Pourquoi la pression monte sur les entreprises pour augmenter les salaires en 2022
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Pourquoi la pression monte sur les entreprises pour augmenter les salaires en 2022

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Et si l’année 2022 était payante pour les travailleurs ? La conjoncture plaide en tout cas de plus en plus pour une revalorisation générale des salaires. Envolée de l’inflation, difficultés de recrutement, mais aussi pression amicale de l’État, sur fond de reprise économique solide : voici pourquoi les entreprises risquent de devoir mettre la main à la poche.

Les entreprises pourraient devoir faire chauffer la calculette en 2022. Ne serait-ce, déjà, que pour prendre en compte l’impact de l’inflation galopante et des revalorisations successives du Smic — Photo : HJBC

Les entreprises auront-elles le choix de ne pas augmenter les salaires en 2022 ? Rien n’est moins sûr, tant la période se prête aux revalorisations et la pression monte sur leurs épaules.

La mécanique implacable de l’inflation met les branches sous pression

Première responsable de cette tendance inéluctable à la hausse : l’inflation. En novembre, elle a atteint +2,8 % sur un an, selon l’Insee, soit son taux le plus élevé depuis 2008. Cette augmentation générale des prix a déjà eu pour effet une hausse automatique du Smic en cours d’année, le 1er octobre (+2,2 %), une première en dix ans. Elle est venue s’ajouter à la revalorisation traditionnelle du 1er janvier 2021 (+0,99 %).

L’un dans l’autre, ce double rebond a provoqué une aggravation de la "non-conformité" au Smic des grilles salariales. Ainsi, à mi-décembre, dans le secteur général (hors BTP et métallurgie), près des deux tiers des branches professionnelles de plus de 5 000 salariés (soit 108 sur 171, représentant 6 millions de personnes) comptaient au moins un niveau de rémunération inférieur au salaire minimum légal.

Dans ce cas, l’employeur est obligé de verser malgré tout le Smic à ses collaborateurs. D’où un double effet pervers : au niveau collectif, l’écrasement du bas de la grille (à niveaux de qualification différents, salaire versé identique) ; au niveau individuel, l’éloignement de toute perspective de progression salariale (en l’absence de multiples promotions ou tant que les hausses obtenues ne permettent pas de dépasser le Smic).

Des minima conventionnels à corriger

Dans ce contexte, et avec le retour en force du pouvoir d’achat dans le débat public, à la veille d’une campagne présidentielle, le gouvernement ne pouvait pas rester les bras croisés. Mobilisé en début d’année sur la reconnaissance des "travailleurs de la seconde ligne", il a changé son cheval de bataille à la rentrée de septembre, pour crier haro sur les 35 branches non-conformes avant la hausse du Smic du 1er octobre. Elles avaient été invitées à rectifier le tir pendant l’automne. La ministre du Travail a tiré le bilan, le 17 décembre, de ces négociations express : une "grosse moitié" discute toujours, mais "environ un tiers" ont abouti. Et de citer en exemple l’hébergement-restauration : les organisations patronales viennent de proposer une augmentation moyenne de la grille de 16,33 %. Un effort qu’elles ont volontiers qualifié d'"historique". À relativiser tout de même, vu le retard pris ces dernières années : les salariés du premier niveau seront, en fait, payés 5 % au-dessus du Smic. Les syndicats ont jusqu’au 17 janvier pour dire s’ils acceptent ou non cette proposition.

À l’autre bout du spectre, trois branches se sont, en revanche, attiré les foudres d’Élisabeth Borne pour leur "dialogue social clairement défaillant" : le bois-négoce (aucun accord salarial en 10 ans), les grands magasins et la coiffure (jusqu’à 7 coefficients inférieurs au Smic). Dans les salons, les oreilles des professionnels du ciseau ont d’ailleurs dû siffler, car la ministre les leur a vertement tirées : la situation "est d’autant plus incompréhensible, pour ce secteur de 106 000 salariés, qu’il n’est pas menacé par des délocalisations, ni soumis à une concurrence internationale", a-t-elle fustigé devant la presse.

Aucune sanction n’est toutefois envisagée contre la coiffure et les branches, où la négociation traîne. Le ministère leur promet simplement un "suivi très renforcé" et une "pression forte". "Une convention collective n’est qu’un contrat" entre partenaires sociaux, rappelle ainsi l’entourage d’Élisabeth Borne.

Des revalorisations à peine actées, mais déjà à réviser

Mais ce dossier est aussi, pour les branches, ce que le rocher fut à Sisyphe. Un éternel recommencement. Dès le 1er janvier en effet, le Smic va de nouveau augmenter (+0,9 %)… et des minima conventionnels être à nouveau dépassés. Pas moins de 22 branches retomberont alors en non-conformité. Y compris, parmi elles, certaines qui ont déjà conclu un accord cet automne.

C’est le cas, par exemple, du travail temporaire. Les grilles évolueront en janvier pour la première fois en six ans et demi (+7 à +7,7 % d’augmentation, selon les niveaux, précise l’organisation professionnelle Prism’Emploi). Mais à 1 594 €, le premier coefficient, supérieur d’environ 5 euros au Smic actuel, redeviendra inférieur de 9 euros à celui appliqué en 2022 ! La branche avait toutefois anticipé et prévu une clause de revoyure. Précaution que toutes n’ont pas forcément prévue.

Un retard croissant à rattraper, à cause de la crise du Covid-19

Cette situation est aussi l’héritage d’une année 2020 chaotique. Perturbée par les confinements, préemptée par le Covid-19, la négociation collective dans les branches a fait, plus que de coutume, l’impasse sur les sujets de rémunération. Ainsi, selon un bilan annuel du ministère du Travail, dans les 171 branches du secteur général, seuls 93 avenants salariaux ont été signés en 2020, en baisse de 21 % en un an (après déjà -10 % en 2019). Il faut dire que le contexte de forte récession (-7,9 %) et d’inflation molle (+0,5 %) ne se prêtait guère à des hausses généralisées de revenus.

Mais les discussions sur les minima conventionnels ont, elles aussi, déraillé, au point de décrocher encore plus du Smic. Fin 2020, seules 8 branches sur 10 appliquaient des grilles au-dessus du salaire minimum, contre 9 sur 10, en général, dans la décennie précédente. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer et s’est même totalement inversée : 134 branches étaient en conformité il y a un an, contre 130 qui ne le seront pas au 1er janvier 2022, après la nouvelle revalorisation du Smic ! Un déséquilibre d’autant plus intenable que la reprise économique s’annonce exceptionnelle en 2021 (+6,7 % attendus par l’Insee) et devrait se prolonger en 2022.

Les difficultés de recrutement poussent aussi les salaires à la hausse

Mais l’inflation ne sera pas le seul moteur des hausses de rémunération dans les mois qui viennent. Les difficultés de recrutement, dans certains secteurs, comme le numérique, poussent à une surenchère salariale. Une tendance déjà à l’œuvre avant la crise, en 2019. Les patrons eux-mêmes s’en rendent bien compte. Dans un sondage de la CPME réalisé en novembre, les dirigeants avouaient augmenter les payes pour retenir des collaborateurs (à 31 %) ou pour attirer des candidats sur un métier en tension (à 49 %, parmi ceux qui recrutent). Dans tous les cas, un tiers des 1 036 dirigeants interrogés prévoyaient de relever tous les salaires de leur entreprise en janvier.

Pour la Banque de France, il n’y a là rien de surprenant. C’est même le scénario qu’elle retient dans ses dernières projections économiques, avec un bond attendu de 4 % du salaire moyen par tête en 2022, puis autour de +3 % en 2023 et 2024. Soit plus que dans les années d’avant-pandémie. Un dynamisme porté, certes, par l’inflation, mais aussi "la bonne tenue du marché du travail" et un taux de chômage plus bas qu’auparavant. Mais que les entreprises ne s’en inquiètent pas trop, rassure l’étude : cette progression des salaires "ne serait pas de nature à dégrader [leurs] marges, les gains de productivité limitant notamment les hausses de coûts salariaux unitaires".

Dans l’immédiat, salariés et syndicats sont bien décidés à pousser leur avantage dans ce nouveau rapport de force. Dans la foulée des grèves sporadiques apparues ces derniers mois dans plusieurs grandes enseignes (Orange, Leroy Merlin, Decathlon, Auchan…), huit syndicats, emmenés par la CGT et FO, appellent à la mobilisation le 27 janvier. Leur principal mot d’ordre : "l’augmentation immédiate" des salaires, en réponse à… l’inflation. Encore elle.

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