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Ces patrons nantais qui partent à l’aventure
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Ces patrons nantais qui partent à l’aventure

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Ils ont fait le tour du monde, traversé l’Atlantique à la voile ou vécu une autre vie à l’étranger. Ces dirigeants de PME nantaises qui ont lâché leur entreprise pour un mois ou un an reviennent sur leur aventure.

— Photo : Pascal Chessé

Ils ont encore en tête les images de la houle de l’Atlantique, des lagons polynésiens ou encore de Table Mountain, la montagne surplombant Le Cap et l’extrémité sud de l’Afrique. Ces patrons nantais ont franchi le pas et lâché la barre de leur entreprise pour réaliser un rêve. Parmi eux de nombreux « voileux » qui, comme Arnaud Lory, PDG de la société informatique Oleap (40 salariés, 4,5 M€ de CA) ou Grégory Flipo, PDG de TMC Innovation (20 salariés ; 2,7 M€ de CA) fabriquant des mâts d’éclairage publics, ont largué les amarres pour traverser l’Atlantique en six semaines depuis les Canaries jusqu’aux Antilles.

350 jours sur la route

Car, finalement, assez nombreux sont les dirigeants à choisir de faire une pause dans leur vie professionnelle au-delà des deux à trois semaines de vacances estivales. C’est le cas d’Alexandre Gérard, PDG du groupe nantais Inov-On (350 salariés, 32 M€ de CA), dont le vaisseau amiral Chronoflex, spécialisé dans le dépannage de flexibles hydrauliques, incarne l’entreprise « libérée ». Accompagné de sa femme et de leurs trois enfants âgés de 8 à 14 ans, il s’est lancé dans un tour du monde en 350 jours au cours duquel il a parcouru 120 000 km et visité 35 pays.

Retrouver la motivation

Ce périple faisait suite à une période où il a était éprouvé physiquement et marqué moralement par la crise économique. Sa société avait perdu 34% de son chiffre d’affaires et il avait été contraint de licencier. « En 2012-2013, j’ai éprouvé le besoin de partir pour souffler, réaliser un rêve de gosse et donner une formidable preuve de confiance à mes salariés après avoir mis en œuvre une démarche de libération dans l’entreprise. J’ai effectué un travail pour définir le sens que je voulais donner au reste de ma vie sur terre et je suis parti sur un projet essentiel à mes yeux : vivre en intimité avec ma famille et découvrir le monde », raconte-t-il.

« Un vrai exercice de lâcher prise »

Motivation partagée par Pascal Chessé : « je souhaitais profiter le plus possible de mes enfants de 12 et 14 ans avant qu’ils ne quittent la maison et leur offrir une expérience enrichissante ». Sept ans après un premier break familial d’un an en Australie, le patron du groupe immobilier Chessé (20 salariés, 315 000 m² d’espaces commerciaux réalisés) réitère ainsi l’expérience en s’envolant pour quatre mois vers l’Afrique du Sud avec femme et enfants, d’avril à août 2017. Une démarche qui, pour autant, n’est pas facile à effectuer. « C’est un vrai exercice de lâcher prise. Personnellement, j’étais "addict" à mon entreprise et cela a été compliqué de prendre de la distance par rapport à mon bébé », soupire ainsi Alexandre Gérard.

« Il faut parvenir à se détendre par rapport à la nécessaire confiance à faire à ses équipes », poursuit Grégory Flipo. Confiance, un maître mot qui revient régulièrement dans la bouche des dirigeants sans être pour autant une évidence à assumer totalement. « J’envisageais mon départ comme une preuve de confiance vis-à-vis de mes salariés mais je m’étais malgré tout donné les capacités de revenir toutes les deux ou trois semaines si besoin. Ce qui n’a pas été le cas », explique ainsi Pascal Chessé.

Organiser son absence

Qu’elle dure un mois ou un an, une telle absence ne s’improvise pas. Après la nécessaire annonce aux salariés qui, de l’avis des dirigeants, se montrent plutôt fiers de l’aventure, l’entreprise doit se mettre en ordre de marche pour fonctionner en autonomie. « Nous étions six copains, chefs d’entreprise, à partir. Nous avons constitué une commission au sein de laquelle nous avons échangé pendant un an autour des bonnes pratiques à mettre en place et des points à verrouiller avant de prendre le large, une centaine en ce qui concerne mon entreprise », relate Arnaud Lory. Au menu, les incontournables délégations de signatures, les assurances, y compris celles devant parer à l’éventualité d’une disparition du dirigeant, les procédures à mettre en œuvre en cas de problèmes d’ordre juridique, financier, social, administratif… « J’ai réalisé une sorte de crash test dans ces différents domaines », indique le dirigeant d’Oleap.

« On ne peut pas partir du jour au lendemain »

Une précaution également déployée par Pascal Chessé : « On ne peut pas partir du jour au lendemain. Il y a des prérequis. Le plus important à mes yeux est d’avoir depuis longtemps partagé sa vision et sa stratégie d’entreprise avec ses collaborateurs. Il faut que cela soit bien clair dans la tête des salariés et avoir déjà délégué les opérations sur des temps courts avant de le faire sur un temps long. Deux ans avant de partir, nous avions formalisé au sein du groupe des règles de gouvernance avec des rituels de réunion, de gestion de projets, etc., incontournables. De cette façon, quand tu pars les repères sont là. »

Partager l’aventure grâce à la digitalisation

Rupture totale avec l’entreprise ou gestion à distance, les cas de figure sont variés. « Pendant trois mois, j’ai eu besoin physiquement de couper totalement. Par la suite, je me suis tenu au courant de la vie de l’entreprise mais sans jamais prendre de décision. J’étais présent et bienveillant mais à distance », décrit Alexandre Gérard, dont les salariés ont pourtant choisi cette période pour mettre en chantier un nouveau système de rémunération. « Pendant les deux mois où nous avons séjourné au Cap, les enfants allaient à l’école et moi j’étais en télétravail dans notre maison. Une des raisons qui nous a incités à choisir l’Afrique du Sud est d’ailleurs liée à l’absence de décalage horaire. Mais les deux mois suivants, nous étions en vacances. Nous avons voyagé en Afrique du Sud et dans les pays voisins en dormant chaque soir sous la tente. J’ai donc tout lâché », raconte, pour sa part, Pascal Chessé.

« Mon absence m’a permis de structurer l’entreprise qui était alors en pleine croissance. »

Pour les navigateurs, seuls au milieu de l’océan, la déconnexion est presque obligatoire. Sauf qu’aujourd’hui les outils digitaux permettent malgré tout de maintenir le lien avec les équipes et de leur faire partager l’aventure. « Nous avions un téléphone Iridium en cas de gros pépin. Mais je suis resté connecté avec l’entreprise grâce à un système de cartographie géré par un de mes collaborateurs, également passionné de voile. Tous les matins, il pointait sur la carte notre position, le nombre de miles nautiques parcourus depuis la veille… Cela permettait aux salariés de suivre la traversée à distance », relate Arnaud Lory. Outre Skype et les réseaux téléphoniques habituels, le dirigeant du groupe Chessé a opté pour Slack, « un réseau social simple qui m’a permis de partager avec les équipes de Nantes et de Thouars les découvertes que je faisais : un concept original, des bâtiments intéressants… », décrit-il.

Un retour pas toujours facile

Et puis, après le temps de l’aventure et de la découverte, vient inéluctablement le retour à terre ou tout au moins à la réalité du monde du travail, moment ressenti assez différemment d’un chef d’entreprise à l’autre. « Le retour a été facile pour moi. J’ai été aspiré par le mouvement des entreprises libérées auxquelles je consacre désormais les deux tiers de mon temps soit en faisant des conférences, soit en accompagnant des entreprises en voie de libération », raconte Alexandre Gérard. D’autres ont connu quelques instants de flottement. « A mon retour, j’ai fait un compte-rendu d’une heure, photos à l’appui, de notre traversée. Mais ensuite, grand vide ! J’étais devant mon bureau et je ne savais pas par où commencer. J’étais complètement déconnecté et désorienté », sourit Arnaud Lory. Autre épreuve à laquelle le chef d’entreprise se trouve confronté : devoir admettre que son entreprise fonctionne en son absence. « Découvrir que l’on n’est pas indispensable incite à l’humilité », commente Pascal Chessé. « On ne peut pas s’empêcher de voir que l’entreprise marche bien même si l’on n’est pas aux manettes et cela chatouille l’égo », confirme Alexandre Gérard.

Des bénéfices durables pour l’entreprise

En effet, à son retour, le PDG d’Inov-On a retrouvé une entreprise dont le chiffre d’affaires avait progressé de 15% et la rentabilité été multipliée par quatre. Tandis que le carnet de commandes du groupe Chessé donnait à son président une visibilité exceptionnelle à trois ou quatre ans. Faut-il alors que le patron s’éloigne de son entreprise pour en booster les résultats ? Sans aller jusque-là, les dirigeants sont unanimes à juger cette prise de recul bénéfique, non seulement pour eux-mêmes, mais également pour l’entreprise en termes d’organisation, de délégation et de cohésion des équipes. « Mon absence a énormément mis en confiance mon associée qui s’est appropriée la direction de l’entreprise. Elle a également eu pour conséquence de mobiliser et de souder davantage les équipes », indique ainsi Grégory Flipo. « La préparation de cette transatlantique m’a permis de me projeter et de structurer l’entreprise qui était alors en pleine croissance. J’ai notamment mis en place un management intermédiaire responsable et autonome qui n’existait pas auparavant. A mon retour, j’ai fait attention à préserver cette autonomie », avance Arnaud Lory. Pour le groupe Chessé, c’était la première fois que des marchés importants étaient décrochés sans que son dirigeant intervienne. « Cela a accéléré les processus de délégation au sein de l’entreprise », confirme Pascal Chessé. Autant de bonnes raisons pour envisager sereinement d’autres aventures. « On ne vit qu’une fois mais si on le fait bien, c’est suffisant », cite ainsi Alexandre Gérard.

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