Bruno Rousset (APRIL) : « Nous avons "uberisé" l'assurance »

Bruno Rousset (APRIL) : « Nous avons "uberisé" l'assurance »

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Il a créé APRIL en 1988 avec pour ambition de révolutionner le monde - et l'image alors poussiéreuse - de l'assurance. Un quart de siècle plus tard, son groupe, devenu une "grosse machine" employant quelque 3.800 collaborateurs, dégage un CA annuel de près de 800 M€. Rencontre avec Bruno Rousset (60 ans), figure majeure de l'entrepreneuriat "made in Lyon".
— Photo : Le Journal des Entreprises

A
PRIL reprend des couleurs après une progression de son CA de 4,1 % en 2015. Votre groupe est-il « de retour », comme l'indiquait récemment le titre spécialisé " L'Argus de l'assurance " ? Il est vrai que nous nous sommes un peu cherchés il y a quelques années. Mais aujourd'hui, ça bouge beaucoup en interne au niveau de l'organisation et des équipes entre elles. Nous avons d'ailleurs monté récemment un "April venture" ; un laboratoire dans lequel lescollaborateurs peuvent se réunir, échanger et poser leur problématique.

La hausse de notre CA s'explique en tout cas par un double mouvement en 2015 avec une progression du volume d'affaires sur les assureurs ; nous avons en effet davantage développé les compagnies d'assurances que les courtiers. Le deuxième effet est la généralisation de l'assurance complémentaire santé collective. Il est encore trop tôt pour faire le bilan, car les bulletins d'affiliation arrivent au fil de l'eau, mais nous sentons déjà des tendances à la hausse.




Escomptez-vous une hausse du CA du groupe sur l'exercice en cours ?

Normalement oui mais il est trop tôt pour le certifier.




Vous avez annoncé en début d'année les acquisitions, financées sur fonds propres, d'Avilog (France) et de Global Health (Hong-Kong). Quelle stratégie le groupe entend-il déployer à travers ces deux opérations de croissance externe ?

Le rachat de Global Heath - présente en Chine, à Singapour, et en Asie du Sud-Est - intervient dans le cadre de notre stratégie sur le monde de l'expatrié, de l'étudiant à l'étranger et des voyageurs. C'est une société qui conçoit des produits d'assurance maladie internationale pour expatriés ; cela nous permet de nous focaliser sur l'Asie, territoire de croissance extrêmement fort. Avilog rentre dans le cadre de notre stratégie de développement de notre volet d'activité Grands Comptes, orienté sur la gestion pour le compte de tiers. Avilog, basée à Toulon, fait de la gestion d'assurance complémentaire collective et qui vient massifier nos activités existantes de gestion pour compte.




Quelle est la politique de développement du groupe pour les 5 années à venir ?

April est à l'origine un " grossiste " qui conçoit ses produits, qui en assure la gestion et qui les fait distribuer par des courtiers au nombre de 10.000 aujourd'hui en France. Notre stratégie est d'intensifier cette activité et de frapper plus fort avec une gamme la plus large possible en appuyant sur des produits de niche et de nouveaux segments d'activité. Le deuxième axe repose sur le développement du segment Grands Comptes et des partenariats avec les banques, les mutuelles et les assurances traditionnelles. Nous leur fabriquons des produits sur-mesure et leur proposons la gestion de produits lorsque ces structures n'ont pas la plateforme informatique appropriée. Nous sommes ainsi capables d'apporter des services sur mesure, ce que nous appelons le BPO (Business Process Outsourcing). Le troisième axe de développement est l'international où nous nous positionnons sur deux métiers. Celui de grossiste d'abord, que nous avons déjà reproduit sur certains pays d'Europe et au Canada. Le deuxième métier est l'assurance maladie internationale, avec deux zones de prédilection : l'Amérique du Nord et l'Asie. Avec des opérations de croissance externe à venir, financées sur fonds propres.




Que pèse le digital dans les activités du groupe APRIL ?

Le e-commerce représente désormais pas loin de 15 % de nos affaires en France. C'est un segment sur lequel nous avons crû en affaires nouvelles de 20 % en 2015. Nous avons été parmi les premiers à créer une structure spéciale ; en l'espèce le GIE " April digital ". Nous cherchons également à exploiter et à optimiser toutes les ressources du digital dans la gestion. Nous avons par exemple mis en place une application mobile qui permet à un assuré à l'étranger de transmettre directement ses feuilles de soin à Paris. Nous sommes par ailleurs très concentrés sur la révolution annoncée dans le monde de l'assurance (automobile et santé) des objets connectés, que l'on va pouvoir utiliser à grande échelle. Ceci permet de recueillir des informations et d'ajuster les primes d'assurance au comportement observé grâce à ces objets connectés.




Sur votre blog (www.brunorousset.com) vous écrivez que les entrepreneurs sont " l'antidote des Français ". Quel est selon vous leur rôle dans notre société ?

L'Homme est un créateur en puissance, j'en suis convaincu. Chez APRIL, nous faisons en sorte que l'ensemble de nos collaborateurs soient des intrapreneurs, qu'ils puissent avoir un espace pour prendre des initiatives, gérer eux-mêmes leurs parcours, lever le doigt s'ils ont envie de changer de poste, etc.




Avec la refonte de la proposition de loi de Myriam El Khomri, le gouvernement est-il passé à côté d'une grande réforme du code du travail ?

C'est en effet une occasion ratée. Il faut arriver dans notre pays à simplifier la réglementation à tous les niveaux. Le système actuel est trop dissuasif et crée de la défiance. L' écosystème français est une fabrique à chômage. Pour pouvoir entreprendre, il faut garantir de la stabilité. Il n'est pas normal que l'on ait un code du travail qui sans cesse change, évolue, s'épaississe. Nous sommes inondés par des lois sclérosantes.




L'abus de réglementations serait donc le principal point de blocage des entrepreneurs tricolores ?

Ils ont surtout besoin de confiance. Qu'est-ce qui fait finalement la prospérité des nations ? A cette question Kenneth Arrow (Prix Nobel d'économie en 1972, NDLR) répondait justement : la confiance. C'est la même pour l'entreprise. S'il n'y a pas plus de confiance, il n'y a plus d'initiatives, plus d'entrepreneuriat. La confiance est un des grands principes d'action que nous tentons de distiller au sein des équipes APRIL.




En 1988, vous créez donc APRIL avec la conviction de vouloir « changer l'image de l'assurance ». Quelle est finalement la singularité du modèle APRIL ?

Avant nous, le milieu était clairement divisé entre l'assureur d'un côté et le distributeur de l'autre. Nous avons finalement " uberisé " le système en prenant à notre compte une partie du métier de l'assureur (conception des produits) et une partie de celui du distributeur (gestion). Nous avons également fait la différence sur la qualité et la simplicité des services proposés et avons pour cela beaucoup travaillé sur le mode de management pour libérer les énergies et laisser les collaborateurs s'organiser et prendre des initiatives. Voilà pourquoi aujourd'hui le groupe est composé de 45 filiales, et d'une holding qui est au service de ses filiales ; et non l'inverse. Ce qui implique de la synergie et du lien à tous les niveaux. C'est beaucoup plus puissant que d'avoir une structure verticale qui élimine des interactions qui peuvent être riches. C'est selon moi la révolution APRIL. Nous sommes nés de l'innovation managériale.




Quel type de patron pensez-vous être ?

Je cherche avant tout à ce que les gens qui travaillent avec moi puissent s'exprimer, s'épanouir et être force de proposition. Pour cela, il faut créer un terrain propice. Tous les collaborateurs d'APRIL ont ainsi la possibilité, via l'intranet du groupe, de me poser des questions directement. Je m'engage à répondre dans la journée. Nous travaillons aussi beaucoup sur l'idée de pédagogie indirecte. Je fais désormais distribuer à l'ensemble des collaborateurs le livre " Employees First " (" Employés d'abord " de Vineet Nayar) afin que tout le monde découvre le mode de fonctionnement des entreprises décentralisées où les hiérarchies sont cassées et les initiatives libérées. On a vu que ce type de fonctionnement a permis à HCL - la société indienne de Vineet Nayar - de tripler son CA et son résultat net en moins de 5 ans.




Les hiérarchies sont-elles pour autant " cassées " au sein d'APRIL ?

Nous ne cassons pas toutes les hiérarchies bien entendu. C'est une question de dosage. Mais nous avons mis en place une université APRIL qui a vocation à faire évoluer le management ; de passer d'un management " petit chef " à un management d'accompagnement.