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Notre-Dame-des-Landes : « Il faudrait auditer l’évaluation»
Interview Loire-Atlantique # Transport

Alain Bonnafous Alain Bonnafous Notre-Dame-des-Landes : « Il faudrait auditer l’évaluation»

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« La France compte trois fois plus d’aéroports que l’Allemagne. Qui est dans l’erreur? » Professeur émérite de l’Université de Lyon, chercheur au Laboratoire d’économie des transports (LET), Alain Bonnafous livre au Journal des entreprises son analyse sur les enjeux du transport aérien. Et du cas particulier de Notre-Dame-des-Landes. > Retrouvez l'intégralité de cette interview dans notre supplément hors-série Mobilité

Photo : Kevin.B - Wikimedia

Le Journal des Entreprises : La France compte un certain nombre d’aéroports régionaux dont la justification peut prêter à interrogation. Le schéma national aéroportuaire est-il cohérent ?

Alain Bonnafous : Il est clair que l’on a mieux satisfait les demandes locales que l’optimisation du système. La dispersion de l’offre a pu réjouir quelques chambres de commerce mais les départements concernés n’ont pas profité des économies d’échelle et d’envergure qu’aurait apporté un plus gros aéroport en lieu et place de plusieurs plus petits. Le nombre de nos aéroports commerciaux est presque trois fois supérieur à celui de l’Allemagne.

Qui est dans l’erreur ? Les grands aéroports parisiens sont au bord de l’asphyxie. Existe-t-il des solutions pour les désengorger ?

A.B. : Il y a deux dimensions dans la question : l’une concerne la réalité de la saturation, l’autre la possibilité de reporter ailleurs une part de la croissance attendue du trafic. La question de la saturation n’est pas simple. S’agit-il de la capacité des pistes en heure de pointe ? Des capacités d’embarquement-débarquement des passagers ? Des contraintes liées au plan d’exposition au bruit ? D’une limite énoncée par un ministre imprudent ? Ou encore des capacités des transports terminaux ? En l’état actuel des prévisions de trafic et des aménagements en cours ou programmés, on ne peut envisager de vraie saturation de CdG avant la prochaine décennie. Pour traiter la question du report d’une part de la croissance du trafic en province, il faut d’abord prendre la mesure de la situation française : elle se caractérise par une concentration du trafic sur les aéroports de Paris, sur Charles de Gaulle en particulier, qui ne correspond pas à notre géographie. En Allemagne, il y a trois aéroports qui assurent plus de 30 % du trafic de l’aéroport leader qui est celui de Frankfort. En France, le premier aéroport de province, Nice, assure moins de 12 % du trafic des ADP. Autant dire que le gisement de report est important. Ce report peut passer par plusieurs scénarios.

- Un premier pourrait être celui d’un
troisième aéroport parisien comme celui de Chaulnes en Picardie « décidé » à l’issue d’un débat public en 2000.

- Le second scénario pourrait
s’appuyer sur le développement de plates-formes du grand Bassin parisien comme Beauvais-Tillé, Châteauroux ou Vatry.

- Un troisième pourrait être un
renforcement des principaux aéroports de province dont plusieurs peuvent envisager un doublement de trafic sans réel problème.

Bien entendu la réalité pourra être faite, dans les années 2020-2030, d’un cocktail de ces trois scénarios, du moins des deux derniers. D’ores et déjà le second scénario pointe son nez avec un trafic à Beauvais-Tillé qui vient de passer devant celui de Nantes-Atlantique et un important trafic de fret à Châteauroux et Vatry. Le troisième scénario aussi avec trois des cinq premiers aéroports de province qui ont enregistré une croissance du trafic depuis l’an 2000 nettement supérieure à celle des ADP.

Dans ce contexte, la création de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, correspond-elle à une nécessité sur le plan économique ?

A.B. : L’aéroport de Genève assure, avec une seule piste, 13 millions de passagers par an et envisage la saturation à 20 millions. On peut être surpris de voir évoquer la saturation de l’aéroport de Nantes avec un peu plus de 3 millions. Je ne connais pas, cependant, le détail de ce dossier. La forte croissance propre de cet aéroport ou certaines données techniques peuvent justifier le projet mais ces arguments ne sautent pas aux yeux. Dans la perspective d’une dispersion de la croissance du trafic vers les aéroports régionaux, qui est celle du troisième scénario que je viens d’évoquer, les aéroports les mieux placés sont ceux qui ont un solide potentiel de développement du trafic international et, à terme, intercontinental. Cela renvoie à au moins deux conditions : d’une part un certain éloignement de Paris de sorte que la zone de chalandise soit mieux capturé; d’autre part, qu’il y ait déjà un niveau de trafic qui permette d’envisager des synergies par les correspondances et le mécanisme du hub. C’est ce mécanisme qui permet d’avoir un nombre important de destinations. Sous ces deux conditions et en fixant cette masse critique à 5 millions de passagers, il y a dans l’ordre Nice, Lyon, Marseille, Toulouse et Bale-Mulhouse-Freiburg. On pourrait y ajouter Bordeaux qui dépasse 4 millions et manifeste une belle dynamique. A priori Nantes-Atlantique est un peu en retrait.

La mobilisation des opposants à Notre-Dame-des-Landes n’est-elle pas une expression de la philosophie de la décroissance qui dépasse la seule question de l’aéroport ?

A.B. : « Halte à la croissance ! » était le titre d’une version française résumée du rapport Meadows, financé par le Club de Rome et publié il y a juste 40 ans. C’est évidemment devenu l’un des fondements idéologiques de l’écologisme. La croissance fait partie des « Grands Satan » avec le nucléaire ou les OGM et le transport aérien fait partie des « Petits Satans » comme le diesel ou les autoroutes. Le cas de Notre-Dame-des-Landes me semble cependant plutôt animé par des comités de défense locaux qui ont été, au moins au niveau médiatique, récupérés par des organisations dites écologistes. Au demeurant le souci de la croissance passe par un choix des investissements publics qui, pour le moins, créent plus de valeur qu’ils n’en détruisent et qui, de plus, dégagent plus de valeur nette que les investissements alternatifs. Il faudrait auditer l’évaluation de cet aéroport pour vérifier que c’est le cas. J’évoque évidemment une création nette de valeur qui prend en compte les externalités, ainsi que le prescrivent les textes officiels de 2004 et 2005 sur l’évaluation des grands projets d’infrastructure de transport.

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