Quand les entreprises naissent sur les bancs de l’école
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Quand les entreprises naissent sur les bancs de l’école

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Avant même leur diplôme, certains étudiants ont un numéro Siret. Pour ces étudiants-entrepreneurs qui bénéficient d’un statut spécifique, il ne s’agit pas de jouer au chef d’entreprise mais d’en devenir un. Moins nombreux que dans d’autres régions en région Sud, ils sont néanmoins de plus en plus à se lancer. Les dispositifs pour les accompagner aussi.

Les lauréats 2022 du prix Pépites Paca Est — Photo : UCA

Début octobre, à Nice, la Cité Rêveuse recevait le prix Pépite Paca Est (Alpes-Maritimes et Var). Ses trois auteurs, issus de l’école de design durable Besign à Cagnes-sur-Mer, œuvrent pour "mieux vivre ensemble" l’espace urbain. Trois jours plus tôt à l’université Aix-Marseille, Aquapouss et son aquarium-potager étaient désignés vainqueurs du prix Pépite Provence. Chacun s’est vu remettre 10 000 euros du ministère de l’Enseignement Supérieur et 2 000 euros de Bpifrance.
Depuis 2014, ces prix valorisent la création d’entreprise innovante par les étudiants et jeunes diplômés.
Il existe en France, 33 Pépite, ces Pôles Étudiants pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat, qui aident ceux qui le voudraient à se jeter dans le grand bain. Même si ce n’est encore que dans le petit bassin. Les Pépite gèrent le statut national d’étudiant-entrepreneur (SNEE) qui permet jusqu’à 28 ans, que l’on suive un cursus d’ingénieur, psychologie, sciences ou commerce, de prolonger ses droits (sécurité sociale, bourse…) et surtout de pouvoir obtenir des dérogations horaires ou de remplacer son stage obligatoire par sa démarche entrepreneuriale.
C’est ce qu’ont fait les fondateurs de Triloop, marque écoresponsable qui habille les triathlètes à l’entraînement, lauréat du prix Pépite Paca-Est 2021. Sandra Huon et Valentin Garcin se sont rencontrés sur les bancs de l’école d’ingénieurs SeaTech, à Toulon. "La structure Pépite nous a donné la confiance nécessaire pour nous lancer lors de notre troisième et dernière année d’école. Nous avons pu tester notre marché les six premiers mois et rencontrer des mentors, des structures d’accompagnement. Le projet plaisait, nous avons alors décidé de substituer le stage de fin d’étude par la création de notre entreprise et la préparation de la campagne de précommandes." Depuis, Triloop compte cinq collaborateurs, est accompagné par Réseau Entreprendre Var et a vu ses vêtements entrer dans les magasins Decathlon.

42 % veulent se lancer

Chaque année, Pépite Paca Est accompagne 160 étudiants entrepreneurs en moyenne dans les Alpes-Maritimes et le Var, et en prévoit 200 pour l’année 2022-2023. 50 % des projets aboutissent à une création d’entreprise dans l’année ou dans les 6 à 8 mois suivant.
Pourquoi cette tendance à la hausse ? "La labélisation IDEX d’Université Côte d’Azur en 2016 a donné un élan", analyse Rani Dang, vice-présidente Entrepreneuriat Étudiant à Université Côte d’Azur et directrice Pépite Paca Est. En obtenant ce tampon "Initiative d’Excellence" par un jury international, UCA a reçu 58 millions d’euros pour la recherche, la formation et l’innovation sur son territoire. Mais aussi pour l’entrepreneuriat et la mise en place de partenariats avec les entreprises. "L’ancrage dans son écosystème est un des axes forts. Jusqu’alors, l’université travaillait un peu dans sa tour d’ivoire. Le territoire n’avait pas d’interlocuteur." Désormais, celui-ci peut compter sur le Centre Entrepreneuriat ICE (Innovation Centre for Entrepreneurship) créé à Nice il y a deux ans et qui regroupe tous les dispositifs existants à l’université et dans l’écosystème pour sensibiliser, former et accompagner les étudiants. Cinq personnes y travaillent sous la direction de Rani Dang. "Nous sommes la seule université en France à proposer un tel dispositif", assure celle qui est aussi maître de conférences en Management et chercheur au CNRS.

Au-delà d’initiatives locales ou de la volonté du ministère de l’Enseignement supérieur (qui a lancé en 2019 le plan "L’esprit d’entreprendre"), le désir de franchir le pas est réel chez les jeunes. Selon un sondage Opinionway pour Moovjee et le CIC, en 2021, 42 % des lycéens et étudiants, toutes filières confondues, envisagent un jour de créer ou reprendre une entreprise, dont 23 % envisagent "pendant leurs études ou juste après", notamment pour "prendre en main" leur avenir. "Il y a pas mal d’exemples autour de nous qui démontrent qu’on peut faire autre chose que distribuer des CV et attendre une première fiche de paie", confirme Jean-François Carrasco, directeur des projets IoT de Jaguar Network (groupe Iliad), chargé de cours à l’Université Côte d’Azur et coprésident de Telecom Valley, animateur phare de l’écosystème numérique azuréen depuis plus de trente ans. "Ce statut est une petite merveille, unique en Europe. Le matin, vous êtes en cours, vous dites oui, et le soir vous émettez des factures, vous créez de la richesse, de la valeur. L’idée n’est pas de créer une start-up nation étudiante mais certains y goûtent, mettent un pied dans cette démarche et cela crée une contamination positive."

Faire des émules

Les success stories ont en effet valeur d’exemple. Prix Pépite Provence 2017, la marseillaise Tchek a levé cinq millions d’euros en moins de deux ans pour ses solutions d’inspection automatisée de véhicules. À Sophia Antipolis, Mycophyto (25 salariés), qui met ses champignons mycorhiziens au service de l’agriculture, est la seule représentante de la Région Sud à avoir intégré cet été le programme French Tech Agri20. Sa cofondatrice Justine Lipuma avait remporté le prix Pépite Paca Est en 2016, aux côtés d’Osol, start-up cannoise dont la solution d’énergie nomade équipe de grands groupes tels Danone, Orange ou Sanofi. Sans parler d’Ornikar, prix Pépite Provence 2014 dont le fondateur, Benjamin Gaignault, suivait ses études à Euromed Marseille (devenue Kedge Business school) quand il a lancé son auto-école en ligne. Etablie aujourd’hui à Paris, l’entreprise a levé 100 millions d’euros l’an dernier.

Le tremplin existe donc vraiment, car au-delà d’un prix remis une fois par an, c’est toute une formation, comme un parcours initiatique, qui est proposée pour devenir entrepreneur. Avec son bac +10, Teresa Colombi, de son propre aveu, n’y connaissait rien en la matière. Sa spécialité était la psychologie cognitive. En 2004, elle se présente au Challenge Jeunes Pousses organisé par Telecom Valley à Sophia Antipolis. "Je m’étais toujours dit que monter une structure avait du sens mais j’en avais une vision très naïve, explique la dirigeante et fondatrice de LudoTic (20 salariés, CA : 2 M€) à Sophia Antipolis. Et moi, après deux DEA et un doctorat, j’étais un rat de laboratoire. J’ai eu du mal à me mettre au niveau, j’étais trop scientifique." S’il se déroule désormais sur un semestre, le Challenge s’étalait alors sur toute une année au cours de laquelle les candidats sont coachés, remis en question, formés, le tout en plus de leur cursus. "C’est une aventure pertinente. On apprend à transformer une idée intéressante en business, à identifier les clients, à savoir comment les toucher, quels moyens investir." "Aujourd’hui encore je casse les pieds aux candidats en insistant sur la faisabilité de leur projet, sur le concret", appuie Jean-François Carrasco, membre du jury qui avait désigné Teresa Colombi gagnante en 2004. Cette même année, celle-ci créait son entreprise en octobre (en utilisant les 4 000 euros remportés au concours) et passait son doctorat en décembre. Aujourd’hui, LudoTic est l’un des leaders en France de l’ergonomie et de l’UX (expérience utilisateur), et compte parmi ses clients Thales Amadeus, le gouvernement de Monaco ou l’Urssaf dans le cadre de son programme national de rénovation des interfaces métiers.

Apprendre à se tromper

Évidemment, tous ceux qui en rêvent ne deviendront pas chefs d’entreprise, mais peu importe, au fond. Pour Teresa Colombi, il n’y a rien à perdre. "Il faut être fait pour cela, tout le monde n’a pas le feu sacré. Mais il faut tenter. À 25 ans, on peut se permettre de se tromper et même si on se plante, on aura appris sur nous-même et sur le business, assure-t-elle. Au cours du Challenge, les mentors et coachs insistaient sur le pacte d’associés, sur la nécessité de se projeter à cinq ans… Dans mon trio, on a pris ça à la légère, on se disait qu’on était copines, on s’en fichait, mais quand il y a du business, il y a de l’argent et cela complique les choses. Et puis, on n’avait plus forcément les mêmes objectifs et on a fini par se séparer. Nous aurions pu mieux nous y préparer, nous avons péché par orgueil. C’est la grande leçon de ce parcours pour moi : le business peut s’apprendre mais concernant l’humain, le relationnel, la confiance, il faut que tout soit clair et écrit."

Pour poursuivre leur chemin en douceur, et parce que le statut d’étudiant-entrepreneur le permet, certains intègrent des incubateurs ou autres structures d’accompagnement. Les Entrep’Var dispensent ainsi une formation de terrain à 80 étudiants post-bac ou jeunes diplômés chaque année, dont Triloop a bénéficié. Créée en 2012 avec Réseau Entreprendre Var, Université de Toulon et TVT Innovation, l’association propose un programme d’entraînement à l’entrepreneuriat sur six mois, basé sur la mise en situation pratique en mode projet. "Si l’expérience ne débouche pas systématiquement sur la création d’une entreprise, il s’agit néanmoins d’un jeu sérieux, explique Aurélien Gueury, son président, par ailleurs expert-comptable et commissaire aux comptes associé du cabinet FGC. Les projets sont généralement plus aboutis, car les premières erreurs ont déjà été faites pendant la phase d’accompagnement."

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