Seuils sociaux : un allègement salvateur ?
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Seuils sociaux : un allègement salvateur ?

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Le projet de loi Pacte prévoit la suppression du seuil social de 20 salariés. Une mesure que les dirigeants d'entreprise accueillent favorablement, les libérant de certaines contraintes administratives.

Pour calculer son effectif, il faut à la fois se référer au code de la Sécurité Sociale et au droit du travail. Ce qui peut déboucher sur des résultats différents — Photo : STUDIO GRAND OUEST - stock.adobe.com

« C’est idiot, mais c’est vrai qu’on fait le compte tous les ans ». Ce qu’Eric Lejeune calcule aussi méticuleusement, ce sont le nombre de CDI, de CDD et d’intérimaires que sa PME spécialisée dans les travaux de décoration emploie. Depuis huit ans, Lejeune Décoration stagne à 19 salariés. Et pas un de plus. Le recrutement d’un collaborateur supplémentaire amènerait cette PME familiale créée il y a 60 ans à franchir le seuil des 20 salariés. Avec, à la clé, de nouvelles contraintes, comme la mise en place d’un règlement intérieur.

« Mais ce sont surtout des cotisations supplémentaires, prévient Elodie Tabel-Diffaza, responsable de la gestion sociale pour le cabinet d’expertise-comptable In Extenso : contribution au fonds d’aide au logement, participation à l’effort construction, versement transport et, pour couronner le tout, fin des exonérations fiscales liées aux heures supplémentaires ». Tout sauf une bonne nouvelle pour le dirigeant. « Beaucoup de nos concurrents sont des structures de moins de dix salariés qui ne sont pas soumises à ces charges. C’est une question de compétitivité », explique Eric Lejeune.

Le seuil des 20 salariés supprimé

Comme beaucoup d’autres, il ne devrait bientôt plus avoir besoin de surveiller ses effectifs comme le lait sur le feu. Dans le cadre de la loi Pacte, Bruno Le Maire vient en effet d’annoncer la suppression des obligations sociales et fiscales liées au seuil des 20 salariés, à l’exception de l’obligation d’emploi de personnes en situation de handicap. Autre mesure annoncée par le ministre de l’Economie : il faudra avoir dépassé pendant cinq années consécutives les seuils de 10 et de 50 salariés pour que s’appliquent les obligations qui leur sont associées.

« Tout cela va dans le bons sens », se félicite François Asselin, président de la CPME, pour qui les seuils sociaux constituent de « vraies contraintes pour les petites entreprises ». Dirigeant de la société de services informatiques ACII, Pascal Rous sait très bien de quoi il en retourne. Créateur de la PME il y a 18 ans, il a franchi sans encombre le cap des 10 et des 20 salariés. Avant de caler devant la barre des 50. « Du jour au lendemain, vous vous retrouvez face à plusieurs dizaines de nouvelles obligations », souffle-t-il. Les principales sont liées au dialogue social. L’entreprise est ainsi amenée à redéfinir son mode de management, du fait des nouvelles prérogatives des représentants du personnel. Le comité d’entreprise, les élections professionnelles et la participation voient par ailleurs le jour. « Le coût financier du franchissement de ce seuil correspond à 3% de ma masse salariale », estime Pascal Rous. « C’est le seuil le plus compliqué à passer parce que la charge sur le plan administratif et social est considérable », juge François Asselin.

Les contraintes imposées par les différents seuils sociaux font que la démographie des entreprises françaises est quelque peu étrange. « Il y a 2,4 fois plus d’entreprises de 49 salariés que d’entreprises qui emploient 51 collaborateurs », assure le président de la CPME. Selon une étude de l’Insee, cela est également vrai pour le seuil de 20 et, dans une moindre mesure, pour celui de 10 salariés. On tiendrait donc la preuve que les seuils sociaux empêchent les PME françaises de s’épanouir.

« Les seuils, je m’en balance »

C’est pourtant loin d’être l’avis de tous les entrepreneurs. Créateur il y a quatorze ans de Sygmatel, une entreprise de 285 salariés, Olivier de la Chevasnerie a passé les principaux seuils sociaux sans sourciller. « Les seuils, je m’en balance ! Cela n’a jamais été un sujet. Je suis sûr qu’ils ont un impact, mais je suis là pour développer mon entreprise. Après, j’applique la réglementation, je fais ce que la loi me demande », indique le chef d’entreprise, un brin provocateur : « Quand je vois un dirigeant qui emploie 49 salariés, je lui demande : « C’est ça ton projet » ? ».

Après un bon moment d’hésitations, celui de Pascal Rous a fini par changer. Le dirigeant a franchi le Rubicon fin 2017. En quelques mois, ACII a recruté une douzaine de personnes et emploie aujourd’hui 61 salariés. « Cela fait un peu peur, cela réclame du boulot… mais je n’ai aucun regret ! », appuie le dirigeant. Le service administratif a été renforcé pour répondre aux nouvelles contraintes réglementaires. L’enjeu consiste désormais à accélérer. « Il nous faut monter à 70 ou 80 salariés pour que la hausse de notre chiffre d’affaires soit en mesure d’absorber les nouvelles charges imposées par ce seuil », confie Pascal Rous.

La santé économique de l’entreprise est en effet la donnée déterminante pour le passage d’un seuil. « Quand vous êtes dans un modèle de croissance à deux chiffres et que la croissance est saine, c’est bien plus facile que lorsque vos marges sont faibles », constate François Asselin. Sous ce prisme, le projet du gouvernement de lisser sur cinq ans le mode de calcul des seuils de 10 et de 50 salariés apparaît très judicieux. Car, comme le rappelle Gérard d’Espalungue, dirigeant d’Allo Standard (15 salariés), « la vie d’une entreprise est faite de phases de croissance et de récession. Cinq ans, cela laisse du temps pour se développer, se préparer et, surtout, cela va permettre d’éviter l’effet boomerang lié à une conjoncture qui se retourne ». L’allègement des seuils devrait donc permettre à nombre de dirigeants de PME de sortir quelque peu d’un modèle de gestion schizophrénique puisque s’appuyant, par nécessité, sur des règles administratives.

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