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Coup d'arrêt pour la géothermie profonde suite à une série de séismes
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Coup d'arrêt pour la géothermie profonde suite à une série de séismes

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Fonroche, implanté à Pau, avait espoir de préparer, à travers sa société locale GéoVen à Vendenheim dans l’Eurométropole de Strasbourg, l'exploitation d'électricité et de chaleur par géothermie profonde. En raison d'une série de séismes ressentis en phase préparatoire, la préfecture du Bas-Rhin vient de passer un arrêté d'arrêt définitif des travaux à Vendenheim. Depuis dix ans, le groupe Fonroche a investi près de 100 millions d’euros en Alsace.

— Photo : © Patrick BOGNER

C’est un nouveau soubresaut pour la géothermie profonde en Alsace. Cette technologie permet de puiser, à 5 000 m de profondeur, de l’eau chaude aux alentours de 200 °, dont la chaleur génère de l’électricité en surface et peut alimenter des réseaux de chaleur. Celle-ci fait l’objet de toutes les attentions depuis que des secousses sismiques ont été ressenties dans l’agglomération de Strasbourg dès novembre 2019. Une autre série d’une dizaine de séismes de magnitude 2 à 2,6 sur l’échelle de Richter, s’est produite depuis la fin octobre 2020. Le dernier enregistré date du 4 décembre à une magnitude de 3,5. C'est le tremblement de trop, la préfecture du Bas-Rhin a passé un arrêté d'arrêt définitif des travaux à Vendenheim, là où le groupe Fonroche, à travers la société GéoVen, projetait l'exploitation d'une centrale de cogénération d'électricité et de chaleur.

100 millions d’euros investis en Alsace

Fonroche (CA : 200 M€), basé à Pau (65), compte plusieurs branches : Fonroche Éclairage, Fonroche Biogaz et Fonroche Géothermie. Pour cette dernière activité, le groupe a reçu huit permis de recherche en géothermie profonde en France, dont trois dans le Bas-Rhin à Vendenheim, Eckbolsheim et Hurtigheim.

Fonroche, détenu par des actionnaires privés, a investi en Alsace près de 100 millions d’euros sans subvention ces dix dernières années pour lancer son premier projet d’exploitation. Le site en cours de préparation de l’exploitation se situe dans l’écoparc rhénan de Vendenheim-Reichstett. Une société locale d’exploitation a été créée. La société GéoVen (60 à 80 emplois dont la moitié en permanence sur le chantier) projetait ainsi de générer 10 millions d’euros de chiffre d’affaires dès sa première année d’exploitation.

Comprendre l’origine des séismes

Fonrcohe vient cependant de voir s'éloigner les espoirs de mise en exploitation. En cause, de premières secousses sismiques ressenties en novembre 2019, alors que les puits de forage étaient déjà creusés et que des tests préparatoires d’injection d’eau étaient lancés dans un puits dit doublet. « En tant qu’opérateur de géothermie, nous prenons en compte

l’environnement et observons les événements sismiques. Dès le séisme enregistré le 12 novembre 2019, nous avons communiqué nos propres relevés sismiques aux autorités », explique Jean- Philippe Soulé, directeur général de Fonroche. S’en est suivie la constitution, par la préfecture, d’un comité d’experts qui devait rendre ses analyses pour comprendre l’origine de l’événement sismique de novembre 2019. C’est-à-dire, trancher sur le caractère naturel ou induit par l’homme de l’épisode sismique.

L’expertise a cependant mené à l’impossibilité de conclure. Des tests complémentaires ont été demandés avant d’engager une reprise de l’activité. Par principe de précaution, les tests d’injection ont été suspendus dès la fin d’année 2019. Dès le 1er octobre 2020, après autorisation de la préfecture, Fonroche a procédé, cette fois-ci, à des tests de traçage pour vérifier les conditions de circulation de l’eau géothermale entre les puits et comprendre l’origine du séisme de 2019.

« Pas de remise en cause du projet »

Or, à partir du 28 octobre, près de dix séismes d’une magnitude de 2 à 2,6 ont été enregistrés. Fonroche reconnaît, pour cette série de secousses, qu’il s’agit d’épisodes sismiques induits. Depuis novembre, les tests de traçage ont été suspendus. Depuis le 4 décembre 2020, après le séisme de 3,5 de magnitude, Fonroche a procédé à l’arrêt technique de sécurité de la circulation d’eau dans le doublet pour comprendre la réaction de la roche. Le même jour, Jean-Philippe Soulé voyait « cette procédure d’arrêt technique de plusieurs semaines comme un temps de réflexion avec l’objectif de trouver des solutions ». le 4 décembre, le dirigeant ne voulaot pas remettre en cause le projet « ni en interne, ni en externe. Mais nous aurons besoin de beaucoup communiquer pour redonner confiance à la population et aux élus. La géothermie est une solution d’avenir pour le territoire », argumente le dirigeant, tout en voulant rassurer. « Financièrement, Fonroche a les moyens de gérer la situation et la gestion des sinistres à travers nos assurances ». Or, ce lundi 7 décembre, la préfecture du Bas-Rhin a tranché en passant un arrêté d'arrêt définitif des travaux. Dans la communiqué la préfecture estime que "l'évènement sismique de magnitude 3,59, ressenti le 4 décembre a remis en cause, de par son caractère non prévisible et son ampleur, la poursuite des opérations du projet GéoVen à Vendenheim. Ce projet, implanté dans une zone urbanisée, n’offre plus les garanties de sécurité indispensables et doit donc être stoppé".

Première centrale de cogénération de la filière française

Malgré la suspension des tests d’injection en fin d’année 2019, GéoVen avait mis à profit l’année 2020 pour finaliser la construction d’une centrale de génération d’électricité et de chaleur issues de l’eau chaude puisée en profondeur. « GéoVen est la première centrale de cogénération électricité-chaleur de la filière française. Elle pourra traiter la production électrique de 15 000 à 20 000 foyers et alimenter le réseau de chauffage de 26 000 foyers et l’équivalent de 70 ha de serres agricoles dans l’agglomération de Strasbourg », souligne Jean-Philippe Soulé.

Énergies renouvelables

Dans le projet initiale, l’électricité produite devait être injectée directement dans le réseau électrique, la chaleur co-générée devait, quant à elle, être raccordée à un réseau de chaleur qui devrait mailler l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) d’ici trois à quatre ans. Cette énergie renouvelable, qui permettrait d’économiser l’émission de 23 000 t de Co2 par an, est scrutée de près par les élus. Dans le cadre du schéma directeur des énergies de l’EMS, la collectivité projette en effet, d'ici 2050, de couvrir 100 % des besoins énergétiques du territoire par des énergies renouvelables. Dans ce schéma, la chaleur géothermale devrait représenter 40 % des besoins en chauffage. Les élus analysent cependant avec prudence ces épisodes sismiques. Après le séisme du 4 décembre, Pia Imbs, présidente de l’EMS, a pris acte de l'arrêt de sécurité et exige « une analyse précise des causes et des effets constatés sur notre territoire et demande un arrêt définitif du projet porté par Fonroche à Vendenheim ».

Enjeux économiques

Fonroche estime un potentiel d'investissement de 400 millions d'euros et 200 emplois d'ici 2025. Il projetait initialement la mise en service de sa centrale de géothermie au printemps 2020. Le manque à gagner de cette première année non exploitée est chiffré à 10 millions d’euros. Des pertes qui s’accompagnent d’un espoir suspendu, celui d’y adjoindre le traitement industriel du lithium. Le groupe a en effet analysé la présence de cet élément chimique dans les eaux puisées.

À terme, Fonroche évalue à 1 500 t par an le potentiel de lithium et pourrait installer un pilote d’extraction sur son site. Les prévisions de l’entreprise tablaient à l’origine sur un pilote préindustriel fin 2021 et une production industrielle en 2023. Mi-novembre, le dirigeant de Fonroche confirmait que Bercy avait un intérêt pour cette extraction dans la perspective d’un projet de centrale franco-allemande de fabrication de batteries pour abonder une filière européenne de voitures électriques.

Le bassin rhénan, dont la géologie génère une micro-sismicité naturelle inférieure à une magnitude de 2, compte quatre centrales de géothermie profonde en service, deux en Allemagne et deux en Alsace exploitées par Electricité de Strasbourg à Soultz et à Rittershoffen.

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