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Un choc de relance pour le port du Havre
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Un choc de relance pour le port du Havre

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Au Havre, les mouvements sociaux liés à la réforme nationale des retraites ont très fortement perturbé le trafic conteneurisé et l’activité des chaînes logistiques entre le 5 décembre et le 31 janvier provoquant une véritable « déflagration commerciale » pour la place portuaire.

Le Grand Port Maritime du Havre et les acteurs de la place ont collectivement entrepris une démarche d’une ampleur sans précédent afin d’indemniser leurs clients armateurs et chargeurs — Photo : D.R

Deux-cent vingt sept escales de navires annulées ou retardées, 110 trains et 21 barges fluviales impactés : les mois de décembre et de janvier ont été terribles pour le port du Havre. En réaction à la réforme des retraites, les « journées port mort » lancées par la Fédération Nationale des Ports et Docks, affiliée à la CGT, ont été très suivies. D’autres actions syndicales ont aussi affecté le remorquage, un rouage essentiel dans l’activité du port normand. Le trafic conteneurisé, extrêmement volatil aux aléas économiques et sociaux, en a été la cible principale.

3 millions d’euros pris en charge

Conscients des atteintes à l’image de leur port auprès des acteurs mondiaux de la logistique, le Grand Port Maritime du Havre (GPMH) et les acteurs de la place ont collectivement entrepris une démarche d’une ampleur sans précédent afin d’indemniser leurs clients armateurs et chargeurs. Objectif : créer « un véritable choc de relance », souligne Baptiste Maurand, président du directoire du GPMH, qui salue « la réaction de commerçants » des acteurs portuaires havrais lors de la signature d’un accord le 2 mars.

L’établissement public et les entreprises locales de manutention concernées ont en effet décidé de prendre à leur charge, à hauteur de 3 millions d’euros, les frais de stationnement des conteneurs supportés par les commissionnaires de transport et les chargeurs import sur les terminaux spécialisés havrais, durant les 14 jours d’inactivité totale constatés au cours de ces deux mois de troubles sociaux. Un montant équivalent à un flux de 100 000 conteneurs, à raison de 30 euros par unité et par jour. La contribution du Port est de 18 euros par boîte, celle des manutentionnaires de 12 euros. La première tranche est financée par l’établissement public sur ses fonds propres, la seconde par les entreprises concernées (Terminaux de Normandie, Générale de Manutention Portuaire et Compagnie Nouvelle des Manutentions Portuaires) sous forme de ristourne directe sur les factures de stationnement des conteneurs.

Signature de l'accord de place le 5 mars 2020. (de gauche à droite : Florent Noblet (TLF Overseas), Baptiste Maurand (Haropa-Port du Havre), Jean-Louis Le Yondre (STH), Christian de Tinguy (Terminaux de Normandie) — Photo : R.Q

Ce dispositif destiné aux chargeurs (importateurs et exportateurs propriétaires, ou pas, de la marchandise à charge) est venu compléter les mesures annoncées début février pour indemniser les armements à hauteur de 3 millions d’euros également, notamment sous forme de réduction de droits de port. D’autres enveloppes devaient être ultérieurement annoncées concernant les préjudices subis par les chargeurs à l’exportation et par les opérateurs de trafic roulier (navires de transport de véhicules).

De leur côté, les prestataires de services portuaires - pilotage, remorquage et lamanage – ont décidé d’appliquer une remise de 10 % à toute nouvelle ligne maritime conteneurisée ou Ro/Ro (navires dotés d’une rampe d’accès mobile permettant un chargement/déchargement de la marchandise) entre le 1er avril et le 31 décembre 2020.

Le trafic conteneurs à la peine

En 2019, Haropa - port du Havre a traité 64 millions de tonnes de fret maritime dont 27,3 millions de tonnes conteneurisées. Avec 2,8 millions d’EVP (équivalent vingt pieds, une unité de mesure des terminaux et navires porte-conteneurs) manutentionnés, l’établissement normand a conforté sa première place dans l’Hexagone pour ce trafic hautement symbolique de la mondialisation des échanges qui avec l’épidémie de coronavirus risque de moins avoir le vent en poupe.

C’est dans le contexte d’une conjoncture mondiale défavorable que les mouvements sociaux dans le port ont démarré en décembre. Ils ont fait perdre 50 000 EVP à la filière et expliquent pour une bonne moitié sa baisse de 3,5 % sur l’exercice 2019. Le trafic des conteneurs pleins est resté stable à 1,7 million d’EVP, la faille se situant au niveau des transbordements en recul 72 000 EVP (- 9,5 %).

En signant un accord pour atténuer les pertes financières causées à ses clients armateurs et chargeurs, la communauté portuaire havraise a voulu sortir par le haut d’une crise sociale dont elle n’avait pas les clés. Reste maintenant à rebondir le plus vite possible. « Il est urgent de retrouver des volumes de travail sur le port et de renouer avec les bons indicateurs antérieurs du Havre », soulignait début mars Christian de Tinguy, le président de Terminaux de Normandie et du Groupement des employeurs de la main-d’œuvre portuaire (Gemo). « Il n’y a pas de changement par rapport à nos ambitions. Nous serons au rendez-vous des investissements programmés à hauteur d’un demi-milliard d’euros »? insiste Baptiste Maurand, le patron du GPMH. Ce qui concerne notamment deux ultimes postes à quai pour Port 2000, la chatière pour son accès fluvial direct et l’extension du terminal roulier.

La menace "coronavirus"

Baptiste Maurand, directeur général du Port du Havre — Photo : © Haropa

Un rebond ne sera pas aisé avec pour toile de fond une économie mondiale grippée par la pandémie de coronavirus. Au-delà des conséquences directes de l'épidémie sur le trafic du port, cette crise sanitaire pourrait avoir avoir un impact plus structurel sur les ports européens. Car elle met au grand jour l'une des grandes faiblesses de l'économie européenne, trop dépendante des produits manufacturés chinois. « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner à d'autres est une folie », a ainsi indiqué le président de la République Emmanuel Macron.

Médicaments, batteries électriques dans l'automobile, électronique : les voix qui appellent à la relocalisation se font de plus en plus entendre. Or, l’Asie est aujourd'hui le principal marché de la filière conteneurs au Havre avec « 53 % des échanges dont plus de la moitié avec la Chine, soit 500 000 EVP par an », indique Laurent Foloppe, directeur commercial de Haropa. Reste à savoir si, au-delà des mots, la crise du coronavirus est susceptible de changer considérablement la donne pour Le Havre et les autres ports tricolores.

L’Asie est le principal marché de la filière conteneurs au Havre ave 53 % des échanges dont plus de la moitié avec la Chine. Une situation fragile avec la menace du Coronavirus — Photo : Vincent Rustuel

Rester dans « la cour des grands » du conteneur

Avec un trafic conteneurisé atteignant 2,8 millions d’EVP (équivalent vingt pieds) en 2019, Le Havre figure toujours dans « la cour des grands » du trafic conteneurisé de l’Europe du Nord-Ouest où le port normand assure avoir regagné 11 % de part de marché depuis 2011. Entre l’estuaire de la Seine et celui de l’Elbe, s'érige l’une des rangées portuaires les plus actives du monde. Quelque 41 millions d’EVP y ont transité l’an passé au sein d’une masse globale considérable de produits en vrac liquide ou solide et de marchandises diversement conditionnées dépassant allègrement le milliard de tonnes. La compétition y est féroce. Anvers et Rotterdam sont de redoutables concurrents du Havre sur son hinterland français. Avec 90 millions de tonnes l’an passé, l’ensemble portuaire Haropa - qui consolide les trafics du Havre (64 Mt), de Rouen (23,5 Mt) et de Paris – y a pesé quatre fois moins que le géant Rotterdam (469,4 Mt) qui affiche 14,8 millions d’EVP (+1,7 %).

De son côté, le port d’Anvers a vu transiter 238,2 Mt de marchandises (+1,2 %) et inscrit 14,81 millions d’EVP au compteur (+ 2,1 %), nouveau record ! Plus modeste, le trafic de Zeebrugge son proche voisin belge a tout de même rebondi à 45,8 Mt (+14,2 %) et affiché 1,7 million d’EVP (+ 4,8 %). L’établissement figure au premier rang européen pour le trafic des automobiles neuves avec près de 3 millions d’unités (+ 4,6 %). Autre membre éminent de ce club des ports d’Europe du Nord millionnaires en conteneurs, Hambourg n’est pas un concurrent du Havre. Il a traité 136,6 Mt (+1,1 %) dont 9,3 millions d’EVP (+ 6,1 %).

Le port du Havre assure avoir regagné 11 % de part de marché depuis 2011 — Photo : R.Q
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