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Moselle Open : comment Metz s'est fait un nom dans le tennis mondial
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Moselle Open : comment Metz s'est fait un nom dans le tennis mondial

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Novak Djokovic, Jo-Wilfried Tsonga, David Goffin… : les meilleurs joueurs de tennis de la planète ont foulé les courts du Moselle Open. Pourtant, le tournoi ATP World Tour 250 a bien failli quitter Metz pour s’envoler vers Taïwan en 2016. Sauvé par des acteurs locaux, il vit sa 17e édition du 16 au 22 septembre. Tour d’horizon des rouages économiques d’un rendez-vous sportif de dimension mondiale.

Éric Lucas, manager du Moselle Open de tennis, compte sur les entreprises du territoire pour donner du poids économique et de la visibilité au tournoi international — Photo : © Daniel Pister

Les passionnés messins de tennis se souviendront longtemps de la 15e édition du Moselle Open de tennis masculin en 2017. Pas parce que la victoire finale est revenue à Peter Gojowczyk, un Allemand méconnu du grand public qui a su déjouer tous les pronostics, mais bien parce que cette édition aurait pu ne jamais avoir lieu. Le tournoi ATP 250, qui se dispute à Metz depuis 2003, a longtemps tâtonné, voguant entre les Arènes de Metz et le Parc des Expositions. Le tournoi rencontre des difficultés économiques et, à l’époque, ses dirigeants estiment que l’Open lorrain ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour pouvoir garder son standing.

Une délocalisation en Asie évitée de justesse

En 2016, le tournoi est même à deux doigts de quitter la Lorraine. La majeure partie des 25 actionnaires souhaite vendre la date, plutôt qu’aller dans le mur. Un consortium industriel taïwanais, dirigé par un milliardaire, semble disposé à racheter le tournoi… pour le transférer en Asie. « Comme il y a un déficit de tournois en Asie, l’ATP y voyait un intérêt et des pays comme Singapour et le Kazakhstan s’étaient manifestés. Dans le tennis professionnel, le nombre de tournois est fixe, ce qui leur confère, de par leur rareté, une certaine aura. Pour ces pays, le sport est une manière de disposer d’une belle vitrine. Notre unique recours était d’utiliser notre droit de préemption », explique Éric Lucas, manager général du Moselle Open. À l’époque, Éric Lucas et une poignée d’autres actionnaires qui refusaient eux aussi de vendre leurs parts, parviennent à sauver in extremis le tournoi de tennis lorrain. « Les Taïwanais ne s’attendaient pas à ce qu’il y ait de l’opposition », se souvient Éric Lucas. D’autant plus que le prix du tournoi, bien que dans le rouge sur le plan économique, se compte en millions d’euros.

« La simplicité aurait été d’aller chercher un fonds de pension. Mais comment être sûr qu’il n’aurait pas fini par vendre la date… Nous voulions tenir sur la durée »

Finalement, la plupart des actionnaires historiques du tournoi sortent du capital, d’autres signent leur entrée. Ainsi, le nouveau tour de table a permis l’entrée au capital de l’entreprise de communication Speedi Richie Nylon, gérée par Pierre Gerval, Artistes Conseils, société dirigée par Stéphane Demasi, ou encore la société d’expertise comptable Confente Knob. Par ailleurs un socle d’historiques décide de poursuivre l’aventure comme Stéphane Bailly, le dirigeant de Car Avenue ou encore le traiteur Alain Marcotullio, qui en plus d’être actionnaire, assure la restauration pendant le tournoi, soit plus de 15 000 couverts lors de chaque édition. DLSI, l’entreprise dirigée par Raymond Doudot, actionnaire historique également, est quant à elle, actionnaire majoritaire. De plus, les collectivités (le Département, la Région, Metz Métropole, la Ville de Metz) renforcent leurs marchés. « En échange d’espaces et de prestations, les collectivités apportent de l’aide », affirme Éric Lucas. Cette dernière représenterait un peu moins de 30 % du budget du tournoi. Les entreprises partenaires, comme GL Events, maintiennent aussi leur confiance. « La simplicité aurait été d’aller chercher un fonds de pension. Mais comment être sûr qu’il n’aurait pas fini par vendre la date… Nous voulions tenir sur la durée », assure Éric Lucas.

Les finances de nouveau dans le vert

La transition n’a pas été simple. Il y a trois ans, la situation économique du tournoi messin était tendue. « Le capital social était mangé aux trois quarts. Nous avons tenu grâce aux actionnaires et à la bienveillance des fournisseurs », indique Éric Lucas. « Lorsque nous avons repris les rênes, nous devions beaucoup d’argent à GL Events, qui est actionnaire mais aussi fournisseur. Ils ont patienté pour le remboursement », précise Raymond Doudot. Depuis cette année, la dette engrangée auprès de cette société est désormais remboursée. Et le Moselle Open a pu retrouver des finances pérennes. « Chaque actionnaire apporte des compétences propres, en plus des investissements. Nous voulions des personnes dynamiques et investies afin de redresser la barre. Speedy Richi Nylon assure la communication, Confente Knob gère la comptabilité et Artistes Conseils la partie évènementielle », détaille Éric Lucas.

Pour exister sur la scène internationale, il faut faire venir les joueurs qui suscitent de l’intérêt auprès du public. « Dans notre modèle économique, le plus important, ce sont les joueurs qui participent, c’est pour cela que nous essayons toujours d’avoir des joueurs classés entre le top 10 et le top 30 mondiaux de façon à attirer le public », détaille Raymond Doudot. Dans ce jeu de séduction, la concurrence est rude. Il existe 60 dates dans le calendrier d’un tennisman professionnel, 40 sont dédiées à des tournois ATP 250, dont fait partie le Moselle Open. Les organisateurs doivent réussir à convaincre les grands noms de ce sport, qui réclament parfois des émoluments qui ne sont pas en phase avec le budget du Moselle Open.

La stratégie pour attirer les meilleurs joueurs

Pour compenser, les organisateurs usent de stratégie. L’un des tournois majeurs du tennis mondial, le master 1 000 de Londres, se déroule en effet en novembre, quelques semaines après le Moselle Open. Comme tous les grands tournois, le rendez-vous est très prisé des tennismen, parce que ces derniers tirent leurs revenus des gains récoltés en tournoi mais aussi de leur notoriété et de la publicité. Et, pour fouler les courts londoniens, les joueurs doivent être en possession d’un certain nombre de points. Le Moselle Open est un tremplin idéal en cela qu’il peut combler des points manquants. Surtout qu’à la même période que le tournoi mosellan, se déroule l’Open de Saint-Pétersbourg. Plus huppé, ce tournoi attire le gratin mondial et la victoire finale est quasi inaccessible pour les joueurs qui ne figurent pas dans le top 15 mondial. La même semaine, il y a aussi la concurrence de la Laver Cup, un tournoi d’exhibition organisé par Roger Federer qui permet des rémunérations très importantes mais où aucun point n’est distribué. « À nous d’être en phase par rapport aux stratégies de joueurs », affirme Éric Lucas. C’est ainsi que le tournoi mosellan conserve une belle côte dans le paysage du tennis mondial.

Un chiffre d’affaires réalisé sur dix jours

Avec un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros et quatre salariés permanents, chaque édition du Moselle Open s’apparente à un sprint. « Nous devons être au top sur la période, pour ne pas mettre à mal l’année suivante. Nous jouons notre visibilité et notre chiffre d’affaires sur dix jours », justifie le manager général. Malgré 50 000 spectateurs lors de chaque édition, la billetterie n’est pas la source de revenus principale pour le tournoi. Mais son rôle reste essentiel puisque la fréquentation influe sur la venue de partenaires, les entreprises notamment. « Nous mettons en place un système vertueux de partenariats avec des entreprises locales, PME ou ETI, qui peuvent attirer des entreprises de stature nationale. Le sport de haut niveau ne peut exister que dans un écosystème. Si le tournoi est avant tout une date sportive, c’est aussi un salon économique », souligne Éric Lucas. Pour dégager son CA, le Moselle Open mise aussi sur les droits télévisuels. Et pour cela, il faut du spectacle.

« Si le tournoi est avant tout une date sportive, c’est aussi un salon économique »

À chaque édition, près de 200 partenaires participent à l’événement et 2 500 entreprises fréquentent le village économique accolé aux courts de tennis. « À titre personnel, j’invite chaque année 170 clients au tournoi. Pour les entreprises partenaires, c’est un outil de communication très efficace », expose Raymond Doudot. Véritable atout pour se constituer un réseau et trouver des synergies futures avec d’autres entreprises présentes pendant cette semaine, le Moselle Open compte beaucoup sur cet aspect « business ». « Même si la taille de la ville de Metz pénalise un peu l’événement, ce tournoi a une véritable aura. Il y a un attachement sentimental et les actionnaires n’y voient pas de motivation mercantile mais un moyen de faire rayonner notre territoire », lance Maurice Blajman, dirigeant de l’un des spécialistes messins de l’immobilier commercial, Générale Immobilière et actionnaire historique du Moselle Open. Ensemble, actionnaires, partenaires, organisateurs et sportifs, devraient, cette année encore, permettre de proposer un événement de qualité pour faire rayonner la Moselle dans le monde entier.


L’art d’attirer les meilleurs joueurs

Les sportifs constituent la pierre angulaire d’un tournoi de tennis. « Il est légitime qu’ils demandent une rémunération. À nous tout de même de les inviter à faire attention à ne pas tuer la poule aux œufs d’or », tempère Éric Lucas, le manager général du Moselle Open. Ainsi, tout tournoi du circuit mondial propose un « prize-money », c’est-à-dire une dotation versée directement à l’ATP qui la distribue ensuite aux joueurs en fonction de leur parcours. Au Moselle Open, ce sont entre 500 000 et 600 000 € qui reviennent aux tennismen : 524 340 euros en 2019, soit l’une des plus faibles dotations dans le circuit ATP. En parallèle, les organisateurs de tournois peuvent proposer des garanties à des joueurs pour qu’ils viennent. « Ce n’est pas obligatoire mais presque. Nous n’avons pas forcément les moyens de nous priver de certains joueurs. Il faut des têtes d’affiche pour assurer notre notoriété et notre pérennité. Cela attire aussi les partenaires et annonceurs et donc conditionne notre chiffre d’affaires. » Là encore les échelles sont très variables, de plusieurs dizaines de milliers d’euros à… des millions d’euros. Certains joueurs se contentent du prize-money et repartent avec une rémunération uniquement liée à leur performance. Chaque année s’engage une valse avec les joueurs. Le côté spectaculaire, la gloire passée, l’image de marque sont autant de critères qui rendent un joueur plus ou moins bankable. « La discussion n’est pas si différente de celle entre un fournisseur et son client », résume Éric Lucas.

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