« L'économie de l'usage est un moyen de maintenir l'industrie »
Interview # Ressources humaines

Richard Thiriet président du CJD « L'économie de l'usage est un moyen de maintenir l'industrie »

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Richard Thiriet est le nouveau président du Centre des jeunes dirigeants et de ses 4.500 membres. Pour lui, la relance passe par l'adoption de l'économie de l'usage et un droit du travail plus fluide.

Richard Thiriet a été président du Centre des jeunes dirigeants d'entreprises au niveau national entre 2014 et 2016 — Photo : Amandine Dubiez

Richard Thiriet, vous êtes engagés depuis dix ans dans le mouvement du Centre des jeunes dirigeants. Quelles sont selon vous les évolutions qui ont le plus marqué cette décennie ?


La crise a bien évidemment apporté un caractère très anxiogène à notre métier de chef d'entreprise, avec la pression sur les trésoreries, les paiements et les volumes d'activité. Mais au final, le facteur qui change beaucoup notre manière de fonctionner, c'est l'arrivée sur le marché du travail d'une jeune génération de salariés connectés, qui a l'habitude de travailler en réseau, de zapper, et qui est donc capable de zapper de la même façon d'une entreprise à l'autre. Il y a une vraie question d'adaptabilité, mais surtout l'émergence d'une nouvelle approche de l'entreprise, de l'économie. Ceci peut changer la façon dont nous travaillons et créer de la croissance si nous parvenons à l'intégrer.

Comment définiriez-vous cette nouvelle vision de l'économie ?

Elle tranche avec notre éducation occidentale et libérale. C'est une économie de l'usage, plus que celle de la propriété. On le voit dans le b-to-c avec le web qui permet la location de voitures, de tondeuses entre particuliers. Mais l'économie de l'usage, cela peut aussi fonctionner dans le b-to-b, dans l'industrie. Je prends l'exemple de ma société : aujourd'hui, quand je travaille pour Airbus, ils me commandent un élément qui permet d'y poser un avion lors de sa fabrication. Cet élément, Airbus l'achète, l'entretient et le fait évoluer en fonction de la taille de l'avion. L'économie de l'usage, cela serait de
fabriquer l'outil, mais plutôt que de le vendre, le garder en propriété et de commercialiser les services qui y sont liés : entretien, mise à niveau, tout ce qui permet de faire qu'un outil soit toujours adapté à la production. Je pense que si nous, industriels, nous ne nous orientons pas vers l'usage, qui fidélise et dépasse la simple logique de coût, d'autres le feront pour nous. Cette solution, c'est un moyen de maintenir l'industrie en France. Et un pays qui n'aurait plus d'industrie prendrait un grand risque dans l'économie mondiale.

Que voyez-vous comme autre levier pour relancer le marché du travail en France ?

Il nous faut absolument assouplir le code du travail. Je ne connais pas un chef d'entreprise qui ne se questionne pas sur le droit, et sur l'impact d'une éventuelle séparation, quand il souhaite embaucher. C'est nuisible à la fluidité de l'emploi ! Je suis donc pour un contrat de travail où tout serait clair, écrit d'avance, à l'image d'un bail, et où les conditions d'une séparation seraient clairement stipulées. Bien sûr que cela inquiéterait les syndicats, mais au final, cela permettrait d'éliminer l'incertitude qui constitue un obstacle à l'embauche et de relancer ainsi l'emploi pour le bien de tous. Si nous parvenions à avoir cette liberté, je pense naturellement que 80 % des chefs d'entreprise iraient plus facilement vers l'embauche.

"Si on veut donner de l'oxygène aux entreprises, simplifions avant tout le droit du travail"

Le pacte de responsabilité, vous y croyez ?

Pour le vivre tous les jours, je peux vous assurer qu'il est difficile pour un chef d'entreprise qui n'a pas de visibilité sur son carnet de commandes de s'engager à embaucher, même en échange d'une baisse des cotisations sociales. Cela tiendrait du pari, et pourrait mettre en péril une société. La condition de l'emploi qui est liée à ce pacte est donc difficile à offrir. Je le maintiens : si on veut donner de l'oxygène aux entreprises et débloquer l'emploi, simplifions avant tout le droit du travail.

Sur le plan fiscal, quelle réforme pourrait vous séduire ?

Pour moi, le bénéfice que dégage une entreprise est avant tout un moyen. On peut évidemment entendre que certains vont l'utiliser pour rémunérer des actionnaires, mais ce n'est pas pour moi l'essentiel. Le bénéfice doit être utilisé pour créer de l'innovation, des embauches, pour assurer la trésorerie lors d'une passe difficile. Du coup, l'idée que l'argent qui reste dans l'entreprise soit moins taxé que celui qui en sort me semble une piste à explorer sérieusement, à condition de ne pas créer une couche fiscale qui compliquerait la vie des entrepreneurs.

Y-a-t'il d'autres éléments clefs pour fluidifier la vie des entreprises ?

Un des premiers serait de simplifier la feuille de salaire. Il faut qu'au sein d'une entreprise, et je me mets dans le même panier, nous soyons tous capables de comprendre et d'échanger sur les flux. Cela permettrait de rendre plus clair le poids des charges, qui est méconnu des salariés. Quand un collaborateur touche 80 € en net, il sait qu'il en touche 100 € en brut, mais ignore souvent que cela coûte 150 € à l'entreprise. En France, nous n'avons pas encore adopté cette démarche pédagogique qui permettrait d'assurer un meilleur dialogue social, de trouver un plus juste équilibre entre les parties prenantes.

Que vous inspire le projet de réforme territoriale présenté par François Hollande ?

Sur le fond, il est évident que pour exister en Europe, il faut que nos régions soient plus grandes. Après, le problème porte plutôt sur la méthode. Nous avons interrogé 191 jeunes dirigeants des Pays de la Loire à ce sujet, et leur avons demandé s'il leur semblait cohérent de se baser sur les cartes administratives existantes pour mener la réforme territoriale. 92 % ont répondu non. Ce qu'il faudrait prendre comme référence, ce ne sont pas les découpes administratives actuelles, mais les grands axes de communication, les infrastructures portuaires et aéroportuaires, les grands pôles économiques. Là, nous déboucherions alors vraiment sur un projet qui parlerait aux entrepreneurs, avec une vraie logique économique qui permettra à la collectivité de gagner en performance.

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