Olivier de la Chevasnerie : « Aujourd’hui, les belles entreprises sont plutôt dans l’économie sociale et solidaire »
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Olivier de la Chevasnerie président de Réseau Entreprendre Olivier de la Chevasnerie : « Aujourd’hui, les belles entreprises sont plutôt dans l’économie sociale et solidaire »

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Après les années start-up, place aux entreprises à impact. À la tête de Réseau Entreprendre, l’association de chefs d’entreprise qui aide 1 500 créateurs et repreneurs par an, Olivier de la Chevasnerie voit une nouvelle lame de fond déferler sur l’entrepreneuriat français. L’ère de la maximisation des profits est révolue, assure-t-il. Les dirigeants d’entreprise veulent désormais agir en faveur de l’environnement et de la société.

— Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Réseau Entreprendre accompagne désormais les entreprises ayant un impact positif sur la société. Pourquoi ?

Olivier de la Chevasnerie : Né sous l’impulsion d’André Mulliez pour combattre le chômage dans le nord de la France, Réseau Entreprendre repose sur un principe : s’il n’est pas possible que les entreprises existantes recrutent tout le monde, il est possible d’aider les gens à monter une société, qui, elle, créera des emplois.

Pendant longtemps, les créateurs et repreneurs d’entreprise accompagnés par Réseau Entreprendre développaient des modèles économiques classiques : on y parle chiffre d’affaires, résultats, etc. Il fallait que les entrepreneurs répondent à des critères très précis : créer cinq emplois en trois ans, posséder la majorité du capital. Avec ces critères, on excluait des entreprises, des associations et des Scop, qui créent, elles aussi, des emplois. Alors, nous avons relancé, il y a un an, un programme, qui était à moitié endormi.

Cela nous permet d’accompagner désormais des entreprises de l’économie sociale et solidaire et, plus largement, des entreprises ayant un impact positif sur la société ou l’environnement. Cela nous permet aussi de faire réfléchir les entreprises classiques à leur propre impact.

Comment mesure-t-on cet impact positif ?

O. de la C. : Il est extrêmement compliqué à mesurer. Généralement, on retrouve dans cette catégorie des entreprises qui œuvrent pour l’environnement ou la société. C’est le cas, par exemple, du projet Chromosome, à Nantes, qui emploie des personnes trisomiques : comme tous les restaurants, il cherche à concocter de bons repas à ses clients. Mais, en même temps, sa mission consiste à faire travailler des publics éloignés du marché de l’emploi.

Après, chez Réseau Entreprendre, nous ne nous appuyons pas sur une grille de notation précise. Nous écoutons le dirigeant. Quand il est à la tête d’une entreprise à impact, cela se voit tout de suite.

Qu’est-ce qui différencie une entreprise à impact d’une entreprise qui fait de la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) ?

O. de la C. : Les entreprises à impact ont mis au cœur de leur projet la RSE. La démarche RSE fait partie de leurs gènes. Une entreprise classique, comme Sygmatel par exemple (l’entreprise dirigée par Olivier de la Chevasnerie, NDLR), fait de la RSE. Nous le faisons en plus de notre activité : notre métier n’est pas d’avoir un impact.

Réseau Entreprendre accompagne-t-il beaucoup d’entreprises à impact ?

O. de la C. : Aujourd’hui, 10 % des entreprises que nous accompagnons entrent dans cette catégorie, mais nous en sommes uniquement au démarrage. Nous nous attendons à ce que 25 % à 30 % des lauréats de Réseau Entreprendre soient à impact très rapidement.

« L'émergence des entreprises à impact est une lame de fond. On dit que les jeunes ont besoin de sens. On est en plein dedans. »

C’est une lame de fond que nous voyons déferler dans nos 125 implantations et dans les dix pays où nous sommes présents. On dit que les jeunes ont besoin de sens. On est en plein dedans. Je suis dans le monde du travail depuis l’année 1990. C’est la première fois que j’observe un mouvement de cette ampleur. Les dirigeants des entreprises classiques – dont je fais partie – sont un peu dépassés par ce phénomène.

C’est une question de génération ?

O. de la C. : Pas seulement. Énormément de dirigeants sont conscients des défis sociaux et environnementaux et avancent à leur vitesse sur ce sujet. Mais la génération qui arrive pousse très fort et nous dit que nous n’allons pas assez vite.

Quelle proportion de jeunes entrepreneurs se lance dans des entreprises à impact ?

O. de la C. : C’est difficile à mesurer. Mais j’observe une chose : il y a quelques années, la mode était de créer une start-up. Aujourd’hui, les « belles entreprises » sont plutôt dans l’économie sociale et solidaire ou dans les entreprises à impact. Alors, ce n’est pas la fin de la start-up nation, mais nous assistons à l’émergence d’une autre catégorie de « belle entreprise ». C’est tout à fait étonnant. Je suis presque émerveillé par ce changement profond.

Ce changement est-il économiquement viable ?

O. de la C. : Avec ces entreprises à impact, le nerf de la guerre, ce n’est pas de faire de l’argent pour remplir les poches des actionnaires. C’est d’avoir un impact sur son environnement. La mission de Réseau Entreprendre est d’accompagner ces entreprises pour qu’elles durent. Et pour durer, il faut être viable économiquement parlant.

Notre rôle est donc d’accompagner dans ce sens ces jeunes entrepreneurs, car il n’est pas question de créer des structures qui perdent de l’argent tous les ans. C’était déjà notre rôle avec les startupers, qui débarquaient avec des idées géniales. Mais pour que les idées géniales dures, il faut qu’elles deviennent rentables.

L’argent n’est plus une fin en soi, mais un moyen…

O. de la C. : Effectivement. On trouve dans les entreprises un intérêt qui n’est plus seulement économique. L’argent n’est qu’un moyen. Alors, ça fait doux rêveur. Mais c’est génial, car on emporte les gens avec cette vision de l’entreprise. Les entrepreneurs fixent un but, une raison d’être qui n’est pas purement économique.

Par exemple, Réseau Entreprendre a accompagné Kévin Gougeon, le fondateur de la société N’go Shoes qui commercialise des baskets éthiques : un pourcentage du chiffre d’affaires est reversé pour la construction d’écoles au Vietnam. L’entreprise fait, par ailleurs, fabriquer une partie de ses chaussures dans ce pays, en favorisant l’insertion des femmes.

Nous avons aussi accompagné Simplon, qui forme aux métiers du numérique des personnes éloignées de l’emploi ; Phenix, qui propose des solutions contre le gaspillage alimentaire ; ou encore le réseau Môm’artre qui propose des gardes d’enfants favorisant l’éveil artistique et culturel.

Cette recherche d’impact peut-elle entraver la performance économique et, in fine, la pérennité de l’entreprise ?

O. de la C. : Je pense, au contraire, qu’une entreprise fonctionne mieux avec un drapeau qui est sa raison d’être. Si cette raison d’être est solide, les choix stratégiques se font même plus facilement. Et c’est plus simple d’emmener une équipe derrière soi avec une raison d’être claire.

Est-ce un message entendu par les financiers ?

O. de la C. : L’argent n’est pas un problème. Les entreprises à impact ont autant de chances d’être financées que les autres. Il est certain que ce n’est pas avec ce genre de projets qu’on va attirer un fonds qui veut multiplier sa mise par dix en cinq ans ! Mais il y a des fonds à impact créés pour répondre à cette demande.

Vous évoquiez la raison d’être de l’entreprise. Avez-vous défini celle de Sygmatel, l’entreprise de 340 salariés spécialisée dans les métiers de l’électricité, que vous dirigez ?

O. de la C. : C’est un travail que nous menons actuellement. Il mobilise une douzaine de membres du comité de direction et sera ouvert, dans un second temps, aux salariés de l’entreprise. Nos réflexions tournent autour d’une question : qu’est ce qui manquerait au monde, ou du moins à nos clients ou aux jeunes en recherche d’emploi, si Sygmatel n’existait pas ?

« Au même titre que la marque employeur aide à recruter de nouveaux salariés, la raison d’être va aider à les fidéliser. »

Je suis convaincu que la définition de cette raison d’être va constituer un élément différenciant pour Sygmatel, aussi bien en externe qu’en interne. Au même titre que la marque employeur aide à recruter de nouveaux salariés, la raison d’être va aider à les fidéliser.

Quel est l’impact de Réseau Entreprendre sur les jeunes entrepreneurs français ?

O. de la C. : Nous accompagnons 1 500 créateurs et repreneurs d’entreprise par an. Cet accompagnement est d’abord humain, grâce à 9 500 chefs d’entreprise bénévoles, qui participent aux comités de sélection ou qui suivent au quotidien nos lauréats, en leur faisant partager leurs expériences et en leur ouvrant leur carnet d’adresses. Il est aussi financier : nous avons accordé l’an passé 26 millions d’euros sous forme de prêts d’honneur. Ces prêts permettent aux entrepreneurs de lever 13 fois plus d’argent auprès des banques.

87 % des entreprises que nous accompagnons existent toujours cinq ans après leur création, alors que le taux de survie à cinq ans des entreprises françaises n’est que de 55 %. À cet horizon, les entreprises accompagnées ont créé en moyenne 19 emplois.

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