Meurthe-et-Moselle
Gilles Claudel (Rega) : « Plus les semaines passent, plus la situation devient critique »
Interview Meurthe-et-Moselle # Distribution # Conjoncture

Gilles Claudel président du distributeur de boissons Rega Gilles Claudel (Rega) : « Plus les semaines passent, plus la situation devient critique »

S'abonner

Les distributeurs de boissons du Grand Est ont décidé de se fédérer pour soutenir leur secteur d’activité frappé par la crise et les fermetures administratives. Gilles Claudel est l’un des trois représentants de ce nouveau consortium de défense des fournisseurs de cafés, bars et restaurants. L’actuel président du groupe Rega (CA 2019 : 50 M€ ; 160 salariés) prévient : « Si rien n’est fait, certaines de nos entreprises ne tiendront pas deux mois supplémentaires ».

Gilles Claudel, président du groupe Rega (basé à Lesménils en Meurthe-et-Moselle), a enregistré une chute de 45% de son chiffre d'affaires en 2020 — Photo : Rega

La grande majorité de vos clients (cafés, bars, restaurants et discothèques) sont fermés depuis plusieurs mois. Comment votre entreprise a-t-elle traversé cette année 2020 ?

Gilles Claudel : Nous avons perdu 45 % de notre chiffre d’affaires par rapport à l’exercice précédent. Et depuis le deuxième confinement, notre activité a chuté de 95 %. Bref, nous sommes quasiment à l’arrêt depuis fin octobre. Peu de gens le savent mais nous continuons de livrer les hôpitaux et les Ehpad. C’est la seule activité qui nous reste, mais cela ne représente quasiment rien. Aujourd’hui, l’ensemble des entreprises de distribution de boissons sont dans le même cas. Nous sommes tous très touchés par les fermetures administratives car nous sommes dépendants de nos clients et nous travaillons quasiment exclusivement avec les bars, brasseries, restaurants, hôtels, mais aussi les sociétés d’événementiel et de tourisme.

La plupart de ces établissements ont pu rouvrir pendant l’été. Cela a-t-il permis de limiter les pertes ?

Gilles Claudel : À la sortie du premier confinement, nous avons effectivement retrouvé de l’activité mais cela s’est fait de manière très progressive. Nous avons doucement redémarré en juin avec 30 % d’activité, puis 70 % pendant l’été. Mais nous n’avons jamais retrouvé les 100 %. Malheureusement, tout s’est arrêté une deuxième fois dès la fin du mois d’octobre.

Après avoir évoqué une éventuelle réouverture des bars et des restaurants au 20 janvier prochain, le gouvernement fait machine arrière. Le Premier ministre Jean Castex vient de confirmer qu'ils resteront fermés, au moins, jusqu'à mi-février. Comment réagissez-vous ?

Gilles Claudel : C’est difficile car je pense aux salariés qui sont presque tous en chômage partiel. Près de 95 % de mes collaborateurs sont concernés. Nous n’avons aucune visibilité, aucune perspective. Nous subissons complètement la situation.

Les aides de l’État suffisent-elles à garder la tête hors de l’eau ?

Gilles Claudel : Effectivement, nous avons été soutenus de façon positive pendant le premier confinement. Nos entreprises ont eu accès au chômage partiel et au prêt garanti par l’État. Mais aujourd’hui, la majeure partie des distributeurs ne souhaitent pas en contracter un nouveau. Nous n’avons plus de trésorerie, le PGE diminue très rapidement et les entreprises ne vont pas continuer à s’endetter sans arrêt, ce n’est plus possible. Nous avons été bien accompagnés mais aujourd’hui, nous sommes dans une situation injuste, incompréhensible et déséquilibrée : nos clients sont fermés administrativement et nous, nous n’avons pas accès au Fonds de solidarité. Nous ne souhaitons pas avoir plus d’aides que les bars et restaurants mais un juste équilibre pour que nos entreprises puissent durer encore quelques mois. Ces aides ne peuvent pas être inférieures à celles de nos clients, c’est incompréhensible ! Nous aussi, nous n’avons quasiment aucune activité. Notre filière, c’est un circuit. Et aujourd’hui, ce circuit est totalement fermé. Nous ne pouvons pas travailler. Nous demandons également la poursuite du chômage partiel.

« Pour survivre, certaines entreprises vont devoir fermer des sites ou réduire leur taille. La situation est grave. »

C’est pourquoi nous allons accentuer notre mobilisation. Nous nous sommes déjà mobilisés à Strasbourg (le 21 décembre dernier, NDLR) et nous envisageons de nouvelles actions dans les prochains jours à Paris et dans les grandes agglomérations du Grand Est.

Vous avez participé à la création de ce consortium de défense des fournisseurs du Grand Est il y a plus d’un mois. Vous sentez-vous écoutés par les autorités ?

Gilles Claudel : Nous sommes entendus mais nous ne sommes pas écoutés. Nous n’avons pas de retour clair sur nos alertes et nos demandes qui sont légitimes. Le "quoi qu’il en coûte" du président Macron, nous passons à côté.

Si vous n’obtenez pas satisfaction, êtes-vous inquiets pour l’avenir de votre entreprise ?

Gilles Claudel : Bien sûr. Pour le moment, nous n’envisageons plus de projets d’investissements. Au mois de juillet dernier, nous avons déménagé dans nos nouveaux locaux à Lesménils (un tout nouveau site de 7 000 m² avec plateforme logistique et siège social, NDLR). Cela a représenté un investissement de 5 millions d’euros mais si la crise sanitaire était intervenue au moment de la prise de décision, le projet n’aurait jamais vu le jour. Désormais, nous n’avons qu’un seul projet et il est digital. Nous avions déjà entamé le processus avant l’épidémie mais nous allons le renforcer pour accélérer la formation de nos collaborateurs.

Si la situation ne s’améliore pas dans les prochains mois, craignez-vous des fermetures ou des licenciements dans votre secteur d’activité ?

Gilles Claudel : Nous ne faisons pas ce métier pour licencier. Le projet d’une PME, c’est un projet social, humain et régional. Mais aujourd’hui, pour survivre, certaines entreprises vont devoir fermer des sites ou réduire leur taille. La situation est grave. Si rien n’est fait, elles ne tiendront pas deux mois supplémentaires.

Comment se portent les producteurs qui, habituellement, vous fournissent en boissons ?

Gilles Claudel : Nous avons deux catégories d’entreprises. D’un côté, les grands industriels qui travaillent également avec la grande distribution et qui n’ont pas 100 % de leur chiffre d’affaires dans notre circuit. Ils ne sont donc pas touchés de la même manière. De l’autre, nous avons tous les producteurs indépendants et régionaux qui ne travaillent quasiment qu’avec nous. Et aujourd’hui, nous ne leur achetons plus rien. La plupart sont des petites structures et, comme nous, elles ne voient aucune amélioration. Au contraire, plus les semaines passent et plus la situation devient critique.

Quand les bars, restaurants et discothèques pourront rouvrir, pensez-vous que le rebond sera à la hauteur ?

Gilles Claudel : Il y aura un temps de remise en route en fonction des établissements autorisés à rouvrir. Pour ceux qui pourront reprendre leur activité, le rebond sera très important, j’en suis persuadé. Notre activité est résiliente et nous avons besoin de nous revoir dans les cafés, les brasseries et les restaurants. Ce n’est pas pour autant que nous retrouverons tout de suite notre chiffre d’avant. Pour 2021, je table sur un prévisionnel de -25 % par rapport à 2019. Quoi qu’il en soit, je pense que notre secteur va s’en sortir. Mais pour cela, il ne faut vraiment plus tarder.

Meurthe-et-Moselle # Distribution # Conjoncture