Faut-il continuer à miser sur les États-Unis ?
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Faut-il continuer à miser sur les États-Unis ?

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La guerre commerciale n’a pas eu lieu. Du moins pas encore. L’Europe et les Etats-Unis ont fini par signer un cessez-le-feu au cœur de l’été, après des mois de vives tensions. Les PME françaises doivent-elles profiter de cette trêve pour investir le marché américain ?

4 800 entreprises françaises se sont implantées aux Etats-Unis. La plupart s'installent dans les villes de la côte Est. — Photo : CC0

« Avec l’administration Trump, nous sommes toujours dans l’expectative sur ce qui va se passer, notamment au niveau des frais de douanes », souffle Pierre Cariven. Comme beaucoup de chefs d’entreprise exportant outre-Atlantique, le dirigeant du fabricant de montures de lunettes Pierre Eyewear (14 salariés) n’a cessé de se questionner cette année sur les perspectives de business offertes par le continent américain. La tension est en effet vivement montée entre les États-Unis et l’Europe, avec la mise en place de taxes sur l’acier et l’aluminium provenant d’Europe. Avant de redescendre, avec la signature d’un accord commercial surprise fin juillet.

Malgré cet environnement incertain, les entreprises continuent de miser sur le continent nord-américain. « Les États-Unis et la Chine sont les deux premières destinations vers lesquelles les entreprises françaises souhaitent accroître leurs exportations. Ces deux pays offrent des perspectives de croissance solides », assure Stéphane Colliac, économiste chez Euler Hermes, en s’appuyant sur une étude publiée au printemps. Reste que le retour du protectionnisme génère la mise en place de nouvelles règles du jeu.

Mieux vaut s’implanter aux États-Unis

Selon Patrick Ferron, responsable États-Unis chez Altios International, un cabinet qui accompagne une centaine d’entreprises par an dans leur développement outre-Atlantique, « l’administration Trump a changé la donne. L’accent est mis sur l’implantation, plus que sur l’exportation. Il y a beaucoup de protectionnisme et des droits de douane importants. Le Buy American Act (promulgué en 1933, mais drastiquement renforcé depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, NDLR) fait qu’il faut du contenu local pour encourager l’industrie locale. »

Ana-Maria Lascurettes, chargée d’affaires export chez l’artisan confiturier, maître confiseur et chocolatier Francis Miot (50 employés, 5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017) confie : « L’année dernière, nous avons exporté 80 000 € de marchandises aux États-Unis, mais nous avons dû dépenser 30 % de ce montant en frais d’acheminement, de stockage et de douanes. » Des réformes fiscales ont été promulguées pour encourager l’implantation d’entreprises étrangères : la tranche fédérale se situe en moyenne à 26 %, suite à une réforme de janvier 2018, contre 32 %. Son but est de promouvoir l’industrie locale via la baisse de la pression fiscale. À cet impôt, il faut ajouter celui que chaque état est en droit d’appliquer. En Floride, il n’y en a pas.

« L’accent est mis sur l’implantation, plus que sur l’exportation. Il y a beaucoup de protectionnisme et des droits de douane importants. »

Avant de pouvoir s’implanter aux États-Unis, « il faut faire ses devoirs », affirme Patrick Ferron. C’est-à-dire bien se préparer. « Les Américains sont d’un pragmatisme inouï. Il n’y a aucune place pour les sentiments quand on parle de business. Il faut donc un projet bien huilé », confirme Aude Guivarch, responsable de la filière agrotech (agroalimentaire, vins, équipements agricoles) aux États-Unis et Canada pour Business France, organisme qui promeut l’internationalisation de l’économie française. « Pour exporter, dans le domaine agrotech, le challenge est de trouver les bons importateurs et distributeurs selon le produit », poursuit Aude Guivarch, qui accompagne les entreprises en ce sens.

« C’est un marché qui séduit, mais il faut être sur place. Les entreprises qui décident d’y aller doivent être prêtes à investir. Avant de se tourner vers ce marché, je préconise d’aller d’abord sur les marchés européens. Ça fait sens, car il n’y a pas de frontières et il y a la même monnaie. Ensuite, aller vers les États-Unis peut devenir pertinent », prévient Patrick Ferron.

La côte est privilégiée

L’implantation permet de bénéficier des ressources locales : « Le coût de l’énergie est plus bas qu’en France, il n’y a plus de frais de douanes et avoir la casquette américaine démontre une volonté réelle de s’engager auprès de ses clients », assure Patrick Ferron. Et à défaut de pouvoir s’implanter, il faut se montrer régulièrement. « Nous allons aux États-Unis cinq fois par an. Les Américains ont besoin de vous voir pour nouer de la confiance. Du jour au lendemain, votre chiffre d’affaires peut exploser, mais parfois ça prend du temps. Il faut être patient et garder à l’esprit qu’on peut être oublié facilement », complète Ana-Maria Lascurettes.

« Les Américains sont sensibles à la qualité des produits made in France et au design. »

Reste à savoir où aller, car les États-Unis regroupent 50 états, avec chacun leurs particularités. « À New York par exemple, à partir de janvier 2019, un Smic va être instauré à 15 dollars de l'heure, c'est-à-dire deux fois plus que le niveau fédéral », assure Patrick Ferron. Bien choisir le lieu pour son activité est primordial. La proximité par rapport aux clients, aux fournisseurs, à la logistique est bien sûr un facteur à prendre en compte. Tout comme le décalage horaire et la proximité d’un aéroport. Voilà pourquoi la côte est est privilégiée par les entreprises françaises.

« Nos clients américains prennent deux à trois fois plus de montures que ceux européens. Mais il y a aussi des contraintes. Les goûts des états de l’est sont différents de ceux de l’ouest. Et pour le service après-vente, il faut anticiper les fuseaux horaires. En revanche, la production tricolore, de façon générale est très appréciée. Les Américains sont sensibles à la qualité des produits made in France et au design », complète Pierre Cariven, qui envoie 400 montures par mois aux États-Unis. Le dirigeant aimerait disposer de représentants sur le sol américain : « Depuis notre création en 2007, nous sommes distribués aux États-Unis. Aujourd’hui, ce marché représente 15 % de notre activité. Nous cherchons à intensifier notre présence en ayant du personnel à plein temps ». Beaucoup de Français ont déjà franchi le pas. Il existe en effet aux États-Unis 4 800 filiales d’entreprises françaises, qui emploient 575 000 salariés.

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