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Yannis Morel (Innate Pharma) : "L’année 2023 s’annonce comme une année charnière"
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Yannis Morel vice-président Exécutif chez Innate Pharma "L’année 2023 s’annonce comme une année charnière"

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Fondée en 1999 et spécialisée en immuno-oncologie, la biotech marseillaise Innate Pharma a récemment étendu son partenariat avec Sanofi et conquis un nouveau partenaire au Japon. Ces accords sont stratégiques pour l’entreprise, qui veut révolutionner la prise en charge de certains cancers et prévoit de franchir un cap important cette année.

Yannis Morel, vice-président exécutif, stratégie produits & business développement et membre du directoire d’Innate Pharma — Photo : Yohan Justet

Quelques jours avant la fin de l’année 2022, Innate Pharma annonçait l’extension de sa collaboration avec le laboratoire Sanofi. Que prévoit cet accord ?

Notre biotech, créée en 1999 à Marseille, a accordé à Sanofi une licence exclusive pour un programme d’anticorps multispécifiques issu de notre plateforme ANKET en oncologie contre une nouvelle cible (B7-H3). Sanofi a aussi fait l’acquisition d’une option jusqu’à deux cibles additionnelles de la plateforme. Notre plateforme, fondée sur l’immunothérapie, permet de concevoir des anticorps multispécifiques engageant des cellules tueuses de notre système immunitaire inné, les cellules NK (Natural Killer).

À travers cet accord avec Sanofi, nous pourrons recevoir jusqu’à 1,35 milliard d’euros, sous la forme de paiement d’étapes, ainsi que des redevances sur des potentielles ventes futures. Nous avons reçu 25 millions d’euros au titre du paiement initial, ce qui nous permet d’investir dans notre portefeuille, de démultiplier nos capacités de développement, et ainsi augmenter nos probabilités de succès.

Un accord de licence exclusive, plus récent, a été signé avec Takeda, le géant pharmaceutique japonais, pour un paiement initial de 5 millions de dollars et jusqu’à 410 millions de dollars de paiement d’étape, pour un programme de recherche dans la maladie cœliaque. Cet accord élargit l’application de la science d’Innate au-delà de notre focus en oncologie et illustre comment notre expertise en ingénierie et notre plateforme d’anticorps peuvent contribuer à de nouvelles approches innovantes pour le traitement de maladies graves.

Vous travaillez aussi avec un autre laboratoire d’envergure mondiale, AstraZeneca. Quel est l’enjeu de ces partenariats pour une biotech ?

La constitution de partenariats et de collaborations avec les laboratoires académiques, les centres cliniques et les industriels leaders, est au centre de notre stratégie.

L’industrie du médicament est l’un des secteurs économiques dont l’effort de recherche est le plus important. Avant d’espérer sa mise sur le marché, un médicament doit franchir plusieurs étapes : le développement préclinique, puis les essais cliniques, généralement effectués en trois phases. Plus on avance, plus la probabilité d’y arriver augmente. Chez Innate Pharma, nous nous positionnons au début et au milieu de cette chaîne de valeur, nous identifions des molécules cibles, nous générons des candidats médicaments et nous réalisons les phases 1 et 2 des essais cliniques, des phases que nous avons les moyens de financer. En revanche, nous ne sommes pas armés pour la phase 3.

Nous travaillons donc avec de grands laboratoires pharmaceutiques, qui disposent de ressources complémentaires aux nôtres, telles qu’une importante capacité clinique pour soutenir de vastes programmes de développement ainsi que des capacités de fabrication et de commercialisation à grande échelle. Ces alliances sont à l’image de celle qui existe entre BioNTech et Pfizer et qui a permis le lancement du vaccin à ARN Messager (contre le Covid). Une alliance qui a montré qu’à deux, on est plus forts : leur mariage a permis de réaliser en un an et demi ce qui est réalisé d’habitude sur une période bien plus longue.

Quelles sont les autres sources de financement d’Innate Pharma ?

Le crédit impôt recherche, qui est vital pour nous. Les marchés boursiers avec un total de 260 millions d’euros levés depuis notre introduction sur Euronext Paris en 2006. Enfin, le partenariat, qui présente plusieurs avantages : il permet de développer un portefeuille de produits et donc de diluer le risque, il apporte aussi du financement non dilutif et démultiplie nos capacités de développement.

Au 31 décembre 2022, notre position de trésorerie est de 136,6 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 25 millions d’euros reçus de Sanofi dans le cadre de l’expansion de notre collaboration signée en décembre 2022 et les 5 millions de dollars reçus de Takeda au titre de l’accord de mars 2023, ce qui devrait permettre un financement suffisant jusqu’au milieu de l’année 2025.

Innate Pharma emploie 200 collaborateurs, dont 20 % sont titulaires d’un doctorat — Photo : Yohan Justet

Quelle est l’ambition d’Innate Pharma ?

Chez Innate Pharma, les quelque 200 salariés et chercheurs de l’entreprise relèvent des paris avec en ligne de mire, la possibilité de trouver un médicament qui révolutionnerait la prise en charge de certains cancers.

Nos travaux de R & D utilisent la production de molécules issues du vivant et en particulier les anticorps monoclonaux, des anticorps fabriqués spécifiquement pour traiter une maladie. Cette base technologique a fait l’histoire du centre d’immunologie de Marseille depuis plus de 40 ans et nous nous inscrivons en quelque sorte dans cette histoire, avec une particularité : nous faisons de l’immunothérapie pour stimuler le système immunitaire contre le cancer, nous nous intéressons aux cellules NK, cellules de l’immunité innée. L’immunothérapie a été exploitée par de nombreux laboratoires et fonctionne chez 20 à 30 % des patients avec des bénéfices durables. Tout l’enjeu, pour nous, est d’augmenter le bénéfice pour les patients.

À partir de quelle date pouvez-vous espérer voir un premier médicament issu de vos recherches sur le marché ?

L’année 2023 s’annonce comme une année charnière. Nous attendons pour la fin d’année les résultats finaux de notre produit de niche, lacutamab, évalué dans l’étude de phase 2 TELLOMAK, et nous saurons si nous cochons toutes les cases pour poursuivre les démarches visant son enregistrement accéléré, d’abord auprès de la Food and Drug Administration aux États-Unis, puis au niveau européen.

Nos partenariats industriels devraient aussi franchir de nouvelles étapes. Depuis l’accord de co-développement et de commercialisation signé en 2015 avec AstraZeneca, nous avons réussi à amener un produit (Monalizumab) vers une nouvelle étude de Phase 3 dans le cancer du poumon. L’accord a déjà généré 450 millions de dollars de financement non dilutif et il prévoit des paiements pouvant atteindre 1,275 milliard de dollars en fonction de l’atteinte de diverses étapes de développement clinique et réglementaire.

Nous avons ainsi deux produits anticorps monoclonaux qui ont une chance raisonnable d’atteindre le marché dans les prochaines années.

Vous développez un produit en propre, lacutamab, évalué dans l’étude de phase 2 TELLOMAK, pourquoi cette entorse à votre stratégie ?

Nos partenariats industriels reposent sur des candidats potentiellement "first-in-class" aux stades clinique et préclinique dans des cancers où le besoin médical est important.

Notre produit, développé en propre, est destiné à des indications de niche (Syndrome de Sézary : moins de 1 000 patients dans le monde par an), ouvrant la possibilité de réaliser des essais cliniques d’enregistrement auprès d’un nombre réduit de patients, un nombre à notre portée.

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