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Le rêve américain de Frédéric de Gombert, le dirigeant d'Akeneo
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Le rêve américain de Frédéric de Gombert, le dirigeant d'Akeneo

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Il aurait pu faire du théâtre, Frédéric de Gombert est aujourd'hui à la tête d'Akeneo, l'une des start-up nantaises les plus prometteuses qui tente aujourd'hui de se faire une place au soleil outre-Atlantique. Portait d'un trentenaire qui partage sa vie entre un vieil hôtel particulier sur les bords de la Loire et la côte est américaine.

— Photo : JDE

Il faut sonner à la porte d’un hôtel particulier de la place Mellinet à Nantes, monter un magistral escalier en bois qui grince, passer par les chambres hautes de plafond tapissées de post-it et meublées d’écrans d’ordinateur, puis sourire au chanteur Dave, en photo sur la fontaine à eau. Au deuxième étage, sous les toits, se trouve le bureau de Frédéric de Gombert, le PDG d’Akeneo, dit Fred, en interne. Ce passionné de théâtre a choisi le côté jardin, vue sur le parc de 4 000 m² de la propriété avec son petit étang et son propre bar créé pour les salariés.

« Il a visité 60 maisons avant de trouver celle-ci. Il a même été voir des églises ! », raconte son associé Nicolas Dupont. « La vie est courte, quitte à bosser comme des cochons, autant qu’on puisse se faire plaisir », plaisante le PDG d’Akeneo. La PME nantaise est passée en six ans de 7 à 160 salariés, après avoir levé 15 millions d’euros et ouvert des bureaux en Allemagne, en Israël, à Londres et à Boston.

Laisser la place aux gens

« On voulait créer la boîte dont on a toujours rêvé », explique le trentenaire qui reçoit les mains dans les poches de jean, Stan Smith au pied. Ambiance comme à la maison. C’est fait exprès. Cela tenait à cœur à ce Ch’ti qui en s’installant à Nantes en 2013, voulait se rapprocher de la maison de famille de Noirmoutier. « Ma madeleine de Proust, c’est la gare de Nantes, j’y passais pour aller voir mes grands-parents tous les étés ».

Au-delà du joli décor de la maison nantaise, le but était de créer l’espace le plus agréable, afin de créer un esprit de famille, une communauté. « Mon objectif, en tant que patron, est de faire en sorte que les autres puissent faire le boulot sans se poser de questions ». Laisser faire, rester open

Le parti pris de l’open source

De gauche à droite : Benoît Jacquemont, Frédéric de Gombert et Nicolas Dupont, dirigeants de la société Akeneo — Photo : Akeneo

C’est l’ADN d’Akeneo, l’éditeur qui développe ses logiciels en open source, permettant aux utilisateurs de les modifier pour leurs besoins. Le logiciel de gestion des informations produit PIM (pour Product Information Management) qu’il développe ringardise les fichiers Excel. Des photos aux dimensions, en passant par les données techniques de conception et les commentaires des clients, toutes les informations d’un produit sont réunies au même endroit. Ainsi, chez Carrefour, Auchan, Samsung ou Sephora, les équipes techniques et marketing des marques partagent le même outil et optimisent les process pour gérer leurs points de vente, leur application et leur catalogue papier.

« L’open source, c’est un parti pris », explique le PDG. « Le temps des boîtes noires et de l’obscurantisme technologique est, loin devant Amazon, la plus grande menace actuelle pour le monde de l’e-commerce », explique ce partisan de l’hyper-transparence, qui préfère pourtant garder secret son chiffre d’affaires.

Sur la lignée de Magento

Frédéric de Gombert, PDG d'Akeneo — Photo : Akeneo

Cette foi dans les vertus de l’open source est née chez Smile, leader européen de l’intégration de solutions open source, où les trois associés d’Akeneo ont fait leurs armes, cinq ans avant de créer leur entreprise.

En tant que directeur commercial, Fred de Gombert est chargé de déployer l’offre e-commerce. Il passe ses journées sur Magento, la première plateforme d’e-commerce open source créée en 2008 et rachetée l’an dernier par le géant californien Adobe (11 000 salariés) à eBay pour 1,68 Md $. « Si Magento n’avait pas existé, Akeneo ne serait pas là », explique Frédéric de Gombert. C’est pour aider les utilisateurs de Magento qu’il pense à créer un logiciel PIM. Et quand lui vient l’idée d’Akeneo, il n’hésite pas à en parler à Yoav Kutner, l’un des fondateurs de Magento, qui entre tout de suite au conseil d’administration.

L’avenir est aux États-Unis

« C’est quelqu’un d’important pour nous. Il n’a pas de rôle opérationnel, mais c’est un mentor », explique Nicolas Dupont. Frédéric de Gombert l’appelle deux à trois fois par mois. Son autre mentor est à Boston. C’est Stephan Dietrich, un investisseur américain qui avait fondé Neolane, une société de marketing conversationnel, rachetée par Adobe en 2013 pour 600 M€. Lui aussi est entré au conseil d’administration d’Akeneo, en décembre 2018, en même temps que Salesforce Venture, société d’investissement de l’éditeur de CRM, grand concurrent d’Adobe. C’est le bras droit de Fred de Gombert à Boston, où Akeneo compte 25 salariés.

L’Amérique, « c’est là qu’est l’avenir de l’entreprise », explique l’entrepreneur. Akeneo y réalise 20 % de son CA et veut dépasser les 50 %. « Stéphane Dietrich, c’est mon coach. Il me bouscule un peu sur la stratégie », explique Frédéric de Gombert.

À Boston à mi-temps

Car aux États Unis, il a fallu réajuster le tir. « C’est plus dur que ce que l’on pensait », concède l’entrepreneur deux ans après l’ouverture du bureau américain. « Aux États-Unis, on est personne. Il faut tout désapprendre pour recommencer ». Il s’agit notamment de revoir le discours de vente. « En France on parle du produit, les Américains nous répondent : "OK pour le produit mais quelle valeur cela me rapporte ?" », observe-t-il.

« On double de taille chaque année, cela ne se fait pas sans turbulences. »

Pour cela, la mission du moment est de recruter des commerciaux américains. Plus facile à dire qu’à faire sur un territoire où le chômage n’existe pas. « L’arrivée au capital de Salesforce nous donne de la crédibilité », constate Fred de Gombert, qui reste majoritaire avec ses deux associés.

Depuis six mois, Frédéric de Gombert passe la moitié de son temps à Boston, soit deux semaines par mois. Les journées de travail, 6 heures-20 heures, sont chargées. Plus de place à l’improvisation théâtrale, sa grande passion, pour laquelle il a failli tout quitter, avant de créer Akeneo. « La boîte ne me quitte jamais, c’est toujours en tâche de fond », constate-t-il.

Blagues et storytelling

Le siège d'Akeneo est situé dans l'ancien Hôtel de la marine, place Mellinet à Nantes. — Photo : Akeneo

« On double de taille chaque année, cela ne se fait pas sans turbulences », poursuit-il. Pour autant, le chef d’entreprise ne laisse rien paraître de son stress. « Même avant de partir au dernier moment à l’aéroport, il oublie son passeport et cela ne le stresse même pas », confie son associé. « Il s’est lancé sans crainte », abonde son épouse Estelle, qui travaille avec lui en tant que DRH.

Doté d’un bon sens de l’humour, Frédéric de Gombert n’hésite pas à partager quelques blagues au bureau. Auprès des équipes, voire des clients. « L’an dernier, lors d’un événement qui réunit partenaires et clients, il a commencé par un speech assez classique interrompu par une troupe de théâtre. Il fallait oser dans un événement très corporate », se souvient Nicolas Dupont.

Celui qui a un temps dirigé La Cantine, le réseau numérique nantais, n’a plus vraiment le temps de réseauter. Le peu de temps libre qu’il lui reste est réservé à sa petite fille de 4 ans. Il lui raconte des histoires, comme il aime en raconter à ses équipes. La dernière, c’était celle de l’Everest : « Je leur ai dit : "nous avons franchi des montagnes, maintenant il faut gravir l’Everest et personne n’a gravi l’Everest sans se faire mal" », raconte-t-il. Une histoire qui résonne avec ce mantra écrit en immense sur le mur de son bureau : « If it’s meant to be, it’s up to you. » Traduction : si cela est censé se faire, c’est à toi de le faire.

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