Négociations commerciales : la loi Descrozaille provoque la colère de la grande distribution
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Négociations commerciales : la loi Descrozaille provoque la colère de la grande distribution

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Venant d’être adoptée au Parlement, la loi Descrozaille, dite Egalim 3, cherche à rééquilibrer les relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs. Nouvelles dispositions en cas d’échec des négociations, encadrement des promotions, plafonnement des indemnités logistiques : le texte provoque la colère des distributeurs.

Avec la nouvelle loi, si fournisseurs et distributeurs ne s’entendent pas sur les prix et les éventuelles ristournes au 1er mars, le contrat en vigueur jusqu’alors n’est pas automatiquement reconduit — Photo : Kaspars Grinvalds

Éclipsée par la réforme des retraites, une nouvelle loi vient d’être adoptée par le Sénat et l’Assemblée Nationale dans le but de rééquilibrer les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Qualifiée d’Egalim 3, cette proposition de loi portée par le député Renaissance Frédéric Descrozaille partage au moins un point en commun avec la réforme des retraites : elle provoque de vives contestations. Principalement, cette fois, de la part des distributeurs français. Il faut dire que le rééquilibrage voulu par le législateur penche assez clairement en faveur des fournisseurs de la grande distribution.

Interruption des livraisons

Parmi les principales mesures du texte, de nouvelles dispositions visant à encadrer les négociations commerciales entre industriels et commerçants, qui se déroulent tous les ans entre le 1er décembre et le 1er mars, et qui sont généralement sources de crispations et de tensions. Frédéric Descrozaille a notamment voulu combler un vide juridique : "Le code du commerce estime que, indépendamment de la négociation commerciale, le contrat est en cours d’exécution, ce qui a pour conséquence juridique qu’en l’absence d’accord, le contrat passé reste en vigueur. Avec l’inflation actuelle, la grande distribution a tout intérêt à jouer la montre : en face, le fournisseur est obligé de continuer à livrer et va perdre de l’argent sur la période", explique le député de la première circonscription du Val-de-Marne à nos confrères de l’Usine Nouvelle. Avec la nouvelle loi, si fournisseurs et distributeurs ne s’entendent pas sur les prix et les éventuelles ristournes au 1er mars, le contrat en vigueur jusqu’alors n’est pas automatiquement reconduit. Le fournisseur peut interrompre ses livraisons ou appliquer un préavis de rupture de contrat classique. La loi Descrozaille prévoit d’expérimenter ce dispositif sur une période de trois ans.

Encadrement des promotions

Le texte plafonne également les pénalités logistiques que peuvent appliquer les distributeurs à leurs fournisseurs (à 2 % de la valeur de la commande), prévoit des amendes pour les distributeurs qui laissent traîner leurs négociations commerciales et soumet au droit français les contrats négociés avec des centrales d’achat basées à l’étranger dès lors que les produits sont vendus en France.

Le texte régule aussi la fixation des prix de vente, prolongeant ainsi les lois Egalim de 2018 et de 2021. Jusqu’en 2025, le seuil de revente à perte s’inscrit toujours dans une logique de "SRP + 10", obligeant les distributeurs de vendre les produits alimentaires au prix d’achat majoré de 10 %. Le texte encadre aussi les promotions pour les produits alimentaires, prolongeant ainsi jusqu’en 2026 une mesure adoptée par la loi Egalim 1 de 2018. Nouveauté : il étend aussi cet encadrement des promotions à certains produits de grande consommation, dans le domaine de l’hygiène-santé et de l’entretien de la maison.

Les grandes marques applaudissent, la GMS crie au scandale

Ces mesures sont immédiatement saluées par l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (Ilec), une organisation qui regroupe 90 fabricants de produits de grande consommation, parmi lesquels L’Oréal, Lactalis, Nestlé ou Unilever. "Cette loi était nécessaire pour éviter l’expiration des dispositions Egalim qui ont permis de limiter une guerre des prix destructrice de valeur pour tous, et pour mettre fin à l’évasion juridique des centrales d’achat", assure Richard Panquiault, président de l’Ilec.

Le ton est diamétralement opposé du côté de la grande distribution. La Fédération du commerce et de la distribution dénonce un texte "irresponsable et inflationniste". Il permettra "à quelques grands industriels, le plus souvent étrangers, qui détiennent la grande majorité des parts de marché, d’augmenter leurs marges, déjà scandaleuses". Vent debout contre le texte et l’encadrement des promotions, Michel-Edouard Leclerc estime que sous couvert de protéger les PME, il favorise en fait les grands groupes. "Qui peut croire que, pour aider nos PME régionales, il faille limiter les promos sur les dentifrices, les laques, les couches ou le rouge à lèvres ?", dénonce sur son blog le président du comité stratégique des centres E.Leclerc. "Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il s’agit d’équilibrer les rapports industrie-commerce sur ces marchés : pratiquement sur chacun d’eux c’est un duopole de multinationales qui réalise 65 à 80 % de l’offre des marques", poursuit-il, preuves à l’appui :"76,5 % des lessives vendues dans un hypermarché E.Leclerc sont fournies par trois entreprises multinationales qui s’appellent Henkel (dont le siège est en Allemagne), Procter & Gamble (dont le siège est aux USA) et Unilever (dont le siège est aux Pays Bas)".

PME et ETI mitigées

Et les PME dans tout cela ? Elles sont assez mitigées sur ce texte, à en croire la position de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF), qui représente 22 000 PME et ETI fabriquant les produits de consommation du quotidien. Plus que l’encadrement des promotions, c’est la négociation avec la GMS qui interpelle. "Nous ne pouvons pas nous réjouir d’un texte qui traite de la fin de la relation commerciale alors que la raison d’être d’un fabricant PME-ETI est de pérenniser son activité avec son client-distributeur, vendre au juste prix et répondre aux attentes des consommateurs", explique la FEEF dans un communiqué de presse. Son président, Léonard Prunier, estime qu’il est désormais temps "de se remettre autour de la table de manière apaisée et constructive pour bâtir un nouveau système de relation industrie-commerce prenant en compte les spécificités des fournisseurs PME-ETI. Cela passe notamment par une grande simplification de la relation commerciale et par l’autonomie du tarif fournisseur".

Pour ces raisons et parce que plusieurs dispositions de la loi Descrozaille sont limitées dans le temps, les négociations entourant la relation entre les distributeurs et leurs fournisseurs risquent donc d’être remises rapidement sur la table.

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