Vincent Charlet (Nantes Industrie Awards) : « Investir dans les technologies ne suffit pas »
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Vincent Charlet délégué général de La Fabrique de l’industrie Vincent Charlet (Nantes Industrie Awards) : « Investir dans les technologies ne suffit pas »

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Vincent Charlet, délégué général du think tank La Fabrique de l’industrie, préside l’édition 2020 des Nantes Industrie Awards. L’occasion pour lui d’analyser les enjeux auxquels sont confrontées les entreprises industrielles à l’heure des transitions écologique et numérique.

Pour Vincent Charlet, délégué général du think tank La Fabrique de l’industrie, "l’industrie doit être imaginative pour rendre ses métiers attractifs" — Photo : Studio Falour pour La Fabrique de l'industrie

Vous êtes le délégué national de la Fabrique de l’industrie. Quelle est la nature de cet organisme et quelles sont ses missions ?

Vincent Charlet : La Fabrique de l’industrie est un laboratoire d’idées créé en 2011 par l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), le Cercle de l’industrie (qui rassemble les dirigeants de grandes entreprises) et le Groupe des fédérations industrielles (GFI - qui regroupe 19 fédérations sectorielles de l’industrie, NDLR). Ils ont, depuis, été rejoints par le Groupe des industries métallurgiques (GIM) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Nous publions des études sur la réalité et les perspectives de l’industrie en France et en Europe, l’attractivité de ses métiers, les défis auxquels elle doit faire face. Nos travaux ont vocation à nourrir le débat public et sont donc tous disponibles gratuitement sur notre site web. Nous essayons de donner une vision d’ensemble en confrontant les points de vue et les analyses, les recherches scientifiques et les retours d’expériences sur le terrain.

Quels sont, selon vous, les grands défis auxquels l’industrie française est aujourd’hui confrontée ?

Vincent Charlet : La décennie qui s’ouvre est placée sous le signe d’une double transition pour l’industrie : écologique et énergétique d’une part, numérique d’autre part. En ce sens, le thème choisi cette année par le Salon de l’industrie Grand Ouest – l’industrie durable – et les quatre catégories de prix qui structurent les Nantes Industrie Awards reflètent bien ces enjeux. Par sa nature, l’industrie est confrontée au premier chef au défi écologique et doit innover en permanence pour réduire son empreinte carbone. Elle en a la capacité pour peu que le progrès technique coïncide avec l’évolution réglementaire. Nous sortons d’une période durant laquelle le marché des quotas d’émissions de CO2 en Europe a eu des effets vertueux en matière d’innovation pour faire baisser l’empreinte carbone de l’industrie sans peser sur la compétitivité des entreprises et sur l’emploi. Désormais le renchérissement des prix du carbone risque d’avoir des conséquences pour nos économies. L’urgence écologique suppose donc que les pouvoirs publics mettent en place des mécanismes d’accompagnement, notamment pour les secteurs industriels les plus intensifs en consommation d’énergie.

Vous parlez de transition numérique, quels en sont les enjeux ?

Vincent Charlet : Il s’agit globalement de ce que l’on nomme l’industrie du futur avec l’émergence du digital dans les processus de fabrication industrielle. Tout le monde est concerné par cette transition qui suppose que l’industrie investisse massivement. Or la France est plutôt en retard en la matière pour les biens de production – machines-outils, robotique, impression 3D – et n’est pas aussi en avance que ce que disent les statistiques internationales pour le big data et les logiciels, par rapport aux autres pays européens et aux États-Unis. Notre parc productif est trop petit et incapable de faire face à la demande.
L’effort d’investissement reste à faire mais investir dans les technologies ne suffit pas. Les entreprises industrielles, quelle que soit leur taille, doivent également rationaliser leurs process pour passer au lean management (gestion de la production sans gaspillage, au plus juste, NDLR) et miser sur une nouvelle culture basée sur la confiance et l’autonomie des salariés.

Le débat entre mondialisation et made in France est-il encore d’actualité ?

Vincent Charlet : Certains ont écrit trop vite me semble-t-il que la mondialisation ralentissait. Il ne faut pas confondre démondialisation avec ce que nous observons aujourd’hui qui est plutôt un affaiblissement du cadre multilatéral de régulation du commerce mondial. Ce dernier est en phase de « recontinentalisation », en raison du choix de grandes puissances comme la Chine et les États-Unis de privilégier désormais les accords bilatéraux. Pour autant la concurrence mondiale demeure et l’ancrage territorial de notre industrie est le bon moyen de résister. Toutefois, de grandes divergences existent entre les territoires en matière de performance industrielle et de création d’emplois, que l’on ne sait pas toujours expliquer. La clé est à chercher dans la capacité qu’ont les entreprises et les territoires à travailler ensemble en faisant preuve d’agilité et d’intelligence collective.

Les nouveaux défis de l’industrie vont de pair avec la difficulté des entreprises à recruter les compétences dont elles ont besoin. Comment faire pour y remédier ?

Vincent Charlet : L’emploi est effectivement au cœur des transitions écologique, énergétique et numérique des entreprises industrielles. L’industrie doit être imaginative pour rendre ses métiers attractifs, mais c’est d’autant plus difficile que nous nous trouvons sur des territoires peu denses, dominés par des secteurs d’activité traditionnels et où les populations sont peu mobiles. Il faut des organisations territoriales qui favorisent la mobilité, en encourageant par exemple le maillage entre villes moyennes et grandes agglomérations pour mieux répartir l’offre et la demande de travail. Nous devons également développer les mécanismes de formation professionnelle pour fluidifier les parcours sur le modèle des pays rhénans.

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