La semaine de 4 jours séduit de plus en plus d’entreprises
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La semaine de 4 jours séduit de plus en plus d’entreprises

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Alors que la réforme des retraites a été votée non sans heurts, le gouvernement a demandé au patronat et aux organisations de salariés de plancher sur un "Pacte de la vie au travail" pour améliorer la qualité de vie au travail. La semaine de travail à 4 jours y trouvera-t-elle sa place ? Cette organisation du travail séduit de plus en plus d’entreprises.

Employant 1 100 salariés, le groupe lyonnais LDLC a mis en place la semaine de 4 jours en 2021 — Photo : LDLC

Pendant un an, les agents de l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) de Picardie vont tester la semaine de 36 heures en quatre jours. C’est ce qu’a annoncé Gabriel Attal, le ministre chargé des Comptes publics. Les règles du jeu sont claires : les salariés assument la même charge de travail qu’auparavant mais sur un moins grand nombre de jours et perçoivent 100 % de leur salaire.

Des expérimentations partout en Europe

Depuis la crise sanitaire, les expérimentations se multiplient en Europe – au Royaume-Uni, en Suède, en Islande, en Belgique et en Espagne par exemple. Outre-Manche, un essai grandeur nature de six mois auprès de 3 000 salariés du secteur privé s’est conclu avec un certain succès, les chercheurs de l’université de Cambridge révélant notamment les effets positifs sur le bien-être du personnel et sur la rétention des salariés. À l’issue, la majorité a opté pour un maintien du dispositif. Outre-Rhin, la question fait également débat : IG Metall, le plus gros syndicat allemand de l’industrie sidérurgique (2,2 millions d’adhérents, soit trois fois la CGT), réclame la semaine de travail de quatre jours, soit un passage de 35 à 32 heures par semaine, à salaire égal. Objectif : éviter les licenciements. D’autres sont même allés plus loin : en novembre 2022, la Belgique a ainsi adopté une loi qui permet aux employés de choisir de travailler quatre ou cinq jours par semaine. À plus grande échelle, au Japon, le gouvernement tente de la promouvoir pour lutter contre le surmenage des salariés, mais son instauration est loin de faire l’unanimité. La Nouvelle-Zélande, qui accorde une place très importante à la vie personnelle et au bien-être, a un recours très important à la semaine de 4 jours. En France, près de 10 000 personnes travailleraient déjà sur ce rythme, selon le ministre délégué aux Comptes publics.

Les Français favorables à la semaine de 4 jours

Ces dispositions restent là encore très libérales, avec un recours parfois massif sans que cela ne passe toutefois par un dispositif législatif. Si le modèle est largement plébiscité en France, avec 63 % des Français qui se disent favorables à la concentration du temps de travail sur 4 jours selon un sondage Cluster 17 pour Le Point (réalisé en mars 2023 auprès de 2 610 personnes), le gouvernement a néanmoins exclu une éventuelle intervention de l’État sur le sujet afin de laisser chaque entreprise libre d’agir comme elle le souhaite. Une enquête du Centre des Jeunes dirigeants (réalisée en 2021 auprès de 2 600 chefs d’entreprise membres de l’association) révélait que plus de la moitié des entreprises françaises seraient prêtes à adopter la formule.

Si toutes ne peuvent pas le proposer – cela dépend à la fois de leur secteur d’activité, de leur taille et de la culture de l’entreprise –, une poignée d’entre elles l’ont déjà adopté. Pionnière sur le sujet, l’entreprise Oyas Environnement (32 salariés), basée à Saint-Jean-de-Fos près de Montpellier dans l’Hérault, a mis en place la semaine de 4 jours dès sa création en 2014. Le souhait des deux fondateurs de cette entreprise qui conçoit des poteries d’arrosage écologiques et autonomes ? "Ne pas abîmer ses salariés", essentiellement des tourneurs et des manutentionnaires, explique Frédéric Bidault, son cofondateur. "Étant donné que nous faisons un travail manuel, un travail de labeur, le tournage en série, avec des quotas de production qui avoisinent les 200 pièces par jour, nous avons fait le choix de protéger nos salariés".

52 jours de congé en plus

Pour mettre en place la semaine de 4 jours, chacun sa méthode : soit l’entreprise rallonge la durée de travail quotidienne, soit elle réduit le temps de travail. Au sein de l’agence de communication MorganView à Angers, Morgan Bariller a travaillé avec des avocats pour négocier un accord collectif. "En France, les entreprises n’ont pas le droit de faire des contrats de travail sur 28 heures pour des temps pleins. Il faut passer au temps partiel avec tous les désavantages qui en découlent pour les salariés comme pour l’État en termes de cotisations retraite notamment". La solution adoptée par l’entreprise ? Offrir un jour de vacances supplémentaire toutes les semaines aux salariés, soit 52 jours supplémentaires en conservant le cadre d’un contrat de 35 heures à salaire égal, l’agence de communication étant fermée le lundi. "Une entreprise peut offrir autant de jours qu’elle le souhaite", justifie-t-il. L’objectif affiché pour les entreprises est clair : produire autant qu’auparavant, voire plus grâce au gain en termes d’efficacité et de productivité, tout en assurant à chacun un temps personnel de qualité. Pour Morgan Bariller, la mise en place de la semaine de 4 jours pour les 31 salariés de l’entreprise après la crise covid est "un modèle d’avenir ".

"J’ai le sentiment que les salariés sont bien dans l’entreprise et qu’ils sont d’autant plus impliqués"

Néanmoins, toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre de fermer un jour par semaine, au risque de perdre des clients ou de voir leur niveau d’activité diminuer. Luc Barillon, qui a repris en 2019 l’entreprise Leboeuf Fillon à Reignac-sur-Indre, près de Tours (Indre-et-Loire), spécialisée depuis 40 ans dans l’installation, l’entretien et le dépannage en plomberie, chauffage, climatisation et électricité, et depuis peu dans l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques, a proposé à ses 66 salariés d’opter soit pour le lundi, soit pour le vendredi, afin de pouvoir rester ouvert 5 jours par semaine. "En tant qu’entreprise de services, nous devons avoir des ouvertures assez larges". Même son de cloche chez le distributeur lyonnais de produits high-tech LDLC qui, directement en concurrence avec les géants du e-commerce, ne peut se permettre de fermer ses boutiques et ses entrepôts un jour dans la semaine et a opté pour une rotation entre ses salariés. L’agence de communication Gangstères, basée à Paris, qui compte une dizaine de collaborateurs et vient d’adopter la semaine de 4 jours a adopté ce même système de binômes. Pour rester ouverte du lundi au vendredi, elle fait travailler ses équipes en binôme afin d’assurer un suivi en continu des sujets durant leur jour de repos et leur offre le mercredi ou le vendredi, en rotation sur un mois.

Au sein de la société rennaise de marketing digital MV Group, l’entreprise laisse la possibilité aux 450 salariés de choisir. La semaine des 4 jours fait partie d’un "package social" : les salariés peuvent choisir de travailler sur 4 ou 5 jours, de télétravailler 2 jours par semaine, de prendre 21 jours de RTT selon son bon vouloir ou de s’en faire racheter une partie en contrepartie d’un revenu supplémentaire. "Le prérequis à tout ça, c’est qu’il faut que l’entreprise soit bien organisée. Notre mission première en tant que société de services c’est de pouvoir répondre au client du lundi, 8 heures, jusqu’au vendredi, 18 heures", explique le dirigeant Olivier Méril.

Réduire l’absentéisme

À la clé, l’augmentation de la productivité des salariés et une meilleure qualité de vie au travail. Les premiers bilans des entreprises ayant sauté le pas sont globalement positifs : amélioration du bien-être et épanouissement des salariés, meilleure productivité, réduction du présentéisme non productif et réduction de l’absentéisme. "J’ai le sentiment que les salariés sont bien dans l’entreprise et qu’ils sont d’autant plus impliqués", confie ainsi Luc Barillon. Les entreprises, souhaitant répondre à la crainte des salariés de devoir faire face à une charge de travail excessive en travaillant sur quatre jours au lieu de cinq, proposent des solutions comme l’embauche de personnes supplémentaires si nécessaire. Mais peu d’entre elles doivent finalement y avoir recours. Pour Frédéric Bidault, d’Oyas Environnement, qui réalise plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, "en matière de production et de résultats, on a l’équivalent de 5 jours de travail par semaine". Jean-Philippe Baillaud, qui dirige Systèmes b à Carcassonne, une entreprise de conseil et de formation et a mis en place il y a trois ans la semaine de 4 jours pour ses deux salariés confirme que "mieux vaut travailler quatre jours de façon efficace que 5 en dilettante". Son idée était de garder ses consultants et formateurs efficaces devant les clients et de ne pas leur faire subir des semaines "trop fatigantes, voire usantes. C’est un cercle vertueux. L’équilibre des salariés qui font l’entreprise participe à sa rentabilité", juge-t-il. Autre bénéfice, lutter contre l’absentéisme, un mal qui s’avère très coûteux pour les entreprises. Ce que confirme Laurent de la Clergerie, le président de LDLC : "L’entreprise enregistre un solde entre embauche et départ négatif". Frédéric Bidault se réjouit lui aussi de ne pas avoir de turnover dans ses deux sites de production de Saint-Jean-de-Fos (Hérault) et de Fraize (Vosges).

Attirer les talents

Avec l’instauration d’une semaine de 36 heures sur 4 jours, Luc Barillon voulait trouver une "idée radicale, apporter quelque chose aux salariés et être meilleur que mes concurrents pour recruter plus facilement car nous sommes sur des métiers en tension". Ce qui lui a in fine permis de recruter plus d’une cinquantaine de salariés. "Nous sommes passés de 13 salariés en 2019 lorsque j’ai repris l’entreprise à 66 aujourd’hui grâce à la bonne image de l’entreprise". Un choix qui a été salutaire pour lui permettre de la développer "en marche accélérée. Si je ne l’avais pas mis en place, je n’aurais pas pu recruter aussi facilement et faire grandir l’entreprise de la même manière. La semaine de 4 jours est un levier fantastique pour recruter". Le chiffre d’affaires de l’entreprise est ainsi passé de 1,3 million d’euros en 2019 à 6,7 millions trois ans plus tard. Pourtant, le chef d’entreprise consent qu’étant basé en sud-Touraine et non au cœur du département, "le recrutement est moins évident qu’intra-muros à Tours". Pour embaucher, l’entreprise n’a toutefois pas besoin de poster d’offre d’emploi. "Cela passe surtout par du bouche-à-oreille entre les salariés et leur réseau". De la même manière, bien qu’Oyas Environnement soit "dans des zones parfaitement enclavées" et que l’entreprise emploie pour des métiers disparus il y a dix ans, Frédéric Bidault se félicite d’être "sur-sollicité par les candidats". "Toutes les entreprises aux alentours se plaignent pour recruter. C’est un problème que je ne connais pas", confirme-t-il. Sans conteste, la mise en place de la semaine de quatre jours est un élément d’attractivité pour les entreprises : cela permet d’améliorer leur image et d’attirer et conserver les talents. Pour Morgan Bariller la semaine de 4 jours est "une solution aux problématiques de recrutement que rencontrent aujourd’hui les entreprises. Toutes celles qui ont modifié leur organisation du travail ont trouvé à recruter", conclut-il.

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