Bouches-du-Rhône
Philippe Véran (Biotech Dental) : « Au travers d'un fonds, les entreprises pourraient financer les hôpitaux »
Interview Bouches-du-Rhône # International

Philippe Véran président de Biotech Dental Philippe Véran (Biotech Dental) : « Au travers d'un fonds, les entreprises pourraient financer les hôpitaux »

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Philippe Véran, président du fabricant d'implants et matériel dentaire Biotech Dental, dans les Bouches-du-Rhône, a lancé durant le confinement l’idée d’un fonds afin d’accompagner le financement des hôpitaux. Il revient sur cette crise et sur les modifications qu’elle a engendrés dans notre façon de travailler.

— Photo : D.R.

Vous dirigez la société Biotech Dental (CA : 79 M€), basée à Salon-de-Provence et spécialisée dans la fabrication d’implants dentaires, qui compte 650 salariés, dont 150 à l’étranger. Comment s’est déroulée cette période et où en êtes-vous aujourd’hui ?

Philippe Véran : Nos deux usines n’ont plus eu de commandes et se sont arrêtées. Tout notre personnel, hormis quelques services, a été mis au chômage technique pendant la période. Notre site de la vallée de l’Arve a tourné à 20 % de sa capacité. Depuis le 11 mai, date du déconfinement, nos clients, les cabinets dentaires, ont repris leur activité (avec une activité largement réduite du fait des protocoles sanitaires) et environ 30 % de nos équipes ont ainsi repris une activité présentielle, le reste étant en télétravail. Les commerciaux ne sont rentrés que courant juin. Cet étalement de la reprise de l’activité sur site, nous a permis de mettre en place et de faire respecter les gestes barrière et l’ensemble des protocoles sanitaires. À l’étranger, dans nos filiales en Italie, en Espagne et au Portugal, l’activité a également repris.
Il y a nécessairement un avant et un après coronavirus. La pandémie a remis en question beaucoup de choses. Elle a notamment fait prendre conscience de l’importance des enjeux environnementaux. Par ailleurs, elle nous a ouvert les yeux sur les problèmes de financement des hôpitaux…

À ce sujet, vous avez durant le confinement écrit à Emmanuel Macron pour lui proposer votre idée d’un fonds afin de financer le système de santé…

Philippe Véran : Maintenant que nous sommes revenus à une activité quasi normale, plutôt que de refaire tout ce que nous faisions avant à l’identique, il serait bien de prendre de grandes décisions pour le futur, plutôt que de simplement se contenter d’éteindre les incendies. À Biotech Dental, nous avons aussi contribué, comme beaucoup de confrères dans le monde, à fabriquer des masques à visière pour les professionnels de santé. Nous avons été très contents de rendre service mais c’est un peu comme essayer d’éteindre de terribles incendies de forêt avec un simple tuyau d’arrosage. Pour que tout cela n’arrive plus, il faudrait mettre à contribution les entreprises françaises et les actionnaires, en créant un fonds public, qui serait abondé par les entreprises qui le souhaitent, entre 0 et 10 % de leur bénéfice net après impôt. L’idée est de les faire contribuer comme elles le pourront, en fonction des années bonnes ou mauvaises. Elles ne seraient obligées à rien. C’est une prise de conscience individuelle et collective qui éviterait de reparler sans doute de l’ISF. Il ne s’agit pas de créer une taxe. Les entreprises pourraient ensuite communiquer sur leur participation. Aujourd’hui, il nous faut apporter des moyens à notre appareil. Ce serait un fond sur lequel on pourrait allouer une dizaine de milliards d’euros par an aux hôpitaux. Je suis élu depuis six ans à Salon-de-Provence et ça fait dix ans que l’on parle de construire un hôpital. C’est un investissement qui coûterait près de 100 millions d’euros. Nous n’avançons pas sur ce dossier. Avec ce fonds, nous pourrions disposer d’un bras armé doté de cash donné par les entreprises. C’est très facile à faire, mais cela dépend de la volonté politique et c’est le moment de pousser dans ce sens. Il y a un courant porteur. Il ne faut pas attendre. Dans mon idée ce fonds serait principalement consacré à la construction, à la rénovation, à l’équipement d’hôpitaux et en aucun cas à la gestion des personnels ou des sites. Il manque des scanners, des respirateurs, on aurait l’argent pour les avoir.

En termes de gestion du fonds, vous préconisez une cogestion public/privé ?

Philippe Véran : Nous sommes aujourd’hui dans une société de surconsommation et nous en sommes tous responsables. Nous sommes responsables de notre écosystème. Il faut donc pouvoir changer les règles du jeu. Ce fonds doit se différencier des fonds habituels de gestion publique. Il faut qu’il soit géré par l’État, ça, c’est clair, mais qu’il y ait quelques administrateurs privés. Et surtout, que la logique de fonctionnement ne soit pas celle du code des marchés publics. Si on doit faire construire des hôpitaux l’an prochain, il faut pouvoir faire des devis auprès d’entreprises françaises, plutôt locales. Si on utilise un peu les codes du privé pour gérer devis et factures, il sera possible de réduire les délais et les coûts d’au moins 30 %. Ce fonds devrait être un peu à mi-chemin entre un fonctionnement purement étatique et un fonctionnement privé. Nous verrons si cette idée verra le jour…

Comment voyez-vous la reprise et la crise économique annoncée après cette crise sanitaire ?

Philippe Véran : Pour moi, cette crise n’a rien à voir, par exemple, avec celle de 2008. Il ne s’agit pas d’une crise financière, mais d’une crise sanitaire. En théorie, maintenant que le virus ne circule presque plus, plus rien n’empêche l’activité économique de reprendre. Il va y avoir des contraintes, des changements de comportement, mais il ne faut surtout pas polluer la reprise par un climat anxiogène. Tout le monde est responsable. Les gens ont été mis dans un cocon durant le confinement, mais maintenant il faut secouer cette inertie. Il y a une sorte de « confort » d’inactivité qui n’est pas propice à un épanouissement. Le travail a une valeur importante dans la vie. Il faut retrouver cette logique et retrouver une dynamique positive. Avec les dispositifs mis en place par l’État, le risque économique n’était pas grand durant le confinement. Le danger est maintenant si l’activité ne reprend pas, alors que nous allons nous retrouver à 100 % de charges. La demande va changer, forcément, mais les chefs d’entreprise savent s’adapter. Le pire serait d’avoir une crise de la demande à cause de la sinistrose…

Que restera-t-il de cet épisode coronavirus ?

Philippe Véran : Nous allons moins nous déplacer. Je prenais l’avion trois ou quatre fois par semaine pour me rendre dans nos filiales. Nous avons fait l’expérience des réunions à distance et des visioconférences et nous avons vu que les problèmes pouvaient être résolus à distance. L’Europe doit par ailleurs apprendre à s’auto-suffire. Enfin, la généralisation du télétravail a ouvert de nouvelles opportunités. Notamment pour de petites villes comme Salon-de-Provence, proche de grandes métropoles comme Marseille ou Aix-en-Provence. Je veux en faire ma thématique pour mon engagement public. Nous pourrions faire de Salon une ville digitale ouverte et propice au télétravail en aménageant les accès au réseau et en fournissant des espaces de coworking. Le télétravail, ce n’est pas juste être chez soi. Il y a d’autres façons de l’envisager afin de le rendre plus efficace. Dans tous les cas, les entreprises doivent être agiles et proposer de nouvelles offres afin d’inciter leurs clients à consommer.

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