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Serge Petiot (AGS) : « Le risque d’une catastrophe économique est majeur »
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Serge Petiot président du conseil d’administration de l’AGS Serge Petiot (AGS) : « Le risque d’une catastrophe économique est majeur »

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Avec la présidence du conseil d’administration de l’AGS, le régime de garantie des salaires, Serge Petiot dispose d’un observatoire privilégié sur la situation économique. Ce rouage encore mal connu des dirigeants français intervient en effet lors d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire : depuis son poste, l’ancien dirigeant nancéien de Lagarde et Meregnani voit tomber de grosses sociétés. Prélude à une nouvelle crise ?

Reconnu pour la rigueur de sa gestion, Serge Petiot est président du conseil d'administration de l'AGS depuis décembre 2018 — Photo : © Jean-François Michel

Quel est le rôle du régime de garantie des salaires (AGS), ce rouage de l’économie française encore mal connu ?

Serge Petiot : C’est un régime légal, créé à l’initiative des employeurs en 1974, qui intervient en garantie des salariés et des employeurs en procédures collectives, uniquement en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, en anticipant les mutations de son environnement et le traitement préventif des difficultés, avec un objectif : faciliter le redressement des entreprises et préserver l’emploi. La garantie des salaires, acquise par les salariés, est acquise définitivement, quel que soit l’état des cotisations. Pour l’employeur, l’enjeu est de l’aider à se redresser.

Comment est financé ce régime ?

S. P. : Le financement est assuré à hauteur de 60 % par une cotisation obligatoire et à hauteur de 40 % sur les récupérations réalisées sur les actifs. La cotisation AGS est recouverte par l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, l’Acoss, et est fixée actuellement à 0,15 % de la masse salariale des entreprises relevant du secteur privé, quel que soit le nombre de salariés. La méconnaissance du système vient du fait que la cotisation est noyée dans les montants déjà prélevés par l’Acoss, qui prélève notamment les montants dus à l’Urssaf. Les employeurs ont connaissance du système quand ils arrivent devant un tribunal et qu’ils se rendent compte que les salaires impayés vont être réglés.

Comment est piloté l’AGS ?

S. P. : La gouvernance du régime est assurée par une association, qui s’appelle AGS. L’opérationnalité du régime est en revanche assurée par un établissement de l’Unedic, sous la forme d’une DUA, pour « Délégation Unedic AGS ». Concrètement, l’association n’a donc pas de salarié. La DUA qui gère le régime, dispose en revanche de près de 230 salariés travaillant dans 15 centres régionaux en France, qu’on appelle des CGEA, pour Centre de gestion et d’études AGS. Le centre de Nancy, par exemple, a en charge 10 départements. Quand il y a un redressement quelque part, c’est le centre dont dépend l’entreprise qui traite l’avance financière sous le contrôle des mandataires. L’objectif est d’assurer un paiement des salaires sous forme d’avance dans des délais les plus courts dès la saisine par le mandataire qui nous adresse les relevés de créances. Je suis président de l’AGS depuis le 12 décembre. Notre conseil d’administration, qui compte 26 membres, n’est pas paritaire, puisque mis en place par le patronat. On y compte 16 membres du Medef, 8 CPME et deux relevant du monde agricole. Le principe, c’est que la société qui a bénéficié des avances de l’AGS va rembourser ce qu’elle peut, voire tout. Le régime avance chaque année 1,5 milliard d’euros. Le régime ne récupère que 600 millions d’euros sur ces sommes alors que les cotisations rapportent 900 millions par an. Ce milliard et demi permet d’indemniser près de 200 000 salariés par an en moyenne. Par le passé, la cotisation a déjà été à 0,45 %, notamment lors de la crise de 2008.

Comment avez-vous pu arriver à ce poste, d’ordinaire confisqué par des Parisiens ?

S. P. : J’ai été désigné par le Medef sur proposition de la Fédération française du Bâtiment (FFB) dont je suis le président de la commission fiscale depuis 14 ans. La FFB, qui a 55 000 adhérents, est adhérente au Medef : quand ils ont cherché quelqu’un pour remplacer l’ancien président de l’AGS, il m’a été demandé d’accepter cette charge. J’étais juge consulaire, j’ai démissionné, parce qu’on ne peut pas être juge et partie. En tant que juge, j’étais sachant sur ces questions, et je peux aussi affirmer que ma gestion, dans tous mes mandats, a toujours été rigoureuse. C’est le Medef de Meurthe-et-Moselle et sa présidente, Christine Bertrand, qui se sont battus pour mon élection. Aujourd’hui, je pense être le relais idéal par rapport à la situation de l’AGS.

Quelle est la situation au sein de l’AGS ? Un audit a révélé des malversations…

S. P. : La question est dans les mains de la Justice, j’ai déposé plainte. Je ne peux pas vous en dire plus.

Quelle est votre feuille de route ?

S. P. : Un de mes sujets, c’est de traiter de la problématique de la mise en œuvre de l’intervention de l’AGS. Nous voulons être sûrs que tous ceux que l’on indemnise y ont droit. Si vous êtes intérimaire dans une société par exemple, vous ne pouvez pas bénéficier du régime… C’est pourquoi j’ai demandé un croisement avec la DSN, la déclaration sociale nominative. Comme nous allons très vite pour payer tout le monde, il faut revenir en arrière, remonter à l’Urssaf, à la MSA, afin de mieux identifier ceux qui trichent. La solution, c’est de croiser les fichiers, de trouver toutes les solutions afin de s’assurer que le salarié existe bien. Ce sujet, nous l’abordons tout en conservant la rapidité de paiement des salariés. Il n’est pas question, parce que nous serons plus prudents à l’avenir, de retarder les paiements.

L’AGS est-elle le premier voyant qui s’allume en cas de problème économique ?

S. P. : Nous sommes les premiers intéressés, puisque nous sommes les premiers à payer. Quand il y a un problème avec une entreprise quelque part, nous sommes les premiers à le savoir, avec le tribunal. Aujourd’hui, nous observons, sur l’année glissante, un recul de 7,4 % du nombre d’entreprises qui ont déposé le bilan. Mais il y a une recrudescence des difficultés chez les grosses sociétés, qui se traduit dans l’indemnisation des salariés : nous sommes à plus de 20 000 salariés supplémentaires sur six mois.

Quel est le secteur le plus touché par ces difficultés ?

S. P. : C’est l’industrie française… General Electric, Arjowiggins puis derrière Sequana. S’ils ne se redressent pas, l’AGS paye tout. La recrudescence, elle s’observe non pas sur le nombre des entreprises, mais sur la taille, notamment les plus de 100 salariés.

Donc c’est une nouvelle crise qui se prépare ?

S. P. : Il y a une inquiétude pour 2020. Il faut accompagner les entreprises le plus tôt possible. La cellule prévention des tribunaux doit être sollicitée pour aider les entreprises en difficulté. Pour les AGS, la situation pourra se traduire par une remontée du taux de cotisation. Ma mission, c’est aussi d’équilibrer les comptes. La décision de remonter le taux est prise en totale autonomie par le conseil d’administration de l’AGS, qui fixe la cotisation.

Mais aujourd’hui, vous n’avez pas d’inquiétude sur l’équilibre des comptes de l’AGS ?

S. P. : Aujourd’hui, les comptes sont équilibrés, et avant l’été, nous avons pris la décision de ne pas modifier le taux. Mais si la situation continue en 2020, nous ne pourrons pas rester comme cela. Nous pourrons tenir jusqu’à la fin de l’année, mais pas plus. Concrètement, la trésorerie qui était à 700 millions d’euros au début de l’année sera à 400. Il suffit d’augmenter le taux au mois de janvier pour récupérer 200 millions d’euros dans l’année. Le taux est fixé d’après des analyses précises, mais s’il y a une catastrophe mondiale, nous ne pourrons pas la prévoir, comme ça a été le cas en 2008.

C’est le scénario de la catastrophe qui se dessine selon vous ?

S. P. : C’est le scénario qui se dessine à ce jour.

Pourtant l’activité est bonne, il y a de l’argent sur les marchés…

S. P. : Le niveau de l’activité n’est pas mauvais en général, mais il est mauvais dans des secteurs sensibles, comme l’industrie, qui pèse très lourd dans l’économie. Une baisse du marché automobile, la concurrence féroce de l’Asie, tout cela, ça se traduit par du chômage en plus. Prenons le bâtiment : les chiffres issus des permis de construire indiquent qu’on va faire 100 000 logements de moins cette année. En comptant 2,5 emplois par logement, on a une idée précise de ce qui va se passer. L’État en a conscience, de nouveaux dispositifs ont été imaginés, mais c’est tout l’équilibre financier du secteur du bâtiment qui est menacé. Le risque d’une catastrophe économique est majeur si les défaillances de grosses sociétés accélèrent.

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