Alain Rousset (Région Nouvelle-Aquitaine) : « Nous allons continuer à travailler sur une économie de confiance »
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Alain Rousset président de la Région Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset (Région Nouvelle-Aquitaine) : « Nous allons continuer à travailler sur une économie de confiance »

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La Région Nouvelle-Aquitaine, collectivité en charge du développement économique, dressait dès le mois de mai un premier bilan de son plan de crise et amorçait son plan de reprise. Son président en appelait à une réindustrialisation du territoire, dans la droite ligne du plan Néo Terra, feuille de route régionale pour la transition énergétique. Depuis, Alain Rousset maintient ce cap, prônant une logique de maintien des savoir-faire et de reconquête technologique.

Pour Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine : " La stratégie de sortie de crise passe par la révision des chaînes de valeurs des entreprises". — Photo : Anne Cesbron - Le JDE

Le Journal des Entreprises : Concernant le plan de relance national, vous vous déclarez très attentif à la manière dont seront fléchés les milliards dédiés. Quelles sont vos craintes ?

Alain Rousset : Entendons-nous bien, il y a des points positifs : le gouvernement a lancé un plan massif, le chômage partiel se poursuit… Reste que ce qui nous questionne concerne la "tuyauterie". Quel sera le ruissellement des milliards d’euros du Plan sur les PME et sur les territoires ? Parle-t-on de cash ou simplement de requalification de crédits déjà engagés ? Je pense notamment au ferroviaire. Par qui ce Plan va-t-il être opéré, est-ce que ce sera par Paris uniquement, et dans quelle mesure les Régions vont-elles être associées ? C’est le débat que nous avons aujourd’hui notamment dans l’aéronautique dans le cadre des démonstrateurs du Corac (le Conseil pour la recherche aéronautique civile va bénéficier d’une aide de 1,5 milliard d’euros, NDLR) : quel est le ruissellement sur les PME sous-traitantes, et comment on restructure la chaîne des sous-traitances en la faisant monter en compétence et en compétitivité ?

"Nous devons travailler en termes d’écosystème régional, de développement de coopérations entre les filières, en nous appuyant sur des acteurs engagés et solidaires".

Selon vous, les Régions ne seraient pour l’heure pas suffisamment consultées et associées aux décisions et financements de la Relance ?

A.R : Les Régions disposent de la connaissance de milliers d’entreprises, des clusters et filières, auprès desquels elles travaillent au jour le jour. Il faut donc non seulement adresser la notion de ruissellement, mais aussi celle des enjeux de filières. Pour cela, nous devons travailler en termes d’écosystème régional, de dynamisation, de développement de coopérations entre les filières, en nous appuyant sur des acteurs engagés et solidaires. C’est ce que nous pratiquons depuis de longues années, et que nous allons continuer de faire : travailler sur une économie de confiance. Par exemple sur la filière des batteries, qui fournit de nouveaux emplois à Angoulême et à Bordeaux. Depuis plus de quatre ans, une équipe projets est dédiée à ce sujet stratégique pour la Région, cet axe de développement qui s’exprime au sein de plusieurs feuilles de route, tant en matière de chimie et matériaux, que d’aéronautique et spatial…

En séance plénière du 5 octobre, vous avez soumis au vote des élus régionaux le plan de transition et de reconquête technologique. De quoi s’agit-il ?

A.R : Dans le prolongement d’un acte I adopté le 3 juillet dernier, centré sur des mesures à court et moyen termes pour traverser la crise, cet acte II propose une approche intégrée entre les différentes dynamiques de filières régionales. Avec ce plan de 124 millions d’euros, centré sur l’emploi et l’impératif d’intégration des transitions, il s’agit de relancer l’activité en Nouvelle-Aquitaine. Ce plan a été bâti en co-construction avec l’ensemble des filières et dans le cadre de la conférence sociale que nous avons mise en place avec la préfète de Région. La méthode proposée diffère d’une filière à l’autre, selon leur maturité, leur saisonnalité, l’intensité ou le caractère structurel ou non de l’impact de la crise qu’elles subissent.

"L’Agence de développement et d’innovation de Nouvelle-Aquitaine a été chargée de ce travail, pour créer des circuits courts d’approvisionnement."

Les entreprises ont été parties prenantes de ce projet ?

A.R : Un groupe de travail de seize ingénieurs de PME et ETI de la Région a travaillé sur des sujets de diversification de nos secteurs industriels, notamment dans l’aéronautique et l’automobile. Il s’est également prononcé sur la nécessité ou l’opportunité d’une relocalisation partielle ou totale d’un maillon, d’une activité, ou de la production d’une matière première… Ont également été abordés les problèmes de commercialisation, le maintien d’une activité stratégique ou d’une entreprise critique pour un territoire ou pour une filière, la nécessité de renforcer la formation, de maintenir les compétences, de former plutôt que de licencier. Par exemple, il s’agit de nous interroger sur quel machinisme agricole doit soutenir l’agroécologie. Ou comment nous renforcer dans le secteur de l’instrumentation médicale ? L’idée est bien de garder nos savoir-faire, de les transformer si besoin. Le facteur formation est considérable dans cette diversification. L’État nous a transféré 58 millions d’euros pour renforcer nos structures de formation. La stratégie de sortie de crise passe aussi par la réflexion sur la révision, avec les entreprises, de leur chaîne de valeurs. L’Agence de développement et d’innovation de Nouvelle-Aquitaine, ADI, a été chargée de ce travail, pour créer des circuits courts d’approvisionnement à l’échelle de la grande Région, tout en étant compétitifs.

"Nous ne ferons pas de relocalisation des activités sans sauts technologiques majeurs. Croire que l’on va fermer des usines en Chine pour les ramener en France est une illusion absolue."

Des entreprises régionales ont-elles d’ores et déjà manifesté leur souhait de relocaliser certaines de leurs activités ?

A.R : Nous ne ferons pas de relocalisation des activités sans sauts technologiques majeurs. Croire que l’on va fermer des usines en Chine pour les ramener en France est une illusion absolue. L’idée, c’est de profiter de l’extraordinaire puissance de feu du monde académique pour transférer ces transitions environnementales et technologiques, je pense notamment aux bases de médicaments. À cet effet, j’ai mis en place un groupe de travail qui vise à rapprocher les entreprises qui font les bases de médicaments, et les entreprises de santé. Par exemple, il s’agit pour l’entreprise DRT, Dérivés Résiniques et Terpéniques, qui fabrique des bases de cosmétiques de voir comment biosourcer les bases de médicaments. Arkema et Solvay mènent également ce travail. C’est aussi comment biosourcer les matériaux composites, notamment dans la cadre du projet Green Carbon Valley au bassin de Lacq avec Toray, ou encore dans le Médoc avec Epsilon Composite. C’est aussi le travail que nous allons mener autour du bois…

Comment ces enjeux s’articulent-ils avec les enjeux d’un "monde d’après" plus soucieux de l’environnement ?

A.R : En ligne avec la feuille de route Néo Terra, nous prendrons en compte la sobriété des ressources, des matières, l’approvisionnement durable, l’économie circulaire, le recyclage… Par exemple, nous travaillons sur un projet de réutilisation des matériaux de déconstruction du BTP. Nous voulons aussi développer le biomimétisme, assurer une performance logistique et développer la multimodalité, privilégier les achats locaux, durables et responsables… Nous adressons aujourd’hui 25 millions de repas pour les lycées, 58 millions, à l’échelle de la Région. Dans un an ou deux, nous arriverons à 100 millions de repas… La commande publique permet par exemple de discriminer les produits transformés, qui peuvent contenir des perturbateurs endocriniens ou des produits altérant la qualité sanitaire de ces produits. Nous le faisons aujourd’hui notamment aux côtés de l’association des chefs de cuisine et des gestionnaires des lycées. C’est une expérience unique en France. Nous pouvons aussi orienter nos actions vers une économie plus sociale et solidaire.

Vous vous êtes récemment exprimé au sujet de la compétence santé et de la gestion sanitaire de la crise. Selon vous c’est à la Région d’être l’autorité référente sur ces sujets ?

A.R : Nous l’avons tous constaté, au sujet du nombre de lits, des masques, de cette gestion comptable de la santé par des tableaux Excel de comptables plutôt que par des médecins. Prenons le problème des tests ; qui peut les faire ? Pourquoi une infirmière dans une entreprise ou dans un lycée ne le pourrait pas si elle est formée à cela ? Est-ce que ça ne décongestionnerait pas les laboratoires, et pourquoi on n’utiliserait pas les établissements vétérinaires ? Le modèle d’organisation institutionnel français, centralisé, soi-disant égalitaire, est humiliant pour la compétence que l’on représente. En Allemagne, en Italie, en Europe du Nord, la compétence santé est confiée aux Landers, aux provinces. Pourquoi n’en serions-nous pas capables ?

Qu’est-ce que la Région peut concrètement faire ?

A.R : Dans un modèle centralisé, en silos, on ne parle pas à son voisin. Nous savons faire différemment : nous avons initié un système qui permet au contraire d’accélérer la recherche, la formation. C’est ce que nous avons fait autour de l’oncosphère (réseau régional de cancérologie créé en 2018, NDLR). Avant cela, les hôpitaux, les laboratoires ne se parlaient pas. Aujourd’hui, je souhaite envisager le transfert des ARS (Agences régionales de Santé), sur proposition du président du Sénat. Il s’agirait de s’inspirer du modèle démocratique européen, celui qui marche le mieux et paradoxalement celui qui coûte aussi le moins cher.

Souhaiteriez-vous également raccrocher la compétence « Éducation » à la Région ?

A.R : Je pense effectivement que les enseignements professionnels agricole et maritime devraient être transférés aux Régions. Il y a une cohérence avec la formation professionnelle (gérée par la Région, NDLR). Je rappelle là encore, que les pays, dont les régions ont la compétence d’enseignement obtiennent de meilleurs résultats en termes d’ascenseur social. Or, un pays qui n’a plus d’ascenseur social, est un pays qui explose. Et ça aboutit aux Gilets jaunes.

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