Karel Henry (Medef) : "L’accord national va faciliter le partage des richesses au sein des entreprises"
Interview # Politique économique

Karel Henry présidente du Medef Sarthe "L’accord national va faciliter le partage des richesses au sein des entreprises"

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Les partenaires sociaux viennent d’adopter un accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise. Écartant le dividende salarié et la généralisation de la participation, cet accord appelé à être retranscrit dans une loi propose de nouveaux outils de partage des richesses.

Présidente du Medef de la Sarthe, Karel Henry a coprésidé les négociations sur le partage de la valeur entre les partenaires sociaux — Photo : Stéphane Vandangeon

Pourquoi l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur, que viennent d’adopter syndicats de salariés et organisations patronales, ne parle-t-il pas des augmentations de salaires, mais de dispositifs comme la participation, l’intéressement ou l’ex-prime Macron ?

Les organisations patronales n’ont pas vocation à prendre la main et à décider de ce que vont faire les entreprises et les branches professionnelles. Le droit du travail prévoit que les branches professionnelles négocient régulièrement leurs minima. Dans l’accord, nous avons rappelé un certain nombre de principes autour des engagements des branches professionnelles. La question des salaires n’est pas le point central : il s’intéresse aux différents dispositifs existants qui, aujourd’hui, ne sont pas activés par bon nombre d’entreprises. Notamment dans les TPE et PME, qui ne disposent pas en leur sein des mêmes expertises que les grands groupes pour adopter des mécanismes parfois complexes à mettre en place. L’objectif des discussions a été justement de trouver des solutions pour inciter, faciliter et rendre lisibles les dispositifs de partage de la richesse.

Que retenez-vous de cet accord ?

L’avancée forte, c’est l’obligation pour chaque branche professionnelle d’ouvrir une négociation avant le 30 juin 2024 pour mettre en place un dispositif de participation dans les entreprises employant entre 11 et 49 salariés. L’objectif est d’amener ces entreprises à ouvrir une négociation pour mettre en place un dispositif de participation, avec une formule dérogatoire, car le mode de calcul de la participation est aujourd’hui assez rigide.

"Les entreprises de 11 à 49 salariés vont devoir mettre en place au moins un dispositif de partage de la valeur à partir du 1er janvier 2025."

Demain, les branches professionnelles devront donc mettre en place des moyens pour définir un mode de calcul de la participation. Il s’agit bien d’une obligation de moyen pour la branche, la négociation peut très bien ne pas aboutir.

L’objectif, c’est qu’un dirigeant de PME puisse actionner l’accord défini par sa branche ?

Exactement, cela lui donne la possibilité d’entrer en négociation, de pas être enfermé dans un calcul.

L’accord prévoit aussi une obligation pour les PME de moins de 50 salariés, celle de mettre en place au moins un dispositif de partage de la valeur.

Les entreprises de 11 à 49 salariés vont devoir en effet mettre en place au moins un dispositif de partage de la valeur à partir du 1er janvier 2025. Il y a des conditions : il faut être une société et que l’entreprise réalise un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives. Le dispositif peut se traduire par de l’intéressement, de la participation, une prime de partage de la valeur (ex-prime Macron, NDLR) ou un plan d’épargne entreprise.

L’entreprise est donc libre de déterminer son ou ses mécanismes de répartition ?

À chaque dirigeant de déterminer ce qu’il peut effectivement partager et comment il veut le faire. Le partage des richesses, c’est important, mais un entrepreneur doit aussi prendre en compte d’autres éléments dans son équation, comme les projets d’investissement nécessaires au développement de l’entreprise.

Les syndicats de salariés demandaient une généralisation de la participation dans toutes les entreprises. Pourquoi s’y être opposé ?

On ne souhaitait pas de participation obligatoire dans les entreprises inférieures à 50 salariés parce qu’on ne pilote pas une TPE ou une PME de la même manière qu’un grand groupe. Généraliser la participation peut mettre en danger les plus petites structures, dans lesquelles il n’y a pas une armée d’experts et qui n’ont toujours beaucoup de visibilité. Cela nous paraissait important, pour ces raisons, de laisser la main aux dirigeants.

Vous voulez en revanche renforcer l’ex-prime Macron. Que demandez-vous au gouvernement pour cela ?

On s’est effectivement battu pour que les plus petites entreprises puissent continuer à disposer de la prime de partage de la valeur. Parce qu’on se rend compte qu’elle est facilement activable par les entreprises. Pour améliorer ce dispositif, les organisations signataires demandent plusieurs évolutions du cadre légal et réglementaire. Il s’agit d’abord d’offrir la possibilité aux entreprises de verser la prime en plusieurs fois, avec deux octrois possibles par an. Cela permet au dirigeant qui, dans les petites entreprises, ne peut pas toujours s’appuyer sur un directeur financier pour établir des prévisions, de verser des primes de partage de la valeur en ayant toutes les cartes en main.

"Les signataires de l’accord jugent la notion de dividende salarié inappropriée."

Nous demandons aussi au gouvernement le maintien du régime fiscal actuel pour les entreprises de moins de 50 salariés. La défiscalisation des primes de partage de la valeur doit en effet s’arrêter en janvier 2024. Enfin, nous demandons la possibilité de placer la prime dans un plan d’épargne entreprise ou d’épargne retraite.

Par contre, les partenaires sociaux balaient d’un revers de la main une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le dividende salarié. Pourquoi ?

Les signataires de l’accord jugent cette notion de dividende salarié inappropriée. Le dividende est lié au capital propre que peut apporter une personne dans une organisation, à un actionnaire. Associer cela au salariat n’a pas de sens. Des hommes politiques comme Bruno Le Maire, entre autres, s’approprient cette notion de dividende salarié qui n’existe pas !

Vous proposez justement une alternative à l’actionnariat salarié…

Dans les PME, il n’est pas forcément aisé de mettre en place l’actionnariat salarié : l’opération est complexe et elle implique un accès à la gouvernance. Être dans la gouvernance, être actionnaire implique une part de responsabilité et une certaine prise de risque. Ce à quoi les organisations syndicales sont fermement opposées : elles voulaient étendre le partage de la valeur tout en limitant, voire annihilant, les risques pour le salarié. Or un dirigeant d’entreprise peut créer de la richesse, mais il peut aussi en perdre à ses dépens.

Un dirigeant peut toutefois souhaiter offrir une prime qui reflète la valorisation de l’entreprise, car les salariés contribuent aussi à la création de richesses. Nous proposons donc la mise en place d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise. Ce plan pourrait bénéficier à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté et à qui on attribuerait un montant indicatif de valorisation. Au terme d’une période de trois ans, le salarié perçoit un montant qui correspond au pourcentage de valorisation de l’entreprise appliqué au montant indicatif.

Comment se calcule cette valorisation ?

Il va falloir définir pour chaque entreprise un indicateur de référence, comme l’Ebitda. C’est aux entreprises de le déterminer.

Êtes-vous satisfaite de cet accord ?

Oui. Ne serait-ce parce que, sur l’ensemble des organisations syndicales, une seule – la CGT – n’a pas signé. La CFDT, CFE-CGC, CFTC et FO (en plus du Medef, de la CPME et de l’U2P côté patronat, NDLR) ont tous signé.

"On se rend compte que la dialogue social a du sens sur un sujet comme celui-là."

Il ne faut pas oublier que cette négociation a eu lieu à la demande du gouvernement, qui nous a invités - fortement - à nous mettre autour de la table, avec une feuille de route imposée, à un moment où la question du pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des salariés. Nous avons réussi, au terme de onze séances, à converger, avec des objectifs sur lesquels on se rejoignait de plus en plus au fur et à mesure qu’on avançait. Au départ, les attentes des organisations syndicales et du patronat sont diamétralement opposées sur la question du salaire. Les revendications des organisations syndicales portaient sur l’augmentation automatique des minima de branche à chaque revalorisation du Smic, sur la hausse des grilles de salaire et sur la généralisation à toutes les entreprises des dispositifs de partage de la valeur.

Certaines personnes remettent en question le dialogue social, son importance, sa pertinence parfois. On se rend compte qu’il a du sens sur un sujet comme celui-là.

La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé que l’accord allait être retranscrit dans une loi au printemps. Quels seront vos points de vigilance ?

Elle a dit que l’accord allait être fidèlement retranscrit. On restera attentif à cette notion de dividende salarié, qui reste ancré chez le politique, et à la question du super profit. Certains voient derrière le profit quelque chose de négatif. Mais heureusement qu’une entreprise génère du profit ! C’est ce qui lui permet d’être pérenne dans le temps, d’investir, de créer de l’emploi, etc. Je préfère parler de profits exceptionnels, auquel cas nous sommes plutôt favorables pour en redistribuer une partie.

Enfin, cet accord reste soumis aux politiques. Il y a notamment des points qui nécessitent d’être "normés", d’autres qui font évoluer le code du travail, d’autres encore qui nécessitent des décrets.

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