Quand la technologie rend l'agriculture plus naturelle
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Quand la technologie rend l'agriculture plus naturelle

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Drones, intelligence artificielle, imagerie satellite, robots, sélection génétique... En Occitanie, où agriculture et agroalimentaire génèrent 22 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an et où les innovations foisonnent, la technologie se met au service des entreprises. Objectif : cultiver la terre de manière plus naturelle, limiter l'utilisation des pesticides et des engrais, irriguer plus intelligemment... En somme, produire mieux, avec moins.

Micropep Technologies exploite les protéines naturelles produites par les plantes pour limiter engrais et pesticides. — Photo : Micropep Technologies

Le Forum de l’agriculture digitale et durable s’est tenu pour la première fois à Auch (Gers) début avril. En Occitanie, deuxième région agricole de France en superficie, où le secteur représente 2 000 entreprises et plus de 164 000 emplois, la quête de cultures plus naturelles grâce au numérique a démarré.

La preuve avec Agri Sud-Ouest Innovation (415 adhérents en Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), devenu le premier pôle de compétitivité agricole français, avec 647 projets labellisés depuis douze ans pour 777 M€ de R & D. « Une plante a besoin de soleil, d’eau, de nourriture - engrais, fertilisants - et de produits de santé, comme les herbicides, analyse Daniel Segonds, président du pôle basé à Ramonville-Sainte-Agne, près de Toulouse. Il faut jouer sur tous ces facteurs pour aboutir à une agriculture plus propre. »

Pour y parvenir, le pôle a décidé d’accélérer dans le développement d’outils numériques innovants pour les secteurs agri-agro et pilote ainsi le projet européen Diva. Doté de 3 M€ de subventions, il doit mettre en relation les entreprises du numérique et agricoles. Agri Sud-Ouest travaille aussi avec le fabricant de drones Delair, à Labège, et la coopérative agricole audoise Arterris sur le projet Precidrone pour l’irrigation, la fertilisation azotée, le désherbage, le rendement et certains cas de maladies et ravageurs des grandes cultures.

Des drones pour scanner les champs

Depuis deux ans, Delair (180 salariés ; CA 2017 : 7,2 M€) structure son unité agriculture. La société vient de commercialiser son deuxième drone agricole UX11 Ag, dont l’analyse des données s’appuie sur la récente plateforme cloud delair.ai. « Le drone survole les parcelles à plus de 70 mètres de haut : sa caméra géolocalise la biomasse - position des plantes - et le taux de chlorophylle », explique Lénaïc Grignard, responsable de l’offre agriculture et forêt. La chlorophylle est un moteur. Si la plante en utilise moins, cela est synonyme d’un ralentissement de la photosynthèse, dû à un stress hydrique, la présence d’adventices (mauvaises herbes) ou une maladie par exemple. « L’appareil permet de déterminer quels plants sont en moins bonne santé et d’intervenir de manière ciblée », ajoute Lénaïc Grignard.

Drone UX11 Ag de Delair — Photo : Delair

Le fabricant de pneumatiques Michelin utilise notamment le système pour monitorer ses cultures d’hévéa (arbre à caoutchouc) en zones tropicales difficiles d’accès. Les semenciers sont très intéressés et Delair vise depuis peu coopératives et entreprises de travaux agricoles pour le désherbage de précision : la présence d’une adventice détectée par le drone est envoyée au tracteur géolocalisé, qui à son tour transmet la commande au pulvérisateur d’épandre de l’herbicide sur les endroits cibles.

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De la même façon, à Toulouse, Airbus Defence & Space a lancé, en février, Verde, une offre globale de recueil et d’analyse des images satellites pour les usages agricoles. Le service repose sur la fusion des données recueillies par le tracteur et l’imagerie satellite. L’exploitant peut contrôler en continu la quantité d’azote épandue, son absorption par les cultures, la quantité restante disponible… L’objectif est ainsi d’ajuster les futurs épandages.

Des robots pour le désherbage mécanique

Plus radical encore, le désherbage mécanique. Basé à Escalquens, Naïo Technologies (35 salariés ; CA 2018 : 2,8 M€) s’est imposé sur ce marché dès 2014, avec un robot 100 % électrique. « Oz est destiné aux petites productions maraîchères, avance Michel Devy, chercheur au Laas-CNRS et consultant scientifique pour Naïo. Il racle la terre entre les rangs de légumes avec sa griffe pour déraciner d’éventuelles adventices. Si ce cerclage est fait une ou deux fois par semaine, il n’y a plus besoin d’utiliser de produits chimiques. »

La société a aussi conçu Ted, un robot sur roues qui détecte les ceps de vigne, les enjambe et désherbe mécaniquement entre les rangées. Enfin, Dino permet de gérer les rangs quatre par quatre. De nouvelles fonctions comme le comptage des légumes ou la détection d’un cep malade sont en développement. Naïo ambitionne de vendre 300 robots à l’année d’ici à 2022.

Robot Ted de Naïo Technologies pour désherber dans les vignes — Photo : Naïo Technologies

Fondé en 2016 à Ramonville, Agreenculture (24 salariés ; CA 2018 : 600 000 €) a créé Ceol. Le petit robot de 500 kg a été conçu pour désherber mécaniquement et tondre en autonomie dans les sapinières.

Doté d’une intelligence artificielle qui lui permet d’analyser son environnement, Ceol peut être adapté à d’autres cultures et sera industrialisé en 2019. Mais le président et fondateur Christophe Aubé va encore plus loin : « Développé avec Kuhn, Centeol sera, en 2020, le seul système complet agro-écologique capable d’analyser le terrain, préparer un sillon, fertiliser plus ou moins, et planter plus ou moins de graines, selon la richesse du sol. Il sera monté sur chenilles pour préserver la terre. »

Robot Ceol d'Agreenculture conçu pour désherber mécaniquement et tondre dans les sapinières — Photo : Agreenculture

Le biocontrôle et la génétique pour protéger les cultures

Créé début 2019 par le Laboratoire de recherche en sciences végétales de l’université Paul Sabatier et De Sangosse, la spin-off BioPlantProducts (10 personnes) se penche, elle, sur le biocontrôle et les biofertilisants. À l’aide d’outils dernier cri de séquençage du génome haut débit et de microscopie électronique, la structure recherche les souches de micro-organismes (extraits de plantes, algues, champignons…) pouvant être utilisées pour lutter contre maladies et adventices, et améliorer croissance et résistance des plantes.

Une résistance qui peut être améliorée, en utilisant les protéines des plantes elles-mêmes. Au sein de l’incubateur ramonvillois TWB, l’entreprise Micropep Technologies (10 salariés) exploite ainsi les protéines naturelles produites par les plantes.

« Les micropeptides stimulent l’expression de certains gènes, qui peuvent ne pas s’exprimer assez à cause d’un manque d’eau ou de la présence d’adventices, explique le cofondateur Thomas Laurent. Notre procédé breveté identifie les micropeptides, les reproduit artificiellement et traite les plantes avec. » Plus besoin d’engrais chimique pour aider le maïs à germer ou renforcer le système immunitaire des tomates. Micropep se focalise, pour l’instant, sur les grandes cultures et vise une commercialisation de sa solution d’ici à 2025.


Un élevage plus sain des animaux

Depuis 2018, l’unité de l’Inra Intheres (26 personnes) cherche à limiter l’utilisation d’antibiotiques et d’antiparasitaires dans les élevages animaliers. Elle conçoit pour cela des combinaisons originales d’antibiotiques, qui permettent de réduire la quantité de médicaments et le temps de traitement.

« Nous voulons aussi passer du traitement collectif à l’individualisé, éclaire Alain Bousquet-Melou, enseignant-chercheur à l’école vétérinaire de Toulouse et directeur de l’unité. Avec des abreuvoirs et mangeoires connectés, on peut surveiller l’alimentation des animaux ; des puces RFID sur l’oreille permettent de mesurer la température corporelle… En faisant ce biomonitoring de chaque animal, on peut détecter une infection précocement et ne traiter que l’individu concerné. »

Pour les grands élevages, la vidéo intervient. Des algorithmes sont développés afin de détecter un comportement anormal sur la vidéo - synonyme de maladie - et donner l’alerte. « Le but est à terme d’utiliser ces technologies comme indicateurs de bien-être pour améliorer les conditions de vie des animaux au quotidien », conclut Alain Bousquet-Melou.

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