L’international, nouvel horizon de la supply chain aéronautique
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L’international, nouvel horizon de la supply chain aéronautique

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Maroc, Inde, Mexique… L’internationalisation de PME et ETI de l’aéronautique s’est accélérée ces dernières années. Si l’installation dans les pays à bas coûts répond aux exigences des donneurs d’ordres, sortir des frontières permet aussi à certains sous-traitants du Sud Ouest de diversifier leurs projets industriels.

C'est l'avion commercial le plus vendu dans le monde : la hausse de la production du programme A320 se fait déjà pour l'essentiel hors de France, relève une enquête Xerfi — Photo : Airbus S.A.S / A. Pecchi

Le mouvement n’est pas nouveau mais il s’accentue. En Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine, de nombreux sous-traitants de l’aéronautique ont lancé ces dernières années des projets d’implantation à l’international, suivant l’exemple des grands équipementiers comme Latécoère ou Safran. « Les 70 ETI de l’aéronautique présentes sur notre territoire disposent désormais toutes d’implantations à l’étranger, et c’est aussi le cas d’une cinquantaine de PME », constate Thilo Schönfeld, délégué à l’international du cluster Aerospace Valley, qui regroupe 650 entreprises membres en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine. Pour certaines entreprises, ce déploiement à l’international est fulgurant. En moins de deux ans, le sous-traitant basque Lauak (1 800 salariés, 200 M€ de CA en 2019 ) a créé une joint-venture à Bangalore (Inde) pour l’usinage de pièces en aluminium, ouvert une nouvelle unité au Portugal spécialisée dans l’assemblage d’aérostructures et racheté l’activité tuyauterie de Bombardier au Canada avec la création d’une succursale au Mexique…

Suivre les clients

Depuis 2018, Figeac Aéro est le premier sous-traitant aéronautique français présent en Chine via une joint-venture avec Shandong Nanshan Aluminium Co — Photo : Figeac Aéro

S’il est spectaculaire, le cas de Lauak n’est pas isolé. Plusieurs entreprises familiales accélèrent leurs projets à l’international avec un premier impératif : suivre leurs clients. En 2011, Figeac Aero (3 700 collaborateurs, 428 M€ de CA en 2019) a créé un site de production en Tunisie à la demande de Stelia (Aérolia à l’époque) qui y a développé un parc aéronautique intégrant de nombreux sous-traitants. Le groupe lotois s’est depuis implanté aux Etats-Unis, au Maroc, en Roumanie, et au Mexique : en 2018, il a lancé une joint-venture en Chine, devenant le premier sous-traitant français du secteur implanté dans ce pays.

Pour la supply-chain, la création et le rachat de capacités à l’étranger sont parfois des moyens de se diversifier sur un même programme. Mais il s’agit en priorité de tenir les exigences des grands donneurs d’ordres sur les cadences et les coûts. « Le marché fixe des niveaux de prix tels qu’on ne peut plus produire certaines pièces en France, notamment les petits éléments à fort volume, explique Frédéric Gentilin, vice-président de Nexteam Group (1 500 salariés, 170 M€ de CA en 2018). Nous conservons 80% de nos équipes en France grâce à notre positionnement sur l’usinage de pièces mécaniques en métaux durs qui demandent plus de compétences techniques et offrent plus de valeur ajoutée. » Déjà présent en Pologne et en Roumanie, Nexteam Group a ouvert en janvier 2019 une unité de production de pièces aluminium au Maroc, dont les effectifs devraient passer de 30 à 80 personnes à horizon 2022.

Pression sur les coûts

Selon plusieurs industriels interrogés, la pression sur les prix s'est encore accrue ces deux dernières années. « L’industrie aéronautique traverse une période où peu de nouveaux programmes se lancent dans l’aviation civile : la filière est sur des problématiques de montée en charge, de réduction des coûts et d’optimisation de la qualité, analyse Yann Barbaux, président d’Aerospace Valley. La hausse des volumes de production peut suffire à assurer la croissance des PME françaises, mais sur le long terme il est dangereux de ne compter que sur ce levier. » Même sur les familles d’avions les plus dynamiques comme l’A320 ou le Boeing 737 (avant le blocage du programme Max), les constructeurs cherchent à améliorer leur rentabilité et poussent à la délocalisation. Résultat, comme une étude Xerfi le pointait en 2018, « la hausse de la production du programme A320 se fait essentiellement hors de France ».

Parmi les destinations cibles des sous-traitants aéronautiques français, figurent en tête les pays du Maghreb, d'Asie et d'Europe de l'Est, mais aussi d'Europe du Sud. C'est ce dernier choix qu'a fait le groupe Potez en créant une filiale à Séville — Photo : D.R.

Maghreb, Europe de l’Est et, de plus en plus, Asie : les pays à bas coûts, ou « best cost », pour reprendre l’expression que privilégie la filière, restent les destinations privilégiées des sous-traitants aéronautiques. La réduction de la masse salariale n’est cependant pas le seul critère de choix. Le niveau de qualification et l’offre de formation sont décisifs pour des industriels souvent confrontés aux difficultés de recrutement en France. C’est ce qui a conduit le groupe landais Potez (500 salariés, 45 M€ de CA en 2019) à ouvrir en 2016 une filiale à Séville, forte d’une quarantaine de salariés. « L’Espagne nous a permis de combiner trois facteurs : une main d’œuvre plus compétitive, avec des coûts inférieurs de près de 25% à un salarié français, mais aussi une main d’œuvre qualifiée grâce à une tradition locale sur l’industrie aéronautique, et disponible immédiatement », résume Antoine Potez, directeur général de l’entreprise familiale. Pour Nexteam Group, Frédéric Gentilin souligne la facilité du dialogue avec les autorités marocaines pour développer une offre de formation adaptées aux besoins de sa nouvelle unité. « Au bout d’un an, l’usine présente un niveau exceptionnel de maturité industrielle », constate le dirigeant.

Développer une culture internationale

Pour les PME et ETI les plus structurées, l’implantation dans les pays à bas coûts ne constitue cependant qu’une première étape dans leur stratégie internationale, avant la conquête de marchés à plus forte maturité. A l’image de la société paloise Aéroprotec (120 salariés, 10 M€ de CA), premier spécialiste du traitement de surface à s’installer en Tunisie en 2006, qui a récemment annoncé son intention de s’implanter au Canada (lire encadré).

C’est aussi le cas de l’industriel ariégeois Recaero (710 salariés, 51 M€ de CA en 2019) qui a créé dès 2007 une unité de production à Bangalore (Inde) où travaillent 380 personnes. La culture internationale du groupe familial est désormais bien établie, ainsi que sa capacité à spécialiser ses sites sur des marchés différents. « Nous réalisons en France les pièces de rechange, le rapid manufacturing et le prototypage, tandis que l’Inde est positionnée sur la production de série avec une qualité qui atteint les standards européens, indique Nicolas Pobeau, PDG de Recaero. Nous travaillons à un autre projet d’implantation aux Etats-Unis, sur le métier de la pièce de rechange, certainement via un rachat en 2020 ou 2021, pour toucher des donneurs d’ordres locaux comme Bombardier ou Lockheed Martin. » Pour préparer cette acquisition, le dirigeant a participé l’an dernier à une mission de prospection avec Business France.

Sortir de la dépendance des grands programmes

L’internationalisation des sous-traitants aéronautiques est encouragée par les acteurs institutionnels de la filière, à commencer par le groupement des industriels français aéronautiques et spatiales (Gifas). En décembre 2018, le nouveau contrat de filière signé par le Gifas avec le gouvernement et les régions a fait de l’exportation des PME (par la vente de leurs produits et ou une implantation locale) l’un de ses trois piliers. En parallèle, la création de l’accélérateur « Ambition PME-ETI », porté par le Gifas et Bpifrance, a permis d’accompagner une centaine de sous-traitants dans la définition de leur plan stratégique, avec l’objectif d’en faire « des acteurs de taille critique notamment en les incitant à se projeter mondialement. » La création ou le renforcement de filiales à l’étranger a donc été un axe majeur du programme.

L'accélérateur créé par le Gifas et Bpifrance a permis d'accompagner une centaine de PME et ETI de la supply-chain aéronautique dans leur projet stratégique, notamment à l'international — Photo : Nathalie Oundjian

« L’international permet aux PME et ETI d’élargir leur assiette d’activités et donc de diversifier le rythme et le calendrier de leurs productions. Cela réduit la dépendance à quelques grands programmes menés par un seul donneur d’ordres », avance Guillaume Mortelier, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l’accompagnement. Pour la première promotion de l’accélérateur, sortie mi-2019, la croissance des sous-traitants accompagnées a été en moyenne de 15% sur 18 mois, mais de 27% pour le chiffre d'affaires export. « Neuf des dix entreprises les plus profitables de l’accélérateur avaient déjà une activité à l’international », précise Guillaume Mortelier.

Délocalisations : un risque à relativiser ?

Les agences régionales de développement sont également actives. En Occitanie, l’agence Ad’Occ organise des stands dans une dizaine de grands salons aéronautiques internationaux par an, notamment dans le secteur de la maintenance (MRO). « Offrir aux PME la possibilité d’être exposants leur permet d’établir des contacts commerciaux inenvisageables autrement », se félicite un porte-parole d’Ad’Occ. Depuis 2018, l’agence et le cluster Aerospace Valley ont engagé une approche encore plus proactive avec l’organisation de missions prospectives. La première, en Irlande, a permis à 13 entreprises de la MRO de rencontrer les principaux loueurs d’avions du continent.

Ce soutien à l’internationalisation questionne, dans la mesure où la création d’emplois semble échapper au territoire. « L’Occitanie reste le territoire leader de l’aéronautique en Europe mais la concurrence internationale se fait de plus en plus forte. Il nous faut soutenir le réseau d’entreprises régionales dans leur développement », souligne-t-on chez Ad’Occ. Frédéric Gentilin relativise lui le risque de délocalisations massives. « Dans un groupe familial comme Nexteam, la notion d’ancrage territorial reste forte. La gestion des flux est un autre frein : avant de partir à l’étranger, il faut pouvoir analyser les coûts sur l’ensemble du process, le transport, la non-qualité… » Pour le dirigeant d’Aéroprotec Thierry Haure-Mirande, l’équation économique est simple : « Un emploi créé dans un pays best cost, c’est un emploi maintenu en France ! » La PME paloise vient d’ailleurs d’investir 7 millions d'euros dans une unité entièrement automatisée à Pau. En France comme à l’international, estime le dirigeant, « l’enjeu est de se proposer au marché pour ne pas le subir ».

INTERVIEW

« Ne pas s’interdire d’aller à l’international quand on est petit ! »

Thierry Haure-Mirande, président d’Aéroprotec (120 salariés, 10 M€ de CA), spécialiste du traitement de surface installé à Pau (64).

Thierry Haure-Mirande, dirigeant de la société paloise Aéroprotec, a installé des capacités en Tunisie en 2007. Il envisage désormais une implantation au Canada — Photo : Aeroprotec

Vous avez créé dès 2006 un site de traitement de surface en Tunisie : pourquoi ce choix ?

J’ai pris la décision d’aller à l’international parce que j’étais convaincu que le marché allait se déployer : il n’était pas possible d’accompagner la montée des cadences et la baisse des prix sans aller dans les pays best cost. Notre enjeu était aussi d’accompagner les fabricants et leurs sous-traitants déjà présents sur place, pour constituer une supply chain complète. A l’époque nous étions 40 personnes dans l’entreprise : il ne faut pas s’interdire d’aller à l’international quand on est petit !

Vous présidez aussi le Groupement des industries tunisiennes aéronautiques et spatiales (Gitas) : que représente la filière aéronautique dans ce pays ?

La filière aéronautique tunisienne emploie 18 000 salariés : 83 sociétés y sont implantées, dont 53 adhérentes au Gitas. En Tunisie comme au Maroc, les industriels ont acquis la maturité pour aller chercher des marchés de plus haute technologie. Ces pays entrent dans une phase différente. Il ne s’agit plus seulement de fournir une main d’œuvre pas chère, mais de rester compétitifs face à l’Inde, la Chine, et tous ces marchés offset qui développent des industries natives avec des outils de dernière génération.

En janvier, vous vous êtes rapproché du fonds Siparex Entrepreneurs pour accompagner la stratégie de croissance externe d’Aéroprotec. Avez-vous des projets à l’international ?

Nous avons un projet d’implantation au Canada pour accompagner l’explosion de l’A220 et le rachat par Airbus d’une partie des activités de Bombardier (la branche CSeries, NDLR). Mais nous continuons aussi à investir en France, avec l’inauguration en janvier d’un nouveau site de grande capacité à Pau, 100% numérisé et automatisé.

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