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Le bilan carbone, nouvel outil stratégique des entreprises
Enquête France # Transition écologique

Le bilan carbone, nouvel outil stratégique des entreprises

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D’abord lié à l’avenir climatique de la planète, le bilan carbone s’avère un outil précieux pour le pilotage de l’entreprise. Réglementation, intérêts environnementaux et managériaux vont le rendre incontournable.

De plus en plus d’entreprises ont recours au bilan carbone pour comptabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre — Photo : Natalia

"Le bilan carbone, pour nous, c’est central". Sylvie Casenave-Péré dirige l’entreprise d’emballages sarthoise Posson Packaging (108 salariés, 32 M€ de CA), qui vient de publier son 16e bilan carbone. Non seulement, ceux-ci ont permis de réduire de 66 % les émissions de gaz à effet de serre de la PME, mais ils ont aidé aussi à piloter les décisions stratégiques de l’entreprise. Grâce au bilan carbone, "nous mettons en place des processus qui permettent à l’entreprise d’améliorer sa rentabilité, tout en réduisant son impact environnemental", assure la dirigeante.

Ce que mesure le bilan carbone

À l’instar de Posson Packaging, de plus en plus d’entreprises ont recours à cette méthode mise au point par l’Ademe pour comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre, en transformant l’activité en équivalent CO2. "Si le bilan carbone est réalisé dans les règles de l’art, c’est actuellement le niveau le plus poussé pour analyser ses émissions de gaz à effet de serre", assure Sean Coq, de l’Ademe Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.

Le cabinet rennais O2M fait partie de ces entreprises qui réalisent des bilans carbone. La PME est en pleine croissance. Elle comptait 25 collaborateurs en 2022, pour un chiffre d’affaires de 1,7 million d’euros. Elle emploie désormais 50 salariés. Pour ces diagnostics, O2M mesure tout ce qui est possible de mesurer, aussi bien les émissions directes qu'indirectes de l'entreprise. C’est-à-dire : énergies, matières premières, services (intérim, assurance), matériel informatique, téléphonie, emballages, transports amont et aval (y compris entre usines d’un même groupe), transport des salariés, leurs trajets pour venir au travail, les déchets (impact différent selon qu’ils sont recyclés ou enfouis), et enfin les immobilisations.

Obligations légales et incitations

Si la démarche a longtemps été volontaire, la loi Grenelle 2 l’a rendue obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés avec, en toile de fond, l’objectif de la Stratégie nationale bas carbone, qui vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. À la loi Grenelle 2, s’ajoute la nouvelle directive européenne CSRD : pour l’exercice 2024, les entreprises de plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et de plus 500 salariés devront présenter une comptabilité extra-financière, qui rendra compte de leur impact environnemental et social.

Toutefois, que le bilan carbone soit une obligation importe peu, note Olivier Messager, le dirigeant d’O2M : "Tout le monde commence à le faire, poussé par la demande du marché, en premier lieu, mais aussi des salariés et des banques. Les grands donneurs d’ordres demandent à leurs fournisseurs de respecter a minima les scopes 1 et 2 des bilans carbone (les émissions directes de l’entreprise et les émissions indirectes si elles sont liées à la consommation énergétique, NDLR). Les banques le font pour leurs prêts à impact. Et cela joue aussi pour le recrutement et la marque employeur. 90 % de nos mille clients sont sous les seuils réglementaires : la démarche n’est pas obligatoire pour eux, mais ils la font tout de même".

"Nous accompagnons principalement des PME, non soumises à l’obligation", confirme Fabien Lallemand, directeur des activités de conseil et d’appui aux entreprises à la CCI Bordeaux Gironde. "Elles sont poussées par trois raisons principales : d’abord, répondre aux attentes des parties prenantes, clients, fournisseurs, mais aussi futurs salariés. Ensuite, améliorer leur performance énergétique, réduire leurs coûts. Enfin, atténuer leur impact environnemental, sans contrepartie attendue".

"Avec le bilan carbone, on y gagne. Nous revoyons nos process et améliorons notre rentabilité"

"Avec le bilan carbone, on y gagne. Nous revoyons nos process et améliorons notre rentabilité", témoigne Sylvie Casenave-Péré. Le bilan carbone a mis au jour deux postes principaux émetteurs de CO2 chez Posson Packaging : les matières premières, "sur lesquelles on ne pouvait pas faire grand-chose", et les transports, pour lesquels des décisions stratégiques ont été prises. Le choix de positionner la nouvelle usine près d’une sortie d’autoroute avait déjà contribué à réduire l’empreinte carbone. Une nouvelle étape va être franchie avec l’extension de la plateforme de plus de 6 000 m2. "Nous allons supprimer le trafic des navettes entre les plateformes qu’on loue et notre site. Ainsi, nous économiserons 833 tonnes de CO2 par an".

Est-ce que l’entreprise réussit à mieux vendre ses prestations grâce à son bilan carbone ? Oui et non, affirme Sylvie Casenave-Péré. L’argument de la communication ne joue pas, estime la dirigeante. "Cela ne nous a pas amené de nouveaux clients. On peut avoir une communauté de vue avec certains mais ils ne nous ont pas choisis pour cela". Par contre, les actions dont découlent les bilans carbone peuvent s’avérer bénéfiques pour le business. "Nous avons fait les bilans carbone pour sauvegarder notre activité". Et cela a fonctionné. "Avec l’écoconception, vous remettez l’entreprise en situation de rentabilité parce que vous ne gâchez plus. Nous réalisons des économies de matière et de volume pour le transport", poursuit la dirigeante sarthoise. Les améliorations obtenues à la suite des bilans carbone ont donné des avantages compétitifs : "Quand nous démarchons un nouveau client, nous lui garantissons qu’il va réduire sa consommation d’emballages de 15 à 20 %".

Créer une culture carbone

Pour Olivier Messager, le dirigeant d’O2M, "il faut que les entreprises s’approprient vite les notions liées à leur bilan carbone, que cela devienne un réflexe. Elles n’ont pas d’ordre de grandeur lié à leur production. Celui qui vend du yaourt doit savoir combien vaut un yaourt en CO2. C’est une nouvelle devise".

"Nous avons répété nos bilans carbone chaque année. Comme un sportif qui s’entraîne, la répétition permet de s’améliorer. Au fil du temps, nous avons acquis la culture", confirme Sylvie Casenave-Péré. "Au départ, le plus dur est de collecter les données. Aujourd’hui, nous avons automatisé beaucoup de remontées de données." Cela permet de se concentrer sur les points à travailler, les solutions à trouver, "de voir émerger des solutions techniques et d’en comprendre l’intérêt, parce que, justement, nous avons acquis cette culture." En 2022, Élisabeth Borne demandait aux entreprises de développer un plan de sobriété énergétique. "Trois jours après, nous avions notre plan chez nous, mis en place, qui nous a permis de faire plus d’économies de consommations en volume que prévu !", conclut Sylvie Casenave-Péré.

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