Union TLF : « 50 000 emplois dans la logistique sont menacés »
Interview # Transport # Conjoncture

Eric Hémar président de l’Union TLF Union TLF : « 50 000 emplois dans la logistique sont menacés »

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Bilan de la crise, défaillance des entreprises, plan de relance, relocalisation de l'industrie, Eric Hémar, président de l'Union TLF et dirigeant de la société ID Logistics, fait le point sur les principales interrogations du secteur du transport et de la logistique après la crise sanitaire.

— Photo : NBC

Quel est le bilan, à ce stade de la crise sanitaire, pour les entreprises de transport et de logistique ? Le plus dur est-il passé ou la profession va-t-elle payer au prix fort l’entrée en récession ?

Notre profession a été sévèrement touchée par la crise. Au pic de la pandémie, plus de 50 % de la flotte de camions français était à l’arrêt, les sites logistiques ne tournaient que pour environ la moitié d’entre eux… Les mesures de congés maladie et de chômage partiel ont permis aux trésoreries de passer cette période sans trop souffrir. Mais, le plus dur est à venir. Notre vive inquiétude de la rentrée est le décalage entre l’offre et la demande dans les prochains mois. Nous craignons de nous trouver dans un réel déséquilibre qui conduira à une guerre des prix mortifère. Notre enjeu est d’arriver à maintenir un certain équilibre entre l’offre et la demande de transport le temps nécessaire (maintien du chômage partiel, mise à l’arrêt d’une partie de la flotte, etc.). Si les hypothèses de baisse du PIB se confirment (-11 %), cela signifie dans notre secteur une réduction des effectifs de près de 50 000 collaborateurs.

Vos adhérents ont fait appel au prêt garanti par l'Etat, y a-t-il des défaillances d’entreprises ?

Un certain nombre d’adhérents ont fait appel au PGE. Cependant, les pouvoirs publics ont considéré qu’il fallait d’abord soutenir les grands donneurs d’ordres et que ce soutien se répercuterait vers leurs différents sous-traitants. À ce jour, il n’y a pas encore à ma connaissance de grosse défaillance d’entreprise de transport et logistique mais notre dernière enquête auprès des adhérents de l’Union TLF montre une forte tension sur les délais de paiement.

L’Association France Logistique, dont vous êtes à l’initiative, vient d’élaborer un plan de reprise. Quel en sont les grands axes ?

France logistique, sous la présidence d’Anne-Marie Idrac, à vocation à réunir les grands acteurs opérationnels de la logistique en France (prestataires, chargeurs, opérateurs, propriétaires immobiliers…). Il s’agit de définir ensemble les moyens pour améliorer la chaîne logistique française (au 16e rang dans les classements internationaux) et de rationaliser la discussion et les projets avec les pouvoirs publics. Nous avons vécu trop longtemps en France en mode parcellisé où chaque représentant d’un bout de la chaîne logistique défendait ses intérêts propres. Nous devons aussi être capables d’avoir des positions communes sur les grands sujets stratégiques, comme le font nos amis allemands ou hollandais.

La crise sanitaire mondiale a eu pour effet de remettre en cause la mondialisation de l’économie, les délocalisations en Asie. Le mouvement est-il désormais enclenché ou le monde d’après sera-t-il finalement comme avant ?

J’en doute fort. La crise a surtout montré que les pays compétitifs et peu endettés allaient être beaucoup moins touchés que les autres. Ils vont donc gagner des parts de marché et sortir plus rapidement de la récession qui s’annonce. Il y aura sans doute un repositionnement des grands donneurs d’ordres en Asie ou en Europe, pour réduire le risque du « tout Chine ». Mais ce repositionnement profitera d’abord aux économies compétitives et flexibles.

Si, effectivement, des relocalisations se profilent, comment les logisticiens se positionnent-ils ?

Une relocalisation éventuelle ne peut être qu’une bonne opération pour les logisticiens terrestres. C’est sans doute une moins bonne nouvelle pour les logisticiens aériens ou maritimes. Mais je ne crois pas du tout à des changements majeurs sur ces sujets dans les années qui viennent, car la nécessité de produire à bas coût va être plus forte que jamais. Il y aura sans doute une forme de réallocation au détriment de la Chine en faveur de ses pays voisins.

S’agissant des volumes et des filières comment la situation évolue-t-elle après avoir été très contrastée durant le confinement ?

Effectivement la situation est très contrastée, l’alimentaire continue d’être sur une courbe positive, hormis la restauration hors foyer. On constate cependant de nombreuses ruptures dans l’approvisionnement de la part des industriels. Dans le non-alimentaire (bricolage, ameublement, textile…), qui a été presque complètement à l’arrêt, on assiste actuellement à une forte montée des volumes, sans doute sous l’effet d’un rattrapage. Dans l’industriel hors alimentaire, la situation est très difficile dans le monde automobile et aérien et une grande partie des sites sont encore à l’arrêt.

Croyez-vous que de nouvelles opportunités et/ou méthodes de travail verront le jour ? Va-t-on vers davantage de services aux consommateurs, vers un nouvel élan en faveur de la logistique urbaine décarbonée ?

À part un peu plus de télétravail et une économie dans les frais généraux, les entreprises vont reprendre comme avant rapidement. Et la crise économique va prioriser elle-même les différents sujets, notamment celui du pouvoir d’achat qui va devenir la question prioritaire pour beaucoup. Si le transport décarboné arrive à trouver sa compétitivité, alors la dynamique pourra s’accélérer, sinon, la vraie vie reprendra rapidement ses droits…

Bruno Lemaire devrait annoncer un plan de relance de l’économie à l’automne. Un plan vert. Selon vous, le transport fluvial et le ferroviaire bénéficieront-ils de cet élan ?

Si les prix du transport routier (qui représente plus de 80 % des volumes transportés) évoluent significativement à la baisse, ce qui est une hypothèse probable en l’état, alors le fluvial et le ferroviaire, qui ont une grosse part de coûts fixes, n’ont aucune chance de se positionner pour augmenter leur part de marché.

Si, par contre, l’offre et la demande de transport routier s’équilibrent et les prix se maintiennent, alors le fluvial comme le ferroviaire notamment le transport combiné peuvent retrouver des perspectives. N’oublions pas que 50 % des flux qui quittent Rotterdam vers l’hinterland européen le sont par les rails ou le fleuve. Mais cela suppose aussi, en particulier pour le mode ferroviaire, des réformes structurelles, notamment pour maintenir la continuité du service. Les chargeurs n’ont pas oublié les deux mois de grèves de la fin 2019 et début 2020.

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