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Unseenlabs à la conquête de l'espace et des océans
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Unseenlabs à la conquête de l'espace et des océans

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Unseenlabs surveille les océans grâce à de petits satellites qui interceptent les signaux électromagnétiques des navires et déterminent ainsi leurs actions/activités anormales (dégazage, pêche illégale...). Parmi ses premiers clients : les États et les ONG. L'odyssée de l’espace est en route pour la PME rennaise et les frères Galic, qui prévoient de déployer jusqu’à 25 satellites en orbite d’ici à 2025.

En installant des nanosatellites dans l’espace, Unseenlabs participe à la surveillance maritime et à la protection des océans — Photo : © Unseenlabs

Explorer les océans grâce à de petits satellites - de la taille d’une boîte à chaussures et pesant une dizaine de kilos environ - mis en orbite dans l’espace. C’est la prouesse que réalise la start-up rennaise Unseenlabs (16 salariés, 4 M€ de CA estimé en 2020), qui déploie, parmi les étoiles, ses antennes révolutionnaires qui identifient les ondes électromagnétiques émises par les navires. Cinq cents kilomètres plus bas.

Fondée en 2015, la pépite du « new space breton » (l'industrie du spatial d’initiative privée) est en pleine accélération. Après s’être fait remarquer mi-2019 en lançant son premier nanosatellite BRO-1 (pour « Breizh Recon Orbiter »), l’entreprise a récidivé, à la fin novembre, en envoyant deux nouveaux engins dans l’espace : BRO-2 et BRO-3. Comme il y a un an et demi, c’est la société néo-zélandaise Rocket Lab, spécialisée dans les fusées de petite charge, qui s’est chargée du tir. Avec succès, pour le plus grand soulagement de Clément Galic, cofondateur et directeur général d’Unseenlabs : « Il y a toujours de l’appréhension car un tir c’est stratégique. De par son coût financier - l’équivalent d’un demi-million d’euros - et pour ce que cela induit pour notre déploiement. À chaque fois, on a des nœuds dans l’estomac. Mais nous avons pleinement confiance dans les équipes de Rocket Lab. »

Une fratrie bretonne aux commandes

Derrière le « nous », il faut comprendre les frères Galic. À la tête d’Unseenlabs, œuvre en effet une fratrie bretonne : Jonathan, 39 ans, ancien ingénieur spatial chez Airbus. Le cerveau « technique » de la start-up, en charge de la R & D. Clément, 36 ans, ancien de chez Atos et formé à l’École nationale d’aviation civile. Lui, s’occupe de la gestion de l’entreprise, de la partie commerciale et des RH. Et Benjamin, 37 ans, avocat en droit des affaires à Rennes, qui, sans être dans la partie opérationnelle, conseille ses deux frères en coulisse.

Les frères Galic, cofondateurs et dirigeants d'Unseenlabs à Rennes — Photo : © Unseenlabs

« Unseenlabs, c’est nos jours et nos nuits depuis cinq ans », rend compte Clément Galic, qui commence à voir le travail payer. « Avec BRO-1, nous avons démontré que notre technologie marchait. Même un peu mieux que ce qu’on espérait. Cela nous a permis de montrer que le modèle d’entreprise fonctionnait aussi, ce qui est souvent un écueil pour les start-up. Nous avons des clients et une liste d’attente pour la suite. » De bonnes nouvelles que ne manqueront pas d’apprécier les investisseurs qui ont pris part, eux aussi, à l’aventure spatiale. En septembre 2018, Unseenlabs a en effet accueilli trois acteurs à son capital : Definvest, le fonds du ministère des Armées géré par Bpifrance et la Direction générale de l’armement (DGA) ; Breizh Up, le fonds de co-investissement de la Région Bretagne appuyé par l'Union européenne ; et la société toulousaine Hemeria (anciennement Nexeya), qui conçoit et fabrique des produits spatiaux de première classe pour des applications commerciales. Avec leur concours, 7,5 millions d’euros ont pu être levés. De quoi permettre à Unseenlabs de mener à bien ses premières étapes.

Protection des océans

En installant des satellites dans l’espace, Unseenlabs participe à la surveillance maritime et à la protection des océans. Complémentaire de dispositifs déjà existants comme les radars HF ou les transpondeurs AIS (pour « Automatic Identification System »), son service fournit des données précises sur les positions des navires. Ceux-ci peuvent être géolocalisés au kilomètre près, en temps quasi-réel. Avec ou sans l’aval du capitaine de navire. « On se base sur les ondes électromagnétiques, éclaire Clément Galic. C’est entièrement passif. Le bateau ne sait pas qu’il est géolocalisé. C’est comme cela que l’on va lutter contre les actes illégaux. Aujourd’hui, il y a une grosse partie du trafic maritime qui n’est pas suivie. À terme, notre technologie nous permettra de suivre tous les navires, sur tous les océans. » Son service intéresse fortement les États et les ONG (organisations non gouvernementales). « Le premier marché c’est l’action de l’État en mer, c’est-à-dire la police des mers et de protection des océans. Selon les pays, c’est le ministère des Pêches. En France, c’est la Marine nationale. On travaille aussi avec des ONG qui sont capables de mettre le doigt là où ça fait mal pour prouver des infractions (dégazages sauvages, pêche illégale…). Et on est en train d’ouvrir un marché beaucoup plus privé qui est la relation assureurs-armateurs. »

Objectif : 20 à 25 satellites en orbite en 2025

Les acteurs bretons du spatial regardent avec intérêt ce qu’ils font. « C’est clair que c’est intéressant avec une constellation moins coûteuse et qui colle à nos besoins », note Yann Guichoux, dirigeant de la start-up brestoise Odyn, spécialiste du calcul des courants de surface à partir des données de géolocalisation AIS. Vincent Kerbaol, créateur de CLS (né dans le Finistère), l’opérateur historique du réseau Argos, regarde aussi tout cela de près : « Le marché du spatial s’appuie sur le new space aujourd’hui avec davantage de technologie et de capacité. Cela démocratise l’accès à l’espace. »

Commercialisé depuis janvier 2020, le service d’Unseenlabs gagne en précision à chaque lancement de satellite. « Nous sommes les seuls à avoir mis au point un système qui fonctionne avec un seul satellite, pour un niveau de précision de géolocalisation inégalée. Cela signifie concrètement que notre constellation voit ses performances multipliées à chaque nouveau lancement », insiste Jonathan Galic, le directeur de la technologie et président de la société.

Les nanosatellites d'Unseenlabs ont voyagé à bord de la fusée Electron de Rocket Lab — Photo : © Rocket Lab

Avec désormais trois pièces maîtresses en orbite, Unseenlabs se présente comme le leader européen de la géolocalisation de navires en mer. Et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La PME bretonne vise 20 à 25 satellites dans l’espace d’ici à 2025. Une constellation plus importante qui lui permettra d’augmenter la réactivité du système et donc la rapidité de suivi des navires. En prévision de l’augmentation de ses activités, la société rennaise vient de signer un partenariat avec KSAT, le spécialiste mondial de services au sol de communication satellite. En profitant de son vaste réseau de plus de 200 antennes réparties dans le monde entier, Unseenlabs pourra bénéficier de transmissions de données à haut débit. Ainsi, elle divisera par trois le temps de livraison des données à ses clients (une dizaine à ce jour, tenus confidentiels).

Une nouvelle levée de fonds en vue

Unseenlabs et son service innovant de surveillance maritime est promis à un bel avenir. Avec une vingtaine de "vigies" dans l’espace, les frères Galic, majoritaires dans l’entreprise, prévoient un chiffre d’affaires qui pourrait atteindre les 80 millions d’euros en 2025, soit vingt fois plus que maintenant. « On augmente le nombre de clients et la capacité de l’entreprise à chaque nouveau tir », explique Clément Galic. Au sol, la PME rennaise prévoit de doubler ses équipes en 2021, pour atteindre une trentaine de salariés. Avec « tous les voyants au vert », Unseenlabs s’apprête à réaliser un second tour de table, début 2021, pour « réussir son accélération ». 20 millions d’euros, au bas mot, pourraient être levés, ce qui constituerait l’une des plus importantes levées de fonds de ces dernières années en Ille-et-Vilaine.


Unseenlabs voyage avec Rocket Lab

Il était 4 h 13, heure française, le 20 novembre, lorsque le lanceur Electron de Rocket Lab a déployé avec succès les nano-satellites BRO-2 et BRO-3 d’Unseenlabs, à 500 km d’altitude. Accélérant dans le même temps la mise en orbite de la start-up rennaise. « Nous avons besoin d’accéder à l’espace au bon moment et sur les bonnes orbites. Si nous choisissons Rocket Lab comme fournisseur d’accès à l’espace, c’est parce que sa proposition correspond à nos besoins. Ils sont capables d’aller vite et souvent dans les airs. Et nous, c’est ce dont on a besoin pour construire notre constellation », explique Clément Galic, cofondateur d’Unseenlabs. Rocket Lab est une société américaine d’origine néo-zélandaise, qui dispose de sa base de lancement en Nouvelle-Zélande, sur la péninsule de Mahia. Bien que situés de part et d’autre du globe, Unseenlabs et Rocket Lab se sont trouvé des points communs. « Rocket Lab, c’est la petite start-up des lanceurs, qui est devenue grosse, mais qui a gardé son esprit agile, dynamique, rapide. On se reconnaît en eux », relève Clément Galic. Rocket Lab a construit son modèle d’entreprise sur du service express. Parfait pour Unseenlabs qui prévoit de placer entre 20 et 25 nanosatellites en orbite d’ici à 2025. Avec une dizaine de tirs désormais à son actif, le constructeur néo-zélandais devrait continuer de séduire le rennais. Mais ce partenariat contractuel est non exclusif. Ariane Espace pourrait être une alternative future. « Pour l’heure, ils ont moins de fusées pour notre marché et moins d’accès. Mais un jour, c’est sûr, on tirera avec eux », anticipe déjà Clément Galic.

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