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Moustache Bikes : « Le Covid-19 nous a fait gagner une à deux années de maturité »
Interview Vosges # Industrie

Emmanuel Antonot et Grégory Sand dirigeants et fondateurs de Moustache Bikes Moustache Bikes : « Le Covid-19 nous a fait gagner une à deux années de maturité »

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L'épidémie de Covid-19 a dopé la croissance du marché du vélo à assistance électrique sur lequel le vosgien Moustache Bikes est leader en France. La jeune PME de 140 salariés profite des incitations publiques à utiliser la petite reine pour les trajets domicile-travail, mais aussi de l’engouement post-confinement pour les loisirs de plein air. Ses cofondateurs, Gregory Sand et Emmanuel Antonot, tablent sur un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros cette année.

Emmanuel Antonot (à gauche) et Grégory Sand sont partis de zéro en 2011 pour devenir aujourd’hui leader en France dans la fabrication de vélos électriques — Photo : © Moustache Bikes

Comment la crise sanitaire impacte-t-elle l’activité de Moustache Bikes ?

Gregory Sand : Comme dans de nombreuses industries, le virus a mis notre activité à l’arrêt du jour au lendemain. Chez Moustache Bikes, cette interruption n’a cependant pas excédé quinze jours. Nous avons en effet repris rapidement l’assemblage de vélos à assistance électrique (VAE). Notre organisation de production autour d’ilots d’assemblage individuels, rendait les mesures de distanciation plus aisées à mettre en œuvre que sur une ligne « traditionnelle ». Surtout, nous avons la chance d’avoir des salariés extrêmement motivés. Certains tournaient déjà en rond au bout de deux semaines à la maison !

Pendant cette période de confinement nous n’avons expédié aucun vélo. Les magasins de cycles sont restés fermés pendant quasiment trois mois ! Mais nous étions convaincus dès le départ, que la petite reine jouerait un rôle majeur dans la nouvelle ère qui s’ouvrirait. Nous étions toutefois loin d’imaginer que la vague serait une déferlante.

En termes de chiffres, comment cette vague se traduit-elle ?

Emmanuel Antonot : Pendant le confinement, nous avons fait le choix de ne pas ralentir nos approvisionnements en composants et nous nous sommes constistués un stock de VAE. Cela nous a permis de faire face quelques semaines à la vague post-confinement. Mais la demande a été telle que nous avons tout vendu, y compris d’anciens millésimes !

Le virus a fait gagner à Moustache Bikes une à deux années de maturité sur le marché du vélo électrique. Nous allons assembler 42 000 vélos sur la saison clôturée au 31 août dernier et nous avons déjà planifié 65 000 vélos pour la nouvelle saison, soit une augmentation de 50%. Pour certains composants en tension, comme les dérailleurs, la programmation 2021-2022, est déjà engagée. Ces engagements en termes de trésorerie imposent d’avoir des reins financiers solides. D’autant plus qu’en cas de ralentissement imprévu de nos marchés, il sera quasi impossible de revenir sur ces commandes de composants…

Mais nous sommes relativement confiants, car la tendance de fond sur le marché VAE était déjà bien installée en France, en Europe et dans le monde, avant que le virus ne débarque. Avec la crise sanitaire, les travailleurs ont encore davantage identifié le vélo comme une solution de mobilité susceptible de simplifier le respect des distances barrières. Parallèlement, après deux mois enfermés à domicile, les consommateurs ont éprouvé le désir de se recentrer sur des loisirs proches de la nature.

« Notre plus grande satisfaction, c'est de générer de la valeur ajoutée dans les Vosges. »

Vous assemblez depuis 2011 des vélos électriques dans les Vosges, la carte du Made in France consiste-t-elle un atout commercial ?

Grégory Sand : Nous ne surfons pas délibérément sur le « made in France » tout simplement parce que l’industrie du cycle demeure une activité largement mondialisée. Par exemple, Taiwan bénéficie d’un énorme savoir-faire dans la fabrication de cadres. Le japonais Shimano demeure le plus gros fabricant mondial de composants pour vélos de moyen-haut de gamme. Nos selles sont italiennes, nos pneus germaniques, nos éclairages français. L’allemand Bosch nous livre les deux éléments de motorisation essentiels que sont le moteur électrique et la batterie. En fait, notre plus grande satisfaction, c’est de générer de la valeur-ajoutée dans les Vosges en faisant travailler 140 salariés.

Comment résumeriez-vous l’ADN de Moustache Bikes ?

Gregory Sand : Nous demeurons un des rares pure player du vélo à assistance électrique avec une gamme couvrant la totalité des usages (urbain, tout chemin, route, VTT) et positionnée sur le segment premium, même s’il est possible d’acquérir un Moustache à partir de 2 000 euros. Notre ADN réside dans notre design très marqué, identifiable au premier coup d’œil, grâce notamment à notre guidon innovant, fonctionnant comme une réinterprétation contemporaine du fameux guidon moustache. Notre équipe d’une dizaine de salariés en recherche-et-développement signe le design et la conception des vélos. Nous avons notamment mis au point nos propres garde-boues en acier double paroi ce qui leur confère une grande rigidité et simplifie le passage des câbles. Cette partie « conception » est cruciale, car les contraintes mécaniques qui s’exercent sur un vélo électrique restent différentes d’un deux-roues classique.

Le marché, en France et à l’international où vous exportez 40% de votre production, dispose-t-il encore de marges de croissance ?

Gregory Sand : Les planètes sont d’autant plus alignées que les politiques publiques n’ont jamais autant encouragé le vélo. Le gouvernement britannique a annoncé en mai dernier un forfait vélo et marche de 2 milliards de livres sterling pour réduire le nombre de personnes utilisant les transports en commun sur leurs trajets domicile-travail. Dans son discours de politique générale, le 15 juillet, le premier ministre français Jean Castex a souligné que le Plan de relance comprendrait un « plan vélo très ambitieux ». C’est un signe, même si la France reste en retrait par comparaison à ses voisins nord-européens. Le Bénélux demeure la zone la plus avancée, avec 50% des ventes en volume et 70% en valeur captée par le vélo électrique depuis plusieurs années. Peut-on considérer que le seuil de maturité y est atteint ? Je ne pense pas, car on raisonne uniquement au niveau du marché du cycle. Or aujourd’hui, nous embarquons sur des vélos électriques des personnes qui se déplaçaient jusqu’à présent en scooter ou en voiture. Le VAE permet de mettre sur des vélos des personnes qui n’utilisaient jamais le vélo ou peu. De notre côté, nous imaginons des développements, sur la partie utilitaire notamment avec des solutions qui permettent de déplacer plusieurs personnes d’une famille ou en mode cargo pour des artisans ou des médecins de centre-ville.

« Nous avons démarré en tirant sur tous les bouts de ficelle pour rassembler 500 000 €. »

Sur le plan industriel, quels sont vos principaux chantiers ?

Emmanuel Antonot : La hausse de la demande nous a conduit à anticiper de trois mois le démarrage d’un second atelier de production. Il occupe un tiers de la surface de notre site, une partie que nous louions jusqu’à présent à un usineur industriel qui souhaitait recentrer ses activités sur son siège. Nous avons tout installé en un week-end, à l’Ascension. Ce nouvel atelier a la particularité d’intégrer une première ligne d’assemblage de roues, en attendant la seconde prévue en 2021. Cet investissement de 400.000 euros n’était pas possible auparavant, car nous n’avions ni les capacités financières, ni les volumes de production nécessaires pour le rentabiliser. L’avantage, c’est qu’une roue préparée sur notre site n’a désormais plus besoin d’être contrôlée, c’est un gain de temps non négligeable. Nous avons également amélioré la productivité globale par rapport au premier atelier le montage d’un vélo de A à Z prend 45 minutes en moyenne. Dans le nouvel atelier, nous réalisons davantage d’opérations de pré assemblage en amont de l’assemblage final sur les parties guidons, motorisation, fourche. Ce séquençage permet aussi une plus grande constance dans les réglages. Pour obtenir ce résultat, nous avons appliqué des méthodes de lean management en lien avec un ingénieur-conseil qui a travaillé dans l’automobile Toutefois, nous conservons une part importante d’assemblage manuel par comparaison à nos concurrents. Cela nous convient bien. Nous maitrisons ainsi mieux la qualité de l’assemblage. C’est également plus enrichissant pour nos monteurs qui ne multiplient pas les tâches répétitives. Depuis la sortie du confinement, nous avons recruté une trentaine de nouveaux salariés et nous prévoyons d’en recruter 30 de plus en 2021. Si la tendance se poursuit la capacité maximale du site que nous avons acquis en 2017 sera rapidement atteinte. Elle est de 100 000 unités par an. Par chance, nous disposons de capacités d’extension.

Comment gérez-vous la croissance de votre entreprise ?

Emmanuel Antonot : Nous sommes très prudents de nature, un peu paysans dans l’âme. Nous voulons réussir à grandir sans avoir une société sous tension. Notre métier c’est de ne pas prendre trop de risque. Nous avons connu 70% de croissance par an sur nos sept premières années d’existence. Notre entreprise change de visage tous les six mois ! Internaliser la mise en peinture des cadres figure parmi les axes de réflexion, mais il est primordial pour nous de garder le contrôle de notre croissance.

Votre société est adossée à un fond d’investissement. Pourquoi ?

Grégory Sand : Nous avons démarré en 2011 sans trop de soutien de la part des banques en tirant sur tous les bouts de ficelles pour rassembler 500 000 euros. Par la suite, notre niveau de croissance a conduit les établissements financiers à se montrer plus disposés à notre égard. Mais, à un moment, nous ne pouvions pas aller plus loin. Nous avons également réalisé que Moustache Bikes était totalement dépendante de nous. C’est pourquoi nous avons étudié l’opportunité d’introduire un troisième pilier qui contribuerait à pérenniser l’activité et nous donnerait davantage de sérénité vis-à-vis des engagements colossaux que nous prenions. Le choix d’un partenaire financier s’est révélé être le bon, car celui-ci n’est pas intrusif sur la partie opérationnelle. Nous sommes allés plus vite avec le précédent fonds, Initiative & Finance, en atteignant nos objectifs sur trois ans au lieu de cinq. Nous avions alors besoin d’un fond de plus grande envergure, afin de traiter des problématiques à plus grande échelle sur les enjeux de développement international, marketing et industriel. D’où l’engagement de LBO France depuis un-an-et-demi à nos côtés.

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