technopole lannionaise Anticipa, le cluster Bretagne Aerospace, basé à Saint-Brieuc, et l’agence économique régionale Bretagne Développement Innovation, située à Rennes. "Nous avons déjà un nom : la CIDR, pour Coordination Interacteurs des Drones", indique Alain Le Bouffant, président d’Anticipa. "Nous travaillons à sa création, qui pourrait se concrétiser en 2022 avec l’installation d’un comité d’animation. La filière embrassera toutes les composantes des drones, de la conception à l’usage."

La nouvelle association s’appuiera notamment sur le Centre Technologique Drone Ouest (CTDO), le centre d’essai né en septembre 2019 sur le site de l’aéroport de Lannion. "Depuis deux ans, une dizaine d’essais a eu lieu, plutôt réalisés par de grands groupes comme Thalès et Orange. Avec ce centre, on peut construire sur du réel."

"La filière portera deux projets : développer le CTDO et créer un plateau technique, ici à Lannion, de partage de solutions entre les dronistes et les apporteurs de solutions bretons, appuie Didier Marchandise, président de Bretagne Aerospace, qui mobilise ses 160 adhérents. La Bretagne est une terre d’électronique. Notre rôle est d’intéresser les entreprises à cette activité émergente, par exemple dans le domaine des capteurs."

"Proposer une réponse régionale en Bretagne fait sens car il y a un vide sur la carte dans l’Ouest"

L’idée est d’agréger ces entreprises technologiques bretonnes, qui travaillent aujourd’hui parfois pour le secteur mais chacun de leur côté, sans se concerter ni forcément savoir que ses voisins bretons peuvent proposer des solutions complémentaires. "Nous souhaitons mobiliser les compétences de ces entreprises pour leur montrer l’intérêt de cette activité du drone mais aussi les rendre les visibles auprès des donneurs d’ordres", ajoute Didier Marchandise. "Car aujourd’hui, la majorité des composants est achetée à l’étranger."

Combien d’entreprises interviennent en Bretagne sur ce marché en plein essor ? Difficile à dire, aucune étude recense ces sociétés travaillant dans le secteur des drones. Un recensement qui est l’un des premiers objectifs des promoteurs de la filière.

L’intérêt de se structurer se retrouve également parmi les acteurs. "La filière, je l’entends mais au niveau national. En revanche, proposer une réponse régionale en Bretagne fait sens car il y a un vide sur la carte dans l’Ouest", estime Anne-Marie Haute, à la tête de Pilgrim Technology, basée à Nantes (850 000 euros de CA en 2020, 20 salariés). Pour l’entrepreneuse, qui évolue dans le secteur depuis 1992, il faut "une structure pour faire le job et doter la région de la capacité de tester et de valider les machines, par exemple. Aujourd’hui, je dois aller à Bordeaux ou en région parisienne."

Rennes, place forte bretonne du secteur

"En Bretagne, il y a déjà une belle dynamique en place", poursuit Anne-Marie Haute. Certes, la région ne compte pas (encore) de constructeurs de drones majeurs, comme peut l’être le groupe parisien Parrot, l’un des premiers fabricants mondiaux, qui affiche 57 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Mais elle dispose de start-up et de PME capables de développer des technologies ou de proposer des services. Comme les laboratoires de tests antennes et de comptabilité électromagnétique situés à Rennes, comme celui de TDF, ou encore Inpixal, toujours à Rennes, qui équipe notamment certains drones de boules optroniques, qui permettent de suivre automatiquement, avec une caméra, un objet en mouvement.

Stéphane Wiart, cofondateur et associé du centre de formation Digital Works Aircraft, voit son activité liée aux entreprises se développer — Photo : DR

La capitale bretonne se révèle l’une des places fortes régionales du secteur, puisqu’elle compte également Digital Works Aircraft, basée à Chavagne, qui avec neuf collaborateurs, un deuxième établissement à Ancenis, près de Nantes, une trentaine de drones et 200 personnes formées chaque année, compte parmi le top 5 des centres de formation en France dédiés au pilotage de drone civil. "Nous existons depuis 2012, explique Stéphane Wiart, cofondateur et associé de la TPE. Nous sommes de plus en plus tournés vers les entreprises. Que ce soient des porteurs de projets souhaitant devenir prestataires de services, des chefs d’entreprise dans le domaine du BTP ou des groupes industriels. Un drone, ça ne coûte pas cher et le retour sur investissement est très vite amorti." Autre acteur rennais, Inanix (naissance en 2021, trois salariés) conçoit des drones sur mesure pour des besoins spécifiques. Exemple, le travail mené par la start-up pour le compte de l’Institut de recherche criminalistique de la Gendarmerie nationale. "Nous avons développé un appareil pour la reconnaissance des scènes de crime, avec la contrainte qu’il ne devait pas y avoir de flux d’air vers le bas, pour ne pas disperser des preuves éventuelles", explique le président fondateur, Aurélien Tricault. Inanix conçoit également des drones pour équiper les bateaux de courses aux larges. Ces appareils pourraient, en totale autonomie, décoller et réaliser des prises de vues aériennes.

L’émergence du sous-marin

Un autre domaine de développement se situe sous les mers. En octobre 2021, le gouvernement a annoncé le Plan France 2030, doté de 30 milliards d’euros, dont un volet prône une exploration accrue des fonds marins pour y trouver de nouvelles ressources. La Bretagne paraît bien placée pour obtenir une part du gâteau puisqu’elle compte dans ce domaine des acteurs émergents prometteurs.

Seaber est née à Lorient en 2020 autour de quatre ingénieurs et soutenue depuis peu par la société vendéenne de robotique MG Tech — Photo : DR

Seaber est de celles-là. "Sous l’eau, la navigation d’un drone ne peut pas relever uniquement du GPS. L’exigence technologique est telle qu’il existe peu d’entreprises capables de rivaliser sur ce segment. De fait, les produits disponibles sur le marché sont difficiles à mettre en œuvre et très chers, au moins 150 000 euros l’unité", souligne Vidal Teixeira, président cofondateur de l’entreprise. Née à Lorient en 2020 autour de quatre ingénieurs et soutenue depuis peu par la société vendéenne de robotique MG Tech, cette start-up entend changer la donne avec Yuco, un micro AUV (Automated Underwater Vehicle) qui n’excède pas 10 kg. "Avec des prix allant de 20 000 à 50 000 euros, nous avons commencé la commercialisation de cinq modèles différents. Parmi eux, Yuco Scan, le plus petit drone du marché avec ses 93 cm de long, peut cartographier les fonds marins jusqu’à 300 mètres de fond avec une autonomie de dix heures." Seaber vise un chiffre d’affaires de huit millions d’euros et une trentaine d’emplois d’ici 2025.

Toujours dans le Morbihan, lancée à Caudan en 2010 et rachetée fin 2021 par Sea Vorian, RTsys (cinq millions d’euros de CA ; 36 salariés) travaille, elle, sur des modèles plus sophistiqués avec notamment des applications militaires. Son expertise en ingénierie acoustique, en électromécanique et en informatique lui a ouvert progressivement le marché des drones. Pouvant atteindre des vitesses de quinze nœuds, ses AUV de type Sema équipent la Marine nationale afin de simuler des attaques de torpilles. Avec NemoSens, un modèle plus compact à usage scientifique, RTsys nourrit de nouvelles ambitions : "Nous souhaitons rapidement accéder au palier des 3 000 mètres de profondeur", assume Laurent Dufréchou, directeur technologique et cofondateur de l’entreprise.

Réduire les risques des inspections

Installée depuis tout juste un an au Relecq-Kerhuon (Finistère), Irwaz Explorer fait de son côté figure de pionnière en Bretagne en se spécialisant uniquement dans le secteur de l’exploration sous-marine par ROV (Remotely Operated Vehicule). Grâce à son robot de 40 kg piloté depuis la surface grâce à un câble "ombilical", l’entreprise multiplie les chantiers dans le domaine des énergies marines renouvelables et de la recherche. "Les champs d’application sont immenses car on peut évoluer sans limite de temps en eau douce ou salée, en milieu ouvert ou confiné, en bord de mer ou au large, etc.", exposent Frédéric Le Potz et Julien Le Mével, les deux anciens de l’offshore qui ont créé l’entreprise. Parmi leurs références, après seulement un an d’existence et en pleine crise sanitaire, des noms bien connus tels qu’Ifremer, le fabricant d’hydroliennes Sabella (Quimper) ou encore Ailes Marines, le constructeur du parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, qui voient dans cette offre un moyen de réduire les risques liés au travail des scaphandriers à des profondeurs dépassant les 40 mètres.

Irwaz Explorer s’est spécialisée dans le secteur de l’exploration sous-marine par ROV (Remotely Operated Vehicule) — Photo : Irwaz Explorer

Reste que pour fédérer en filière tous ces acteurs, ses promoteurs doivent encore convaincre certains d’entre eux de son utilité. "Je ne sais pas si cela amène quelque chose", se demande par exemple Vincent Muller, dirigeant de Drone Act, basée à Malestroit (Morbihan), qui fabrique des drones en impression 3D. "Il y a beaucoup de discussions, il faut des actes concrets et savoir quelles aides seront apportées aux entreprises notamment pour les TPE car il y a beaucoup de R & D qu’il faut autofinancer." "Structurer une filière, c’est se donner les uns les autres l’opportunité de mieux connaître ce que font les entreprises, afin de se mobiliser sur un objectif commun et dynamiser un collectif. S’en donner les moyens, ça vaut le coup", milite Didier Marchandise, qui n’exclut pas que la filière puisse un jour répondre à des appels d’offres. En attendant, une journée réunira les entreprises de la future filière le 24 février, pour deux tables rondes. Le décollage est bien lancé.

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