Et si le bois énergie était l'avenir de la filière ?
Enquête # Production et distribution d'énergie

Et si le bois énergie était l'avenir de la filière ?

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Alors que la Normandie fait partie des régions les moins boisées de France, la filière bois et forêt affiche une belle santé avec plus de 22 000 emplois. A tous les étages de la filière, les entreprises n'hésitent pas à investir dans des techniques innovantes. La part du bois énergie (plus de 30 % de la production) pourrait constituer l'axe de développement majeur.

De nombreuses industries et collectivités ont déjà franchi le pas et se sont équipées en chaufferies biomasse — Photo : © Normandie Energies

Avec 3,2 millions de tonnes produites chaque année, la Normandie s’affiche aujourd’hui comme le leader national pour la consommation de bois énergie. « La place du bois énergie est de plus en plus importante, même si elle connaît un petit tassement ces derniers temps, en raison de la dévaluation du prix du gaz », reconnaît Mathieu Fleury, directeur de Biomasse Normandie. « Le bois énergie constitue l’une des cibles majeures pour atteindre les objectifs de production de chaleur renouvelable fixés dans les schémas régionaux "climat air énergie" (SRCAE) normands. L’objectif global est fixé à 772 000 TEP (tonnes d'équivalent pétrole) de bois énergie à l’horizon 2020, soit 3,4 millions de tonnes de bois par an. »

« La place du bois énergie est de plus en plus importante. »

En Normandie, le bois énergie se décline en fonction des 3 types d’usage : le chauffage domestique (460 000 TEP par an), les chaufferies collectives (90 000 TEP par an), et les chaufferies industrielles (222 000 TEP par an). Le développement des énergies renouvelables, impulsé par le Grenelle de l’Environnement, a favorisé le bois énergie, avec notamment la poursuite des appels à projet biomasse. Parallèlement, le fonds chaleur, géré par l’ADEME, soutient le développement de la production de chaleur à partir d’énergies renouvelables, dont la biomasse forestière.

Le charbon remplacé par le bois

La Normandie s’affiche aujourd’hui comme le leader national pour la consommation de bois énergie — Photo : © Normandie Energies

Si le chauffage domestique représente les deux tiers des usages du bois énergie en Normandie, les usages industriels et collectifs connaissent une croissance importante et continue ces dix dernières années, permettant ainsi de maintenir un niveau de récolte de bois relativement stable. Nombre d’industries ont déjà franchi le pas et se sont équipés en chaufferie biomasse. « Principalement, dans les industries laitières, agroalimentaires et papetières », note Mathieu Fleury. Depuis quelques années, sous l’impulsion des appels à projets CRE (électricité) et BCIAT (chaleur), lancés par les pouvoirs publics, plusieurs opérations de taille importante ont émergé dans les industries agro-alimentaires.

Ainsi, l’usine Davigel de Dieppe (aujourd'hui Sysco France) a, elle, investi dans l’énergie renouvelable depuis plus d’une dizaine d’années et a banni le charbon pour le remplacer par une chaudière à bois : l’énergie des fours de l’usine provient pour 60 % du bois et pour 40 % du marc de café. En outre, l’usine travaille en partenariat avec des propriétaires de forêts pour les aider à planter des arbres. Au total, sur l’ensemble des sites Nestlé, la biomasse couvre, selon les profils de consommation, de 80 à 95 % des besoins en chauffage. Grâce aux installations biomasse, Nestlé a réduit ses émissions de CO2 de 50 %.

Plus de 6 millions investis à Isigny Sainte-Mère

De son côté, la laiterie d’Isigny Sainte-Mère (Manche) a mis en service, dès 2008, une chaudière biomasse de 15 MW. La chaudière bois a nécessité un investissement de 6,5 millions d’euros et permet de faire fonctionner la tour de séchage du lait : grâce à un système de récupération de l’eau issue du séchage du lait, l'unité est capable de fournir sans interruption, 20 tonnes de vapeur par heure, à 236 degrés sous une pression de 30 bars. La chaudière consomme annuellement environ 50 000 tonnes de bois déchiqueté par an, issu de la filière bois bas-normande.

La papeterie de la Chapelle d’Arblay a, quant à elle, mis en place une centrale de cogénération et l’entreprise Linex (Seine-Maritime) a mis en route, début 2008, une chaudière consommant 40 000 tonnes de bois par an, dont 20 000 tonnes issues de l’écorçage des rondins.

L’ensemble des chaufferies industrielles normandes ont consommé environ 656 000 tonnes de bois en 2016 et 2017, soit environ 2,7 fois plus que les chaufferies collectives.

Une modernisation nécessaire pour débroussailler la filière

Les entreprises n’hésitent pas à se moderniser et à privilégier des techniques innovantes pour récolter et transformer le bois.

Raisons Bois & Débits (Orne) affiche un carnet de commandes plein — Photo : © Isabelle Evrard - Le Journal des Entreprises

« Sur les 27 personnes que j’emploie, seules quatre touchent vraiment directement le bois », confirme Jean-Bernard Bahier, directeur de Raisons Bois & Débits, spécialisée dans la transformation du chêne, à Perrou, dans l’Orne. Pour tirer au maximum la quintessence du grume (tronc) de chêne, l’entreprise a investi dans les caméras 3D qui vont scanner celles-ci : « L’objectif est de valoriser chaque décimètre cube de la grume. Quand on procède au sciage du tronc, il y a plein de produits secondaires qui peuvent être valorisés. Le logiciel va chercher dans les bases de données des commandes tous les produits secondaires que l’on pourra placer pour tel ou tel client. » Le système permet aussi aux salariés de connaître leur production en temps réel et d’être plus réactifs.

« Depuis quelques années, nos grumes de chêne sont vendues aux scieries chinoises par une poignée de traders sans vergogne. »

L’entreprise, dont le chiffre d’affaires tourne autour 6 M€, affiche un carnet de commandes plein. Pourtant, Jean-Bernard Bahier est inquiet : « Notre équilibre est plus que jamais menacé, car nous manquons de matières premières. Depuis quelques années, nos grumes de chêne partent en Asie sans transformation, vendues aux scieries chinoises par une poignée de traders sans vergogne. »

A l’autre bout de la chaîne, dans les entreprises de fabrication de meubles, on n’hésite pas non plus à investir dans des machines à commande numérique. A Maé Agencement, à Avranches (Manche), les logiciels 3D ont permis d’identifier les flux de production et d’optimiser le travail des 26 salariés. Pour le dirigeant Didier Goudal, le résultat est plus que positif : « Nous avons ensuite pu réaménager les ateliers de production de façon optimale et gagner au moins 20 % de productivité ».

L'entreprise Laudescher utilise un procédé issu de l'industrie automobile pour visser les panneaux, procédé qu'elle a adapté elle-même à la menuiserie — Photo : © Isabelle Evrard - Le Journal des Entreprises

Laudescher, à Carentan-les-Marais, a investi 2,6 millions d'euros, notamment dans une ligne de débit entièrement numérique, rabotage, usinage en bout mais aussi dans un centre d’usinage 3D sur moulurière. « Les têtes d’usinage effectuent au millimètre près les découpes des panneaux. Notre système de vissage est issu de l’industrie automobile et a été adapté par nos soins à la menuiserie », explique Jean-Marc Laudescher, directeur de production.

Une richesse inattendue

Avec 407 000 hectares, soit 14 % du territoire régional, la Normandie se classe parmi les petites régions forestières de France. Pourtant, chaque année, elle produit 3 millions de m3 de bois, dont 1,3 million récoltés, transformés et valorisés par des entreprises locales. La Normandie compte près de 500 entreprises de travaux forestiers et 3 420 entreprises spécialisées dans le bois, dont 37 % dans la production forestière.

Avec 22 000 emplois, elle occupe le 6e rang des 13 régions métropolitaines pour l’emploi salarié : une particularité qui s’explique en partie par la place occupée par l’industrie du papier et du carton (2,4 % de l’emploi salarié industriel normand) et par le caractère transversal de la filière. Ce cœur d’activité est complété par quatre autres secteurs : la fabrication de meubles, les constructions utilisant du bois, les activités de commerce et de transport intra-filière, ainsi que le sciage et travail du bois.

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