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Les Alpes du Sud cherchent de nouvelles pistes
Enquête Région Sud # Tourisme

Les Alpes du Sud cherchent de nouvelles pistes

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La montagne est devenue un des symboles du réchauffement climatique en France. Les Alpes du Sud, deuxième destination française de montagne avec 65 stations, n’y échappent pas. Pour sauver les 700 millions d’euros de recettes touristiques de la saison d’hiver, tous les acteurs se mobilisent pour diversifier leur offre tout en investissant dans une exploitation toujours plus décarbonée des domaines skiables.

La station de Risoul, dans les Hautes-Alpes, développe son domaine skiable à partir de 1 850 mètres d’altitude — Photo : Manumolle.com

L’hiver 2020/2021, marqué par la crise sanitaire et la fermeture des remontées mécaniques a montré la forte dépendance des stations des Alpes du Sud au ski alpin. Les entreprises touristiques de la deuxième destination française de montagne (65 stations) ont accusé une baisse de 70 % de chiffre d’affaires et une baisse de fréquentation de 60 % au cours de l’hiver 2020.

Cette saison hors-norme a aussi accéléré la remise en question du modèle, opérant un changement vers un modèle plus diversifié et plus durable, encouragé par le gouvernement, qui a dévoilé au printemps 2021 son plan Avenir Montagne, soit 650 millions d’euros de soutien public générant, selon les chiffres avancés par Matignon, 1,8 milliard d’euros d’investissement dans les territoires. L’ambition du gouvernement est de créer un modèle économique sortant du "tout ski", en soutenant les initiatives de diversification de l’offre et de la clientèle, et en accélérant la transition écologique et la rénovation immobilière des stations de montagne françaises. Dans la foulée, la Région Paca annonçait un doublement de son plan montagne, soit une enveloppe de 200 millions d’euros de crédits régionaux et européens, dont les contours, attendus par les acteurs de la montagne, ont été dévoilés le 18 décembre 2021.

La fin du tout ski

Avec le changement climatique, les professionnels du tourisme s’interrogent sur la fiabilité de l’enneigement naturel ou de culture dans les stations alpines. Partant du postulat que la rentabilité d’une station de sports d’hiver est assurée si son ouverture est supérieure à 100 jours par an, une étude du GREC Paca (groupement régional des experts du climat), publiée en avril 2019, a démontré que cette neige n’est pas toujours garantie dans les Alpes du Sud. "Avec une augmentation possible de +4 °C si de sévères mesures d’atténuation de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale ne sont pas rapidement mises en œuvre, le taux d’enneigement fiable serait de seulement 30 % dans les Hautes-Alpes et 10 % dans les Alpes-de-Haute-Provence. Seules quelques stations, comme Montgenèvre, Risoul ou Les Orres, grâce à leur altitude et/ou l’orientation de leurs pistes, seraient en mesure de maintenir une offre touristique durable principalement axée sur la pratique du ski alpin, avec toutefois des années de pénurie et un enneigement capricieux selon les années et les périodes hivernales", souligne l’étude.

Alors que le tourisme est devenu la colonne vertébrale économique des Alpes du Sud et que le ski peut représenter jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires d’une station, comme celle de Serre Chevalier, l’enjeu est de consolider les modèles socio-économiques de ces territoires et "ne rien faire, n’est plus une option", selon les experts du climat.

La menace du réchauffement climatique à échéance du milieu ou de la fin du siècle pèse sur 15 000 emplois et 700 millions d’euros de retombées touristiques dans les Alpes du Sud, qui couvrent les Alpes-Maritimes, les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence. Parmi ces entreprises tributaires d’un hiver enneigé, l’opérateur touristique marseillais Villages Clubs du Soleil (650 équivalents temps plein, CA 2019 : 72 M€), dont les établissements de montagne (11 sur un total de 17) représentent 75 % du chiffre d’affaires : "La société est très dépendante des séjours montagne et dans ces séjours, nous sommes également très dépendants de la neige. Nos clients viennent pour skier, et dans nos tarifs tout est inclus. Alors bien sûr le réchauffement climatique nous inquiète", confie Armelle Cizeron, directrice production et développement durable, qui ajoute par ailleurs "qu’un établissement ouvert en montagne pendant les deux saisons peut ouvrir près de huit mois sur douze, offrant un moyen de fidéliser les saisonniers et de jouer un rôle social sur des territoires parfois difficiles."

Depuis plusieurs années, les stations de montagne se transforment donc, en tentant à la fois de contrer les effets du changement climatique et de s’adapter au changement climatique. À l’image de Serre Chevalier Vallée Domaine Skiable, qui représente plus d’un million de journées skieurs par hiver. Son directeur général, Patrick Arnaud, optimiste, en est convaincu : "en nous adaptant, nous pourrons faire du ski pendant encore longtemps. Nos convictions pour la montagne de demain sont les mêmes qu’avant la crise sanitaire, elles en sortent simplement renforcées."

Objectif neutralité carbone

Depuis 25 ans déjà, les professionnels ont réduit leur vulnérabilité aux aléas climatiques : neige de culture (29 % des pistes couvertes en France), damage, travaux d’aménagement des pistes ont permis de diviser par trois l’exposition des stations à ces aléas. "L’activité ski, ainsi préservée, l’urgence se situe ailleurs, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de rester dans les scénarios les moins impactant à long terme", selon l’Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM). À Serre Chevalier, Patrick Arnaud, considère que vouloir offrir des pistes toujours plus larges, toujours plus damées, avec des remontées toujours plus puissantes n’a plus de sens.

Les domaines skiables réunis au sein de DSF (Domaines skiables de France) ont l’ambition d’être la première branche professionnelle en France (250 adhérents) à engager tous leurs membres dans sa transition écologique et affichent un objectif ambitieux de neutralité carbone des domaines à l’horizon 2037, grâce à une feuille de route composée de 16 éco-engagements, avec des mesures concrètes comme le lancement d’un projet de dameuse hydrogène (95 % des émissions de GES des domaines skiables sont liées à l’usage des engins de damage, fonctionnant au gasoil, NDLR), une utilisation raisonnée des remontées mécaniques, la réalisation d’économies en eau. "Un engagement collectif pour préserver notre économie et l’inscrire dans une stratégie d’avenir", selon Gérard Bracali, président "Alpes du Sud" de Domaines skiables de France et directeur du domaine skiable du Val d’Allos dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Aux Orres, cet engagement n’a pas été remis en cause par la saison blanche 2020-2021, la station ayant investi près de 11 millions d’euros dans un nouveau télésiège débrayable six places, deux tapis roulants à couverture photovoltaïque et un front de neige restructuré à 1 800 mètres. "Ces investissements, indispensables pour maintenir la vie dans la station et les 80 millions d’euros de retombées économiques dans la vallée, nous permettront de baisser de 28 % la consommation énergétique des remontées mécaniques du pôle 1800", se félicite Pierre Vollaire, président de la Semlore (société d’économie mixte locale des Orres).

Sachant que lors d’un séjour au ski, 57 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent du transport jusqu’à la station et 27 % des bâtiments résidentiels et tertiaires, la Région Sud a par ailleurs développé son offre de transport en commun et des stations, comme celle des Orres, travaillent avec Atout France pour ramener 500 lits chauds dans le circuit, préservant ainsi son modèle économique, dont la viabilité est assurée avec "9 000 lits chauds." Les hôteliers aussi s’y mettent. L’opérateur hôtelier "pure player montagne" MMV, basé à Saint-Laurent-du-Var, près de Nice, dont le développement est concentré à 80 % dans les stations d’altitude (plus de 1 600 mètres), réalise des investissements sur le long terme avec l’ambition de réaliser 80 millions d’euros de chiffre d’affaires à cinq ans (66 M€ en 2019, NDLR). "De fait, nous accélérons sur la question à la fois de la construction et de l’exploitation. Nous avons refait l’isolation d’un bâtiment à La Plagne ou réalisé une résidence en modules bois en Maurienne et nous étudions, pour tous nos projets, à l’image de celui de Risoul, pour 2023, comment arriver à des bâtiments passifs pour avoir le plus faible impact carbone", explique Bryce Arnaud-Battandier, directeur général de MMV.

L’attrait des énergies renouvelables

La montagne offre aussi un terrain de jeu exceptionnel aux énergies renouvelables, non seulement plus propres, mais aussi rémunératrices pour les communes. La commune de Risoul l’a bien compris et a ouvert la voie en réalisant la première centrale solaire française produisant de l’électricité autoconsommée sur les remontées mécaniques en 2017. "En dehors des périodes d’ouverture du domaine skiable, cette installation permet d’effacer les charges en matière de consommation électrique qui demeurent." Désormais, le directeur de la société de gestion des activités touristiques de Risoul, Christian André, prépare le deuxième étage de la fusée, "la première centrale solaire d’Europe située en haute montagne, à 2 200 mètres d’altitude. Ce projet démarré en 2018, a été confié à l’opérateur anglo-saxon RES, qui n’attend plus que l’autorisation de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, pour démarrer le chantier, qui avoisine les 20 millions d’euros. "Un investissement très rentable puisqu’il pourrait générer 200 000 euros de revenus pour la municipalité et la production de la centrale couvrirait la consommation du domaine skiable et des remontées, la production de neige de culture et les besoins de la commune, réduisant les émissions de CO2 de 500 à 1 000 tonnes par an." Des projets hydroélectriques sont également en cours de développement, à Risoul, comme à Serre Chevalier, cette dernière prévoit la mise en service d’une première turbine hydroélectrique sur conduite de neige de culture au printemps 2022. Un pas de plus pour ce domaine qui s’est fixé, dès 2016, l’objectif de réduire son empreinte carbone de 50 % d’ici 2030 et d’atteindre les 30 % d’autoproduction d’ici 2023.

Une offre 4 saisons

Le maintien de l’économie touristique passe aussi par une diversification de l’offre avec le développement d’activités quatre saisons. La randonnée, la pratique du VTT, les descentes en tyrolienne, l’escalade en via ferrata, voir la spéléologie dans certains sites, peuvent permettre de bâtir cet "autre modèle" de développement, vers lequel le gouvernement veut accompagner les stations les plus impactées par le réchauffement. Pour Gérard Bracali, "un modèle économique avec des remontées est possible. À nous de nous positionner en proposant de nouvelles activités, qui permettront le maintien de la vie dans nos territoires."

Sur ce volet, la fermeture des remontées mécaniques sur la saison 2020-2021 a eu un effet positif : selon une enquête menée par l’ANMSM, Atout France et G2A Consulting, 76 % des personnes venues en stations malgré la fermeture des remontées mécaniques annoncent qu’elles continueront à pratiquer, en complément du ski alpin, des nouvelles activités découvertes. "La crise sanitaire nous a propulsés dans une saison d’hiver sans remontées mécaniques et a démontré que nous étions capables de réaliser une saison sans ski. Cette réflexion nous pousse à intégrer d’autres formes de loisirs, à diversifier notre offre, à l’image d’un futur parc de loisirs, qui sera ouvert neuf mois de l’année", confirme Christian André, de la station risouline. Dans une autre vallée, Les Orres se positionnent comme station pilote de la montagne de demain avec un projet de station expérientielle, qui devrait voir le jour en 2023, moyennant un investissement de 12 millions d’euros. Au programme, "un Futuroscope de la montagne" doté de simulateurs et de dispositifs de réalité augmentée pour permettre à tous de tester les activités de plein air, un pôle sport et innovation pour favoriser l’apprentissage, mais aussi la performance des sportifs de haut niveau. Son maire Pierre Vollaire, espère accueillir entre 60 000 et 100 000 visiteurs et sportifs par an sur ces deux équipements.

"Même dans le pire des scénarios liés à l’absence de neige, ce ne sera jamais la fin de l’activité touristique. Il faudra sans doute un jour revoir le modèle, varier encore plus les activités mais Valberg maintiendra une activité touristique", affirme Marie Baehr, chargée de mission développement durable à Valberg, seule station des Alpes du Sud labellisée Flocon Vert depuis 2018. Ce processus de labellisation, porteur de reconnaissance nationale et internationale, "permet de montrer les efforts réalisés en matière de développement durable", ajoute Denis Zanon, directeur de l’office de tourisme métropolitain Nice Côte d’Azur, qui espère décrocher l’index GDS, Global Destination Sustainability Index, en 2022, qui référence et classe les destinations en fonction de ce qu’elles sont en matière de développement durable.

"Après avoir connu une première évolution, subie et vécue comme un choc pétrolier que personne n’avait anticipé, avec la neige de culture devenue indispensable dans les années 1989 à 1991", selon Christian André, les acteurs de la montagne anticipent désormais le changement climatique et François de Canson, président du Comité régional de tourisme Paca en est persuadé : "Nous ne pouvons interrompre l’activité ski du jour au lendemain. Tout l’enjeu est de poursuivre et transformer le modèle pour préserver l’économie et les emplois blancs." Et de conclure : "Il faut faire confiance à nos scientifiques qui accompagnent à coups d’innovation cette transformation et pourquoi pas rêver que dans quelques années nous puissions produire de la neige décarbonée, même avec 10 degrés."

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