Côtes-d'Armor
« La reprise s’amorce mais doit se confirmer sur le moyen terme »
Interview Côtes-d'Armor # BTP

Rémi Amicel ex-patron de la SEEG et président de la fédération des travaux publics des Côtes d’Armor « La reprise s’amorce mais doit se confirmer sur le moyen terme »

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Secouée par le recul de la commande publique, passée de 222 millions d'euros en 2013 à 158 millions d'euros en 2017, la filière des travaux publics en Côtes-d’Armor redresse doucement la tête. Fragile, la reprise semble toutefois s’amorcer.

— Photo : Julien Uguet / Journal des entreprises

Après plusieurs années de difficultés, marquées par une baisse importante de l’activité, comment se porte le secteur des travaux publics dans les Côtes-d’Armor ?

Rémi Amicel : « Ça va mieux mais nous restons fragiles. En 2016, nous avions senti le vent d’une reprise durable. Mais le premier semestre de l’année 2017 a marqué, non pas un retournement, mais un ralentissement de cet élan. Et pour le second semestre, l’attentisme semble se prolonger avec des chantiers annoncés, décalés. Cette situation aura un impact indéniable sur l’activité en 2018. La reprise s’amorce mais doit se confirmer sur le moyen terme. Globalement, nos entreprises restent cantonnées sur un point bas en termes de volumes d’activité par rapport aux années 2008/2009. »

Comment expliquez-vous cette situation alors que votre consœur du bâtiment annonce une reprise franche ?

R.A. : « Il faut distinguer nos deux filières. Le bâtiment, ce ne sont pas les travaux publics. Nous dépendons davantage de la commande publique et de l’effort des collectivités locales en matière d’investissement. Aujourd’hui, 60 % des marchés de nos entreprises viennent des appels d’offres lancés par les communes, les intercommunalités ou le département des Côtes-d’Armor. Cela représente 158 M€ de chiffre d’affaires pour nos 174 adhérents et leurs 1913 salariés. Pour rappel, cet effort public était de 222 M€ en 2013. »

Comment expliquez-vous cet attentisme propre aux travaux publics ?

R.A. : « La mise en œuvre la NOTRe, au 1er janvier 2017, ne nous a pas facilité la tâche. Dans les Côtes-d’Armor, la carte territoriale a beaucoup changé. Les intercommunalités sont passées, en quelques mois, de 29 à 8. Cette situation a modifié considérablement le paysage vis-à-vis des donneurs d’ordre. Elle explique sans doute une partie du ralentissement depuis le début de l’année 2017. La rationalisation est une bonne chose car nous restons conscients qu’il faut préserver et mieux gérer l’argent public. Mais ces efforts doivent se faire au niveau des charges de fonctionnement, pas du potentiel d’investissement des collectivités. »

Vous semblez agacés par la lenteur de cette restructuration ?

R.A. : « Un peu, car la lenteur dans les objectifs de rationalisation a un impact direct sur les prises de décision des élus politiques. Nous espérons que l’attentisme actuel s’apparente à un simple report et pas une remise en cause définitive de certains projets. Il faut que les chantiers démarrent rapidement car ils contribueront à relancer l’activité des travaux publics costarmoricains. Aujourd’hui, nous n’avons pas de visibilité sur l’avenir à court et moyen terme. Notre carnet de commandes dépasse à peine 2 mois. Ce n’est pas suffisant pour s’organiser. Nous allons retourner voir, comme en 2015, les présidents des intercommunalités pour les sensibiliser à tous ces enjeux. »

Les marchés privés, qui représentent 40 % de l’activité des entreprises de TP, ne parviennent pas à compenser la situation ?

R.A. : « Il y a des projets privés mais nous sommes dans le coup par coup. La dynamique repart doucement également même si nous ne disposons pas d’indicateurs, comme dans la commande publique, pour suivre ces marchés. Toutefois, on ne construit pas une usine ou un supermarché tous les jours. »

Des signes de reprise sont bien là comme le dynamisme de l’apprentissage…

R.A. : « Après des années difficiles, le centre de formation des apprentis des travaux publics à Ploërmel, qui forme du CAP au BTS, est plein. Plus de 200 jeunes sont en cours de formation contre 160 dans les années les plus délicates. Cela démontre qu’il y a un retour de la confiance chez les patrons des TP. Ils investissent dans l’avenir de la filière en relançant des recrutements freinés ces derniers mois. Nous constatons que l’intérim repart aussi. C’est un deuxième indicateur encourageant. »

Et pourtant, les travaux publics continuent d’avoir du mal à recruter des profils qualifiés ?

R.A. : « Nous devons poursuivre le travail de sensibilisation mené auprès des partenaires de l’emploi pour mettre en adéquation la demande des entreprises et l’offre. Tous les métiers et tous les profils sont concernés : canalisateurs, conducteurs d’engins, conducteurs de travaux, bureau d’études, etc. Nous disposons d’un véritable vivier d’emploi encore trop méconnu malheureusement. Entre 2014 et 2017, les TP en France ont en effet perdu près de 20.000 collaborateurs. En Bretagne, on estime ce recul à un millier. »

Au-delà des postes, ce sont les compétences que vous avez perdues ?

R.A. : « Effectivement, paradoxalement, nous sommes aujourd’hui dans le dur pour retrouver cette valeur ajoutée humaine qui a toujours fait la force des travaux publics. Même si les rémunérations sont attractives, grâce à notre convention collective, cet argument n’est pas suffisant. Nous devons récréer un climat de confiance avec Pole Emploi et les agences d’intérim pour qu’ils comprennent bien nos besoins et jouent pleinement leur rôle de prescripteurs. La pédagogie prend ici toute son importance. Par exemple, les métiers proposés dans les travaux publics n’ont rien à voir avec ceux du bâtiment. Dans les TP, les salariés travaillent davantage dehors et de manière nomade. Un canalisateur n’est pas un peintre en bâtiment. À nous de bien expliquer ces particularismes pour que nos partenaires nous envoient des gens bien informés. Derrière, nous avons les dispositifs et les moyens financiers pour mener des actions de formation et de qualification afin de faire monter en compétences les personnes intéressées pour nous rejoindre. »

La mobilisation auprès des élus concerne également le vaste chantier de la rénovation des routes et des réseaux ?

R.A. : « Les travaux publics ne se mesurent pas uniquement à la construction d’une route ou d’une ligne de train. L’entretien et la maintenance des infrastructures existantes sont cruciaux. Les réseaux d’eau potable et d’assainissement se dégradent très vite et rien n’est fait, depuis plusieurs années, dans certaines communes ou département. C’est pourtant un patrimoine à préserver et un levier de croissance pour donner du travail aux entreprises locales. Il faut que les élus en soient conscients. »

Pour autant, la fixation d’un cap autour de chantiers d’envergure vous apparaît nécessaire ?

R.A. : « Nous avons rencontré les députés des Côtes-d’Armor pour les sensibiliser à nos problématiques car ils vont être amenés, dans les prochaines semaines, à se mobiliser autour de la loi de programme sur la mobilité. Ce texte comprendra un volet sur les grandes infrastructures. Force est de constater que tous les projets majeurs, types LGV ou autoroutes, sont pour l’heure gelés. Une commission de travail a été créée pour dessiner l’avenir de la France sur le long terme. Je me ravis de voir que le président national de la fédération des travaux publics est associé à la démarche. Cela va permettre de faire passer nos messages et de nous faire entendre.

Toutefois, j’espère que le principe d’équité sera respecté avec des projets d’aménagement équilibrés. Beaucoup de crédits sont aujourd’hui mobilisés sur le Grand Paris, demain autour des sites des Jeux Olympiques de 2024. Je ne veux pas que l’on arrive à des travaux publics à deux vitesses. D’un côté ceux des métropoles et des grands centres urbains, très actifs, et de l’autre, ceux des milieux ruraux moins bien lotis. »

Comment la profession voit son avenir en Côtes-d’Armor ?

R.A. : « Tout n’est pas noir, loin de là. Beaucoup d'entrepreneurs voient l’avenir avec sérénité car ils n’imaginent pas que cet attentisme des collectivités locales dure. Ils estiment d’ailleurs qu’ils ne peuvent pas tomber plus bas. En relevant désormais la tête, ils demandent que la dynamique enclenchée en 2016 s’intensifie. Actuellement, les chantiers tournent autour des petits entretiens. Pourtant, de gros projets locaux sont dans les cartons comme le quatrième quai sur le port du Légué à Saint-Brieuc, le circuit automobile sur l’aéroport de Trémuson, les éoliennes en baie de Saint-Brieuc. »

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