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"Il est possible pour une entreprise de fabriquer en France et de croître"
Interview Aisne # Industrie # Made in France

Jenkiz Saillet directeur général de Novacel "Il est possible pour une entreprise de fabriquer en France et de croître"

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Fervent défenseur du made in France, le fabricant de verres optiques Novacel affiche une croissance continue depuis une quinzaine d’années. En 2023, cette ETI basée à Château-Thierry, dans l’Aisne, a réalisé un chiffre d’affaires de 164 millions d’euros. Son directeur général, Jenkiz Saillet, revient sur les enjeux de la fabrication française.

Jenkiz Saillet, directeur général de l’entreprise Novacel, un fabricant français de verres de lunettes — Photo : Novacel

L’engagement revendiqué de Novacel sur le made in France a-t-il été un atout pour son développement ?

Novacel est née en 1994 et, à l’époque, le pari du made in France générait des moqueries… Depuis la crise sanitaire du Covid-19, le regard a bien évolué : la fabrication française a désormais excellente presse. Les acheteurs demandent de plus en plus l’origine des produits et nombre de nos confrères commencent à relocaliser, mais cela concerne en général un seul de leurs produits. Nous prônons le made in France mais aussi et surtout, la marque "Origine France Garantie", qui stipule que plus de 50 % de la valeur du produit doit être faite en France. Cela permet d’éviter le "french washing", c’est-à-dire le fait de communiquer sur du made in France pour un produit réalisé dans l’Hexagone dans ces dernières étapes uniquement…

Ce parti pris figure parmi les premiers arguments de vente auprès de nos clients opticiens, car il nous permet de garantir des livraisons de verres en deux ou trois jours contre une semaine chez nos concurrents. C’est globalement un pari réussi pour l’entreprise, qui est en croissance continue depuis une quinzaine d’années. Nous avons réalisé en 2023 un chiffre d’affaires de 164 millions d’euros (150 millions d’euros en 2022, NDLR), contre 37 millions d’euros en 2007. Novacel a démarré avec 11 salariés et en compte désormais 640, ce qui fait de nous le septième employeur de l’Aisne. Nous sommes aussi le troisième fabricant français, avec 18 % des parts de marché en quantité et 13 % en valeur, derrière Essilor (actionnaire majoritaire de l’entreprise, aux côtés de son fondateur Roger Düning, NDLR) et BBGR. Il est donc possible pour une entreprise de fabriquer en France et de croître.

Tous vos verres sont-ils produits en France ?

Nous produisons entre 17 000 et 18 000 verres RX (des verres sur-mesure fabriqués au moment de la commande, NDLR) par jour et nous expédions au total 35 000 verres par jour. La différence réside dans des verres stockés, achetés blancs à d’autres fabricants, sur lesquels nous venons appliquer des teintes, des petites corrections, etc. Près de 5 % de nos volumes sont également produits en Thaïlande, dans le cadre du dispositif 100 % santé (mis en place en janvier 2021, NDLR). Comme il concerne des verres extrêmement peu chers, il nous oblige à fabriquer à l’étranger. C’est une initiative que nous avons prise à mon grand désespoir : alors que l’Etat prône la relocalisation, il nous oblige, à travers ce dispositif 100 % santé, à ouvrir une ligne de fabrication à l’étranger…

Comment assurez-vous la compétitivité de Novacel ?

Dans leur grande majorité, les verres de lunettes sont fabriqués en Thaïlande. Il faut savoir que fabriquer en France génère un coût de production cinq fois supérieur… C’est lié au prix de la main-d’œuvre, mais aussi à la complexité administrative et à une législation importante pour les dispositifs médicaux. La solution que nous avons trouvée, c’est l’automation. Nous supprimons les emplois à faible valeur ajoutée pour les rebasculer sur des postes à forte valeur ajoutée, qui nous permettent d’absorber le coût du travail. Nous investissons en moyenne 5 millions d’euros par an de ce processus. Cela nous permet de fabriquer en France, où nous réalisons 90 % de notre chiffre d’affaires, les 10 % restants étant réalisés avec la Belgique, le Canada, le Portugal, l’Espagne, la Grèce…

Nous prévoyons d’automatiser prochainement un entrepôt de picking, où le prélèvement se fait encore à la main. Ce type d’entrepôt doit se construire de A à Z, nous allons donc l’installer sur un terrain disponible sur notre site. Ce projet, encore à l’étude, représente un investissement d’environ 10 millions et devrait aboutir vers 2025/2026.

La hausse des prix des matières premières et de l’énergie remet-elle en cause cette pertinence du made in France ?

Nous avons fait face en resserrant les boulons, dans tous les domaines. Heureusement, nous avions déjà réussi à réduire notre consommation d’eau et d’énergie de l’ordre de 50 % entre 2017 et 2022. Cela découle de l’acquisition de nouvelles machines, moins énergivores, et de l’implication au quotidien de nos collaborateurs sur certains gestes, comme couper la climatisation, éteindre l’ordinateur… Nous avons aussi supprimé la consommation de gaz.

"Le prix du mégawatt est passé de 50 € en 2022, à 450 € en 2023. Ce qui s’est traduit par une facture d’électricité passée de 800 000 euros à plus de 2 millions d’euros"

Malgré tout, la hausse des prix de l’électricité s’est avérée très importante pour l’entreprise. Le contrat avec notre fournisseur d’électricité courait jusqu’à la fin de l’année 2022, c’est donc en 2023 que nous avons ressenti cette hausse. Le prix du mégawatt est ainsi passé de 50 € en 2022, à 450 € en 2023. Ce qui s’est traduit par une facture d’électricité passée de 800 000 euros à plus de 2 millions d’euros. Cela a généré beaucoup d’anxiété, car cette hausse du prix de l’électricité s’est accompagnée d’une hausse des matières premières et des coûts du transport…

Ce qui a sauvé l’entreprise, c’est que nous avons réalisé davantage de chiffre d’affaires en 2023, avec une croissance qui s’est établie à 9 % au lieu des 3 % prévus. Cela s’explique par le fait que les particuliers n’ont pas facilement eu accès aux opticiens durant la crise sanitaire : de nombreux projets d’équipement ont donc été reportés sur 2022/2023. L’entreprise est restée rentable malgré tout et nous avons poursuivi nos efforts collectifs sur la consommation d’énergie.

Novacel est-elle portée par l’évolution de son marché ?

Si 2022 et 2023 étaient de bonnes années, en raison des projets d’équipements reportés, l’année 2024 reste en revanche pleine de mystères. Le début de l’année s’est avéré compliqué, avec une croissance légère, à 2,5 % contre les 3 % que nous avions budgétés. Dans ce contexte d’inflation, les particuliers s’équipent moins en lunettes car en dépit des mutuelles, il y a parfois un reste à charge. Le marché n’est en tout cas pas saturé et il s’élargit, en lien avec le vieillissement de la population, la progression de la myopie chez les plus jeunes exposés aux écrans, ou encore le développement de produits de confort, pour le sport par exemple. Dans ce contexte, nous maintenons une politique de conquête active des opticiens et nous poursuivons les recrutements. Novacel recherche une quarantaine de collaborateurs supplémentaires, en maintenance, informatique, administratif, etc. Mais il n’est pas simple d’attirer des talents en Picardie…

"Le marché s’apprête selon moi à vivre une révolution de l’ordre de celles qu’ont connu l’appareil photo, le téléphone ou l’ordinateur"

Quels sont les grands enjeux du marché de l’optique ?

D’ici cinq à dix ans, je vois arriver sur le marché les verres électroniques adaptatifs (des verres capables d'adopter la correction la plus adaptée à leur porteur, grâce à un système de cristaux liquides qui module la réfraction de la lumière, selon la situation. L'objectif de cette technologie est de remplacer les verres progressifs actuels NDLR). Le marché s’apprête selon moi à vivre une révolution de l’ordre de celles qu’ont connu l’appareil photo, le téléphone ou l’ordinateur. Les grandes révolutions n’ont pas encore eu lieu dans notre secteur mais on s’y prépare. J’espère que les acteurs de ces changements seront les professionnels de l’optique ! Novacel lance cette année un produit innovant en partenariat avec l’entreprise belge Morrow, qui a mis au point un verre e-progressif. Celui-ci est capable de créer une vision de près, par activation d’une pastille de cristaux liquides, via un courant électrique. Nous avons obtenu la commercialisation exclusive de ce produit pour la France et la Suisse. Cette innovation ouvre la voie aux lunettes intelligentes, et ce n’est qu’un début.

Novacel, qui se présente comme le troisième verrier français, a vendu 9 millions de verres sur l’année 2023 — Photo : Novacel
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