Saint-Brieuc
« Art Rock fédère avec succès le monde des entreprises »
Interview Saint-Brieuc # Événementiel

Jean-Michel Boinet directeur du festival Art Rock à Saint-Brieuc « Art Rock fédère avec succès le monde des entreprises »

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En mai 2018, Art Rock fêtera ses 35 printemps. Événement culturel majeur pour les Côtes-d'Armor, le festival pluridisciplinaire, mêlant musique, théâtre, danse et art de la rue, a su évoluer avec les époques. Forte de ses 75 000 spectateurs, la manifestation, dirigée par Jean-Michel Boinet, a notamment adapté, avec succès, son modèle économique en structurant des offres dédiées aux entreprises.

Photo : Julien Uguet / Journal des entreprises

Depuis plus de 30 ans, le festival Art Rock à Saint-Brieuc rythme la vie culturelle du département des Côtes-d’Armor. Il est devenu d’ailleurs l’un des étendards principaux au rayonnement du territoire. Comment expliquez-vous cette longévité ?

Jean-Michel Boinet : Art Rock a été créé en 1983 autour d’une originalité qui a consisté à mêler musique, théâtre, danse, spectacles de rue, expositions, etc. Notre offre culturelle inédite et notre souhait constant d’innover sont les marqueurs qui nous permettent de durer. La remise en cause est perpétuelle. Nous avons été les premiers à mixer tous les arts, à créer un festival du vidéo-clip, etc. Depuis quelques années, nous avons développé le mécénat, pas dans l’objectif d’aller chercher de l’argent, mais surtout de faire participer les entreprises à la vie du festival. J’en prends pour exemple la structure réalisée l’an dernier entre un artiste béton et des entreprises du bâtiment. Nous avons transformé un partenariat en œuvre collective. C’est un cercle vertueux qui est la clé de la réussite.

L’équipe du festival a notamment réalisé des efforts importants pour séduire le monde des entreprises ?

J.-M. B. : C’est une approche très récente dans l’histoire d’Art Rock mais qui est aujourd’hui couronnée de succès. Nous avons créé un poste à temps plein de responsable des partenariats, celui de Pascal Maujard, pour démarcher les entreprises. Il fallait chercher de nouvelles sources de financements d’autant que nos partenaires historiques, les collectivités territoriales et l’État, même convaincus de l’intérêt du festival, n’avaient pas pour vocation à augmenter leur enveloppe. Pour exemple, l’aide du Ministère de la culture n’est plus que le dixième de ce que nous recevions dans les années 2000. Pour porter le budget du festival de 1,5 M€ à 2,6 M€ en 10 ans, il a fallu innover. Cet effort est passé par la hausse des recettes propres, comme la billetterie ou les buvettes, et par un soutien sans égal des entreprises du territoire.

Un travail de pédagogie s’est alors mis en place…

J.-M. B. : Effectivement. Il a fallu expliquer la philosophie de nos offres aux chefs d’entreprise notamment celles liées au mécénat qui leur permet de déduire fiscalement une partie du don qu’ils effectuent.

« Les 108 000 euros dépensés pour faire venir Placebo en 2015 resteront le plus gros cachet de l’histoire du festival. La prise de risque a été exceptionnelle. »

Vous êtes satisfaits de l’engagement du monde économique ?

J.-M. B. : Oui car les entreprises se retrouvent à plein de niveaux. Intelligemment, nous avons noué une véritable relation de confiance avec des acteurs locaux là où, jusqu’à présent, Art Rock était davantage soutenu par des sociétés nationales. C’est toujours le cas mais nous avons amené une mixité avec entreprises des Côtes-d’Armor, que nous faisons pour certaines travailler, et qui trouvent sur le festival une visibilité, une convivialité et un endroit unique pour échanger entre elles ou avec leurs clients. L’équipe, moi le premier, a appréhendé un univers qu’elle connaissait peu ou mal. Nous accueillons en moyenne 800 acteurs du monde économique chaque soir au sein du pavillon Bellescize, le carré VIP d’Art Rock. En quelques années, nous avons noué des partenariats forts par exemple avec la fédération du bâtiment qui organise une soirée privée lors de chaque édition. De nombreux membres de la FFB 22 ont découvert le particularisme de la manifestation. On peut dire qu’Art Rock fédère aujourd’hui avec succès le monde des entreprises.

Comment construisez-vous économiquement une affiche d’Art Rock ?

J.-M. B. : Nous avons une connaissance des lieux du festival, une dizaine au total, que nous allons occuper pendant trois jours. C’est le préalable de départ d’autant qu’Art Rock s’appuie sur des sites hétérogènes en terme de jauge de spectateurs. Notre travail débute en septembre afin de négocier, pour chaque lieu, la venue d’artistes. Nous envoyons les dates aux 300 agences artistiques avec lesquelles nous travaillons depuis des années. Nous leur demandons quel artiste est disponible aux dates indiquées, les projets de création culturelle, etc.

Les cachets sont également demandés ?

J.-M. B. : Pas au premier abord même s’ils font partie de l’équilibre économique de l’affiche. Si nous sommes intéressés, nous rentrons en négociation au regard des exigences et des attentes des deux parties. S’en suit alors un long délai d’attente entre le fait que l’on dépose une proposition et la réponse. Dans cette période, mais aussi de manière générale, à nous de garder les pieds sur terre car les cachets ont tendance à poursuivre leur envolée. Il y a des artistes sur lesquels Art Rock ne pourra jamais faire d’offre car cela irait au détriment de l’ensemble du contenu artistique du festival. Ce serait prendre un risque de tout miser sur un seul groupe ou chanteur.

Quel est le plus gros cachet dépensé par Art Rock ?

J.-M. B. : Le plus gros cachet de l’histoire a été dépensé en 2015, 108 000 euros pour Placebo. Ce sera sans doute, à jamais, le plus gros investissement de toute l’histoire du festival. La prise de risque était exceptionnelle puisque notre budget artistique est en moyenne de 800 000 euros par édition. L’année précédente, on nous avait proposé Stromae pour 80 000 euros mais il nous fallait organiser une journée supplémentaire. Il aurait fallu mobiliser le personnel avec des coûts importants. Ce n’est pas notre philosophie. Art Rock a toujours réussi à faire des bons coups. Je pense à Moby qui était venu pour moins de 10 000 euros à l’époque, à Blur, à Björk, etc. Pour le 35e anniversaire, nous avons déjà des artistes qui ont manifesté leur envie de venir et avec lesquels la notion de cachet n’est pas au centre des discussions. Nombreux sont ceux d’ailleurs qui jouent le jeu dans une logique de fidélité dans les affaires.

Photo : Julien Uguet / Journal des entreprises

Vous venez de mener une étude sur la fréquentation du festival, la typologie de ses spectateurs et son impact économique. Dans quelle logique ?

J.-M. B. : L’idée était de disposer, en se basant sur deux éditions 2016 et 2017, d’un portrait plus fin du festival. Cela permet de mieux connaître le public, ses envies, ses dépenses, son âge, etc. Pleins d’éléments qui vont nous permette de faire évoluer notre fonctionnement, d’adapter notre offre culturelle ou notre modèle économique. Cette étude a été financée par Art Rock mais a été menée de manière indépendante par les agences Gece et Côtes-d’Armor Développement. Son coût a été de 8 000 euros.

Les résultats sont-ils à la hauteur de vos attentes ?

J.-M. B. : Ces résultats permettent de montrer ce qu’est Art Rock aujourd’hui, son impact sur le territoire, sur le rayonnement de Saint-Brieuc, etc. En apportant des chiffres extérieurs, nous démontrons que le soutien politique ou économique accordé vaut le coup. Le dossier Art Rock est profitable à toute la collectivité.

Quelle va être la suite donnée à cette étude ?

J.-M. B. : Nous allons continuer à digérer ces résultats, à bien mesurer de quelle manière ils peuvent impacter des décisions futures ou pas. Toutefois, j’ai pu constater que 15 % de notre public était extérieur à la Bretagne, dont 8 % viennent de Paris. Nous avons des efforts à faire en matière d’élargissement de nos politiques de communication vers la capitale, vers Nantes, etc. C’est toujours important de viser le plus haut possible. Je rappelle que 82 % des sondés estiment que nous apportons une image positive à la ville.

6 M€ de retombées économiques globales, 1,6 M€ sur le seul territoire de Saint-Brieuc Armor Agglomération, on s’attendait à un tel impact de la manifestation ?

J.-M. B. : Le festival montre qu’il a un système financier adapté avec un soutien public qui plafonne désormais à 30 % du budget. Mais cette part est importante pour la vie économique car elle sert de levier en terme de retombées économiques. Je ne m’attendais pas à un retour sur investissement aussi important. C’est une bonne chose pour nous tous, collectivement.

1,6 M€ de retombées économiques par édition sur le territoire de Saint-Brieuc Armor Agglomération.

Comment va se dérouler la 35e édition ?

J.-M. B. : Nous n’allons rien révolutionner mais capitaliser sur nos fondamentaux qui ont construit la réussite du festival. On ne peut pas faire des folies car notre équilibre économique, avec une rentabilité de l’ordre de 3 %, reste fragile même si notre santé est bonne depuis plusieurs années. Artistiquement, 2018 sera une édition anniversaire comme une autre. Le mythique groupe Marquis de Sade est le premier groupe à rejoindre l’affiche. Notre volonté de retracer l’histoire s’effectuera par la publication d’un livre.

Et l’avenir du festival, comment le voyez-vous ?

J.-M. B. : La création de Wild Rose, association qui porte Art Rock, date de 1978. Pour faire perdurer la dynamique, nous faisons rentrer au conseil d’administration des profils plus jeunes qui viennent en soutien, comme les membres historiques, d’une équipe de direction relativement jeune aussi. La question de faire entrer des patrons locaux ne s’est jamais posée mais pourquoi pas ? Il faut toutefois bien mesurer l’investissement que ça demande aux administrateurs tout au long de l’année et pendant les trois jours du festival.

Johnny Hallyday, qui nous a quittés en décembre 2017, était-il un artiste Art Rock compatible ?

J.-M. B. : Je ne pense pas et pas uniquement pour une question de cachet. Il ne nous a jamais été proposé. Quand cela aurait pu être le cas, au début des années 90, il était davantage classé comme un artiste de variété. Toutefois, je reste un fan du chanteur et de l'homme de scène. Je l’ai vu la première fois sur scène quand j’avais 15 ans. J’étais resté scotché.

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