Vendée
Serge Papin : « Rien ne sera plus comme avant »
Interview Vendée # Distribution

Serge Papin ex-PDG de Système U Serge Papin : « Rien ne sera plus comme avant »

S'abonner

Sa nouvelle vie de retraité, son opinion sur l'appétit d'Amazon, son avis sur la loi sur l'Alimentation, ses attaches vendéennes... À 63 ans, Serge Papin, ancien PDG de Système U, se confie sans détour au Journal des Entreprises. Celui qui a passé 43 ans au sein du cinquième groupe de distribution français, exerce désormais une activité de consultant et porte un regard sans complaisance sur l'univers de la grande distribution.

Serge Papin, ancien PDG de Système U, exerce désormais une activité de consultant — Photo : Gabriel Bernard

Le Journal des Entreprises : Que faites-vous de votre temps libre, depuis votre départ à la retraite ?

Serge Papin : Je n’ai pas vraiment de temps libre ! Il faut que j’apprenne à entrer de plain-pied dans cette seconde vie qu’est la retraite. Comme le dit le philosophe François Jullien, la première vie est celle que l’on ne choisit pas, la seconde vie, il faut que cela soit elle qui vous choisisse.

Depuis près d’un an que j’ai pris ma retraite, j’ai eu tendance à me mettre dans la continuité. J’ai été beaucoup sollicité pour du conseil, mais aussi pour des conférences, de l’accompagnement pour des collectifs ou des réseaux. Depuis le début de l’année, j’ai ainsi donné une vingtaine de conférences pour Demeter par exemple, la marque de certification internationale de produits issus de l’agriculture biodynamique, ou pour la Fédération nationale bovine. C’est très éclectique.

« Je suis en train d’apprendre à quitter les habits d’hier pour me réconcilier avec moi-même. »

Je suis en train d’apprendre à quitter les habits d’hier pour me réconcilier avec moi-même. La réconciliation, c’est d’ailleurs le thème de mes conférences, où j'essaie de réconcilier la santé, la planète, l’environnement…

Une relation toujours forte à la Vendée

Gardez-vous des attaches en Vendée, où vous êtes né et avez commencé votre vie professionnelle ?

S.P : J’ai toujours un pied-à-terre à Vouvant, où je vais régulièrement. Je vais toujours voir ma sœur qui tient la Ferme du Marais-Girard (location d’hébergements), à Bretignolles-sur-Mer, en Vendée. J’ai toute ma famille du côté de Brétignolles. Je vais aussi voir ma mère, qui habite toujours à La Châtaigneraie. Je suis d’ailleurs en train de céder le Super U de la Châtaigneraie, que je gérais avec ma sœur jusqu’ici. C’est le directeur actuel qui le reprend. J’ai cédé aussi celui de Brétignolles à mon cousin. Après 43 ans chez Super U, c’est une rupture un peu brutale. Parfois, je me demande si tout cela a bien eu lieu. Je n’ai plus vraiment de lien avec la nouvelle équipe.

Gardez-vous des liens avec des acteurs économiques en Vendée ?

S.P : Je suis resté très ami avec Yves Gonnord (ancien président de Fleury Michon, qui a passé la main à son fils en 2013), mais aussi Dominique Soulard, président de l’enseigne d’ameublement Gautier, ainsi qu’avec les dirigeants du groupe Dubreuil. J’ai aussi des liens avec la famille Bougro (fondateurs et dirigeants de Sodebo), ainsi qu’avec les anciens dirigeants de la Biscuiterie Nantaise ou de l’Assiette Bleue, à Pouzauges.

Enfin, je connais bien Arnaud Chaigneau, cofondateur de l’agence digitale Intuiti, à Nantes, qui dirige également le Numa (accélérateur de la transformation des entreprises, NDLR) à Paris. Il m’a fait découvrir quelques start-up nantaises.

Vous avez récemment confié, que si vous deviez recommencer votre vie professionnelle, vous ouvririez un supermarché avec une ferme en Vendée. C’est vrai ?

S.P : Oui, pour créer du lien, de la singularité. Cela serait un supermarché qui serait associé à une ferme, située juste à côté. On y vendrait les produits de la ferme, que ce soit du maraîchage ou de l’élevage. C’est ça, le supermarché de l’avenir !

Les clés du rebond pour la grande distribution

C’est la fin de l’hypermarché ?

S.P : Le commerce n’est que le reflet de la société. La France des lotissements avec un hypermarché dans lequel se retrouvent les grandes familles, c’est derrière nous. La société actuelle se « métropolise ». Nous allons de plus en plus vers des magasins de proximité.

« Il n’y a plus de modèles dominants désormais. Le commerce est en train de se fragmenter, ce qui fait le jeu d’Internet notamment. »

Ce sont en effet les métropoles qui concentrent les emplois et la démographie. Nantes, par exemple, a plus d’identité que la Loire-Atlantique. Cela crée une fracture territoriale, cela explique en partie le mouvement des Gilets jaunes d’ailleurs. Les métropoles sont remplies de jeunes actifs urbains qui vivent seuls. Ce sont des individualistes grégaires. Le commerce est en train de se fragmenter, ce qui fait le jeu d’Internet et d’autres initiatives.

Quelles sont les initiatives et innovations, dans l’agroalimentaire, qui ont de l’avenir, selon vous ?

S.P : Les commerces de coopératives de consommateurs, comme La Louve à Paris, les magasins qui vendent des produits en vrac, comme Day by Day, ceux qui vendent des prêts-à-manger de qualité, comme HelloFresh, les drives piétons, les fermes qui distribuent leurs produits… Il n’y a plus de modèles dominants désormais.

Monoprix est le premier distributeur à avoir sauté le pas en nouant un partenariat avec Amazon. Où en est Système U sur le sujet ?

S.P : À l’époque où j’étais à la tête de Système U, il y avait eu des discussions, mais elles n’étaient plus d’actualité quand j’ai quitté mon poste.

Amazon lorgne sérieusement les parts de marché de la grande distribution. Jusqu’où le géant américain peut-il aller, selon vous ?

S. P : Amazon, c’est la plus grosse capitalisation boursière mondiale (797 milliards de dollars). Si on veut lutter, c’est compliqué. Il a une forme de boulimie à vouloir être leader sur tout, mais ce n’est pas sûr qu’il fera tout bien…

Comment la grande distribution peut-elle se défendre ?

S.P : Le supermarché, c’est un lieu physique, c’est pragmatique, c’est du lien. Faire ses courses doit être un moment de plaisir. Pour lutter, il faut créer des ateliers dans les supermarchés, avec des bons produits et des bons professionnels : il faut maturer la viande, fumer son saumon, avoir un caviste, affiner le fromage… Ce sont ces professionnels qui peuvent avoir des données sur leurs produits. C’est une forme de digitalisation humaine.

Et puis il y a une autre chose qu’Amazon ne peut pas avoir : c’est la marque distributeur. C'est l'arme fatale. Là-dessus, il faut faire des efforts pour y ajouter de la valeur, de la qualité.

La Vendée est le département qui compte le plus faible taux de chômage en France et des fleurons industriels. Comment expliquez-vous cette réussite ? Y a-t-il un état d’esprit vendéen ?

S.P : Oui, il y a un esprit vendéen. En Vendée, on sait que la réussite, il faut aller la chercher. Cela date, je pense, de ce qui s’est passé après la Révolution, avec les guerres de Vendée. Il a fallu que la Vendée se prenne en main, et, depuis, il y a une espèce de pacte informel entre les Vendéens, les entreprises et leur territoire.

Une belle illustration de cela, pour moi, c’est lorsque tous les collaborateurs de l’usine Gautier se sont mis en grève (en 1999, NDLR) pour exiger le retour de leur directeur général Dominique Soulard, qui avait été limogé par l’actionnaire parisien. C’est un symbole, mais cela montre bien l’esprit solidaire vendéen. Et puis la Vendée n’a pas de métropole justement. Elle fait partie des rares départements qui reste homogène, avec son bocage, ses côtes. C’est sa force.

Vendée # Distribution