Alpes-Maritimes
Patrick Moulard (Fédération du BTP 06) : "Des entreprises du BTP travaillent aujourd’hui à perte"
Interview Alpes-Maritimes # BTP # Conjoncture

Patrick Moulard président de la Fédération du BTP 06 "Des entreprises du BTP travaillent aujourd’hui à perte"

S'abonner

Le bâtiment et les travaux publics rassemblent 5 000 entreprises et 25 000 salariés dans les Alpes-Maritimes. Si le secteur a su se montrer résilient face au Covid sans se mettre véritablement à l’arrêt, le voilà violemment touché par une pénurie de matières premières liée à la guerre en Ukraine, notamment de l’acier, à laquelle s’ajoute la hausse des prix de l’énergie. Président de la Fédération du BTP 06, Patrick Moulard se dit inquiet.

Patrick Moulard est président de la Fédération du BTP 06 — Photo : Olivia Oreggia

Quelle est la situation pour les acteurs du BTP à ce jour ? Y a-t-il des risques d’arrêts de chantier ?

C’est en effet ce qui risque d’arriver à très court terme, dans les six à huit semaines. Cela m’a été dit par certaines entreprises. Si elles n’ont plus la matière première, elles seront bien obligées d’arrêter, notamment dans le neuf. Ce qui manque, c’est surtout du treillis soudé, ce qui permet de construire les dalles et les murs, c’est l’élément cadré d’acier qui constitue l’ouvrage de béton armé.

La pénurie et la hausse des prix touchent-elles particulièrement l’acier ?

Oui, aujourd’hui c’est l’acier qui bloque. Mais une fois que le chantier est arrêté, tous les corps de métier sont à l’arrêt. Et même si elles avaient la volonté de payer à ces prix, beaucoup d’entreprises ont du mal à sourcer les matériaux.

"Dans les Alpes-Maritimes, les bâtiments ont 25 % de plus d'acier qu'ailleurs."

La situation est-elle la même dans les Alpes-Maritimes que dans le reste de la France ?

Nous sommes une zone parasismique. Les bâtiments de notre département sont donc constitués de 25 % de plus d’acier qu’ailleurs. On paye donc aussi cette contrainte technique qui devient financière.

Les clients sont-ils compréhensifs face à ces contraintes ?

Il y a trois types de clientèle dans le privé, parmi les promoteurs : ceux qui nous demandent de commander, de stocker, qui font l’avance pour être coûte que coûte approvisionnés en acier pour finir leurs opérations ; ceux qui ne veulent rien savoir, parmi lesquels se trouvent de gros acteurs du secteur, parce qu’ils ont signé un contrat et qui considèrent que ce n’est pas leur problème ; et ceux qui essaient d’accompagner et font des efforts, ce sont heureusement les plus nombreux. Mais dans le paradigme de nos promoteurs, il n’est pas question de changer. Or, on ne peut plus garder un prix fixe sur toute la période du chantier. Certaines entreprises travaillent à perte !

Comment la situation peut-elle évoluer ?

Nous sommes très inquiets. Heureusement, les travaux publics ou la rénovation continuent de fonctionner, même s’il faut faire face à la hausse du gasoil. Mais dans le neuf, le problème est là. 146 % d’augmentation pour l’acier en un an, 50 % en six mois pour le cuivre, c’est ingérable ! Il y a eu des hausses de prix tous les mois en 2021, les entreprises avaient déjà pris sur elles pendant le Covid, elles traitent des marchés de longue haleine, elles avaient fait le dos rond. Les tarifs ont été revus à la hausse pour 2022 mais avec la guerre en Ukraine, ce n’est plus possible.

Vous parlez de la théorie de l’imprévision, de quoi s’agit-il ?

L’imprévision figure dans l’article 1195 du Code Civil. Il permet aux entreprises ne pouvant plus faire face à un changement de circonstances imprévisibles de demander la renégociation du contrat. L’imprévision est un élément qui pourra peut-être sauver l’acteur économique qui ne pourra plus travailler, face à un client qui ne voudra rien entendre. La pandémie ou la guerre n’étaient pas prévisibles.

Alpes-Maritimes # BTP # Industrie # Immobilier # Conjoncture