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Guillaume Richard (Oui Care) : « Nous sortirons encore plus forts de cette crise »
Interview Le Mans # Services

Guillaume Richard PDG du groupe Oui Care Guillaume Richard (Oui Care) : « Nous sortirons encore plus forts de cette crise »

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Basé au Mans, le spécialiste des services à la personne Oui Care (18 000 salariés, plus de 300 M€ de CA) est resté mobilisé durant toute la durée de la crise sanitaire. Au-delà de ses diverses prestations, le groupe a profité de cette période pour repenser sa stratégie et envisager « le monde d’après ».

Présidé par Guillaume Richard, le groupe Oui Care s'articule autour des marques O2, APEF, France Présence, Famihero, Nounou Expert, Assidom, Maison Eliya - Paris et Interdomicilio — Photo : Xavier Renauld

Le secteur des services à la personne était en première ligne durant l’épidémie de Covid-19, comment le groupe Oui Care a-t-il traversé cette épreuve ?

Nous avions anticipé la crise en commandant fin février 120 000 masques, la sécurité de nos intervenants à domicile étant notre priorité. Ainsi, les prestations d’assistance aux personnes âgées et handicapées ont été maintenues. Ça a été parfois très compliqué. Nous avons dû refuser des prestations auprès de personnes seules et malades de la Covid-19 qui n’avaient pas de place dans les hôpitaux. Nous étions tiraillés entre la non-assistance à personne en danger et la mise en danger de nos collaborateurs. Sur le plan humain, c’était difficile… Concernant nos prestations de services aux familles, nous les avons maintenus au maximum. La distanciation physique et les gestes barrières sont plus simples à appliquer dans un contexte de garde d’enfants, d’entretien de la maison ou de jardinage.

Quels changements cette crise a-t-elle provoqués dans l’organisation du groupe ?

Le point le plus important a été l’investissement en formation. Dès la première semaine de confinement, nous avons demandé à nos salariés en chômage partiel de se former à distance et ainsi faire en sorte qu’ils puissent de toucher la totalité de leur salaire. 1 200 formations en catalogue étaient à disposition de l’ensemble des effectifs. J’ai la certitude que nous sortirons plus forts de cette crise grâce à des équipes plus performantes aujourd’hui. Car au-delà de la formation, nous avons également revu notre organisation. Les zones d’intervention des intervenants à domicile ont été resserrées. Chaque salarié a désormais un secteur qui lui est dédié au sein duquel ses trajets ne dépassent pas 15 minutes, que ce soit en ville ou à la campagne. Les besoins clients ont également été remis à plat, ce qui nous a permis de développer de nouvelles offres. Par exemple, des intervenants équipés de smartphones proposant à des personnes âgées des appels visio avec leur famille, ou encore un service de garde d’enfants dédié aux salariés en télétravail. Il y a eu plein de choses à imaginer.

Quelle place a été donnée au télétravail ?

Les effectifs du groupe sont éclatés sur tout le territoire français, nous pratiquions donc déjà le travail à distance. Grâce aux outils en place, près de 500 personnes habituellement au siège du Mans ont basculé en 24 heures en télétravail. Nous avons également expérimenté des visioconférences d’une heure à une heure et demie avec 200 personnes. C’était surprenant de constater que l’on pouvait créer plus d’interactivité en ligne que physiquement lors d’une plénière.

Le travail à distance est-il amené à monter en puissance au sein du groupe ?

Cela va effectivement nous permettre de réunir et de former davantage de personnes à distance, comme nous l’avons expérimenté durant la crise. En revanche, je ne crois pas que le télétravail soit une bonne chose dans le temps. L’homme a besoin d’interactions sociales et de créer du lien. Nous ne basculerons pas intégralement dans le distanciel.

Quel est votre état d’esprit en sortie de crise sanitaire ?

Je suis optimiste. Comme je vous l’ai dit, j’ai la certitude que nous en sortirons bien plus forts grâce à nos équipes. La crise a montré une belle solidarité au sein du groupe. Par exemple, les membres du comité de direction ont redistribué une partie de leur rémunération, ce qui nous a permis de collecter 50 000 euros. J’ai moi-même baissé la mienne de 50 %. Côté activité, je suis confiant. Nos demandes entrantes fin mai sont supérieures à celles de l’an dernier à la même époque. 73 % de nos clients font à nouveau appel à nous, 24 % reprendront nos services prochainement. Seuls 3 % n’ont pas renouvelé.

Selon vous, qu’est-ce que cette crise va changer dans l’organisation des entreprises ?

Le distanciel dans le travail et la formation vont être davantage intégrés ; le confinement et le passage massif des salariés en télétravail l’ont démontré. Aujourd’hui, plus de 40 % des Franciliens veulent habiter en province tout en continuant à travailler un ou deux jours par semaine à Paris. C’est une vraie chance pour un territoire comme la Sarthe.
Je crois également beaucoup à des mécanismes de partage de la valeur comme l’actionnariat salarié, qui a la vertu de rapprocher les collaborateurs et l’entreprise. 10% du capital de Oui Care a été cédé aux salariés, à terme je vise 50%. Pour moi, c’est une bonne solution pour augmenter les rémunérations dans un contexte qui s’annonce difficile pour les hausses de salaire.

Justement, craignez-vous la crise économique qui se profile ?

Je redoute qu’un délire fiscal et réglementaire s’abatte sur nous. Nous devons être vigilants collectivement à cela. Les entreprises qui passeront la crise seront endettées, certaines même fragilisées, et devront rembourser une dette considérable. Ainsi, Oui Care a sollicité un Prêt garanti par l’État à hauteur de 25 millions d’euros. Nous allons devoir générer 5 millions d’euros d’EBITDA supplémentaires par an pour rembourser cette dette, alors que nous en dégageons 10 millions chaque année.

Et dans les services à la personne, comment envisagez-vous l’avenir ?

Il y aura des concentrations à venir. Pour des raisons économiques, mais aussi par lassitude des dirigeants. Entre les Gilets jaunes, les grèves et le coronavirus, il faut avoir le cœur bien accroché ! Moi-même, je me suis fait traiter d’assassin sur les réseaux sociaux parce que nos équipes étaient sur le terrain… Concernant notre secteur d’activité, nous cherchons des formules innovantes et souples pour que des chefs d’entreprise nous rejoignent. Plutôt que d’acquérir une entreprise sur la base de sa valorisation et donc de son passé, nous voulons proposer aux dirigeants de céder sur la base de l’activité qu’ils réaliseront en 2021, voir en 2022. Il n’est pas question pour nous de profiter de la situation pour racheter des entreprises.

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