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Alain Mustière, 30 ans de combat pour l'aéroport à Notre-Dame-de-Landes
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Alain Mustière, 30 ans de combat pour l'aéroport à Notre-Dame-de-Landes

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Jamais il n’aurait pensé que le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes serait annulé. D’abord en tant que président de la CCI Nantes-Saint-Nazaire dans les années 1990 puis en tant que président de l’association les Ailes pour l’Ouest, cela faisait plus de 20 ans qu’Alain Mustière militait pour ce dossier.

— Photo : Amandine Dubiez - Le Journal des Entreprises

Mercredi 17 janvier, 12 h 30. Le téléphone sonne. Souriant et blagueur, le visage d’Alain Mustière s’assombrit tout à coup. « Ce n’est pas une bonne nouvelle », indique le président de l’association Les Ailes pour l’Ouest, aux membres réunis dans leur discret petit QG au pied du pont de Cheviré. Le coup de Trafalgar. Puis son téléphone sonne à nouveau. Des amis abattus qui présentent leurs condoléances. Lui console : « Non mais toi, tu es l’avenir, il faut que tu sois positif, que tu rebondisses, on va trouver autre chose », répond-il ainsi à un proche. La voix reste tout de même un peu frêle.

« Ce jour-là, Alain a pris un coup sur la tête », raconte Marc Bouchery, le directeur du Syndicat mixte aéroportuaire de Nantes Atlantique. Puis les textos tombent en rafale : politiques, amis chefs d’entreprise, et même un ancien préfet de Nantes. « Triste journée, merci pour ce que vous avez fait » ou encore « Que d’énergie pour rien, c’est désolant ». « Quelquefois, j’ai la petite larme à l’oeil en les lisant », confie Alain Mustière. Mais deux jours plus tard, il n’en laissera rien paraître devant les 75 élus de la CCI de Nantes-Saint-Nazaire réunis pour se lancer dans l’après. Lui reste optimiste, leur demande de rebondir. Il reçoit une standing ovation.

Formaté pour rebondir

Cette énergie impressionne jusqu’à son équipe rapprochée au sein des Ailes pour l’Ouest. « Juste avant la décision, nous avions passé la journée à Paris pour enchaîner les plateaux télé. Moi à la fin de la journée j’étais rincé, et lui, il continuait de parler », raconte Guillaume Dalmart. « Il est débordant d’énergie, il ne lâche jamais », confie le pilote maritime qui fait partie du noyau dur de l’association. Cette résilience fait partie du caractère de l’ancien concessionnaire automobile : « Quand on est chef d’entreprise, des revers on en a en permanence. Si vous ne rebondissez pas, si vous êtes abattu, vous ne vous en sortirez pas. J’ai été formaté comme ça, pour amener des gens à aller plus
loin », explique l’homme de 74 ans. Le seul qui pouvait prendre la place. C’est pour son expérience et sa sagesse, que Marc Bouchery est venu le chercher en 2012.

« Il fallait un leader charismatique, Alain était le seul qui pouvait prendre cette place »

Des nuits blanches à réfléchir

À l’époque, les anti-aéroport viennent de gagner une bataille en mettant en échec la tentative d’évacuation de la Zad, la désormais célèbre opération César. Face aux actions de plus en plus musclées des anti, l’ancien directeur de cabinet à la CCI Pays de la Loire veut mobiliser les pro. Il réveille et renomme alors l’association ACIPRAN créée en 2003 par l’entrepreneur François de la Tullaye. « Il fallait un leader charismatique, Alain était le seul qui pouvait prendre cette place », confie son ancien collaborateur à la CCI. L’ancien dirigeant du groupe automobile Mustière, (450 salariés, 200 M€ de CA) qui a été président de la CCI de Nantes-Saint-Nazaire pendant près de 10 ans puis président du Ceser Pays de la Loire les 10 années suivantes, vient de prendre sa retraite. Il ne manquera presque aucune des réunions organisées chaque semaine de 18 h 30 à 22 h 30 dans le petit QG. Les six membres fondateurs, François de la Tullaye, Mathias Crouzet, le pilote maritime Guillaume Dalmart, ainsi qu’André Tameza et Marc Bouchery, squattent alors la salle de pause d’une jeune société de développeurs. « Même quand il était en voyage à l’étranger pour profiter de sa retraite, il nous appelait », se souvient Guillaume Dalmart. Quelles actions mener ? Souvent les débats sont enflammés. Tous les regards se tournent vers Alain Mustière. C’est toujours lui qui est chargé d’en faire la synthèse. « J’en ai passé des nuits blanches à réfléchir à ce qu’il fallait dire », confie-t-il.

Toutes les études donnaient raison au projet

D’abord en tant que président de la CCI de Nantes-Saint-Nazaire, puis en tant que président du Ceser Pays de la Loire et surtout comme président de l’association les Ailes pour l’Ouest, Alain Mustière suit le dossier depuis toujours. « Je me souviens, dans les années 1980, avoir reçu à l’aéroport Pierre-Méhaignerie, alors ministre des transports. » À l’époque, il lance la première étude sur le projet, qui ne fait pas polémique. « Même les Verts râlaient contre le survol de Nantes », se souvient l’ancien président de la CCI. L’étude conclut à la nécessité d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes à horizon 2015. « Par la suite, toutes les autres études donneront raison au projet », poursuit Alain Mustière. Sur les 179 décisions de justice prises depuis cinquante ans sur ce dossier, toutes donnaient raison aux partisans de Notre-Dame-des-Landes. « Jamais, jamais je n’aurais cru que le projet serait annulé », confie-t-il.

Colleur d’affiches

Photo : Guillaume Dalmart

Lui le chef d’entreprise habitué des réunions dans des salles feutrées aura aussi osé manifester dans la rue banderoles à la main, autocollant sur la poitrine, distribuer des tracts, et même coller des affiches sur les banques. « Ce n’était pas ma culture, je n’avais jamais fait ça auparavant », raconte-t-il. Pourtant c’est souvent lui qui est moteur de ces initiatives. « L’idée de projeter un « Oui » sur la Tour Bretagne, quatre jours avant le référendum, c’est lui, explique Guillaume Dalmart. Lui aussi qui encourage à coller des affiches sur les banques. Il disait : il faut y aller, on représente des citoyens, pas des institutions », poursuit le militant. Dans l’association, les 4 000 membres sont en majorité des particuliers. Les patrons, plus discrets par manque de temps, donnent de l’argent. « On est monté jusqu’à 70 000 € de budget annuel », rapporte François de la Tullaye. Parmi les membres les plus engagés, il y a de tout, des syndicalistes, des fonctionnaires, des politiques de gauche et de droite.

L’institutionnel qui a refusé de faire une carrière politique fait en sorte que le mouvement soit ouvert à tous. « Je peux vous dire que le soir du référendum, politiques de gauche et de droite sablaient le champagne ensemble », se souvient Alain Mustière. C’est l’un des meilleurs souvenirs de cette lutte. Mais le président des Ailes pour l’Ouest n’a pas de regrets. Après près de 30 ans d’engagement sur le dossier, il envisage de « passer la main aux jeunes ». Puis se reprend. « Je ne vous ai pas dit que j’arrêtais ! » Il devrait prendre une décision en juin, lors de l’assemblée générale de l’association.

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