Disrupter. Le mot est à la mode et est forcément galvaudé, mais il colle bien aux Agences de Papa. Le néologisme, qui ne figure pas (encore) dans le dictionnaire, signifie perturber, apporter un changement radical. C’est précisément ce qu’ont fait Nicolas Fratini et Frédéric Ibanez en lançant leur agence immobilière 100 % digitale fin 2019 à Nice, avec la promesse de frais fixes de 2 000 euros, quel que soit le montant du bien vendu, quand la commission est généralement comprise entre 3 à 10 % du bien. Pour se permettre cette offre, les deux Papas qui s’étaient rencontrés à la sortie de l’école de leurs enfants, ont entièrement digitalisé le processus de vente. Le gain de temps, pour les vendeurs comme pour les acquéreurs, se traduit par une baisse des coûts.
Rapidement, se sont enchaînés des levées de fonds (1,5 million d’euros en 2020, 6,5 millions d’euros en 2021) et une entrée en Bourse (en mai 2021) sur le marché Euronext Access + Paris. Les fondateurs conservent plus de 40 % du capital aux côtés d’investisseurs qui sont aussi des chefs d’entreprise bien connus sur le territoire azuréen : Pierre Ippolito (directeur général du groupe Ippolito, président de l’UPE06), Anny Courtade (présidente de Lecasud) ou encore Philippe Journo (président fondateur de la Compagnie de Phalsbourg).
Dès leur lancement, les Agences de Papa sont ainsi restées pied au plancher, employant aujourd’hui une centaine de collaborateurs et revendiquant plus de 10 000 mandats partout en France. Le chiffre d’affaires s’élève en 2021 à 301 032 euros contre 28 750 euros l’année précédente et devrait atteindre 1,5 million d’euros cette année.
Pour gagner rapidement en notoriété, elles se sont notamment adjointes les services et le capital sympathie du champion de judo Teddy Riner (devenu actionnaire) pour ses spots télévisés. Ses investissements publicitaires ont atteint 5,3 millions d’euros en 2021.
Disrupter encore et toujours donc, avec cette fois une entrée remarquée dans le Web 3.0 et le métavers. Non pas en s’y implantant ou en achetant un emplacement, mais en créant de toutes pièces le premier métavers dédié à l’immobilier. Baptisé Versity, il doit être opérationnel en 2023.
Un marché de 800 milliards de dollars en 2024
Le métavers est un univers virtuel collectif déjà incontournable selon certains qui y ont investi : Coca-Cola y a lancé une nouvelle boisson, Gucci a emménagé dans The Sandbox, Carrefour y a fait passer des entretiens d’embauche et France Télévisions a installé l'"Espace social immersif" de son émission Stade 2. Selon Bloomberg Intelligence, le marché annuel du métavers pourrait peser 800 milliards de dollars dès 2024. Le cabinet de conseil américain Gartner assure quant à lui que, d’ici 2026, un quart des internautes dans le monde passeront au moins une heure par jour dans le métavers pour leur travail, leur shopping, leur éducation, leurs interactions sociales ou leurs divertissements. Et donc bientôt aussi pour acheter leur appartement.
Dans quelques mois en effet, Versity viendra s’ajouter aux métavers existants que sont Decentraland, Roblox ou The Sandbox. "Pour rester leader dans l’immobilier digital, il faut concentrer nos investissements dans le Web 3 maintenant, demain ce sera trop tard, assure Frédéric Ibanez. Comme on est passés du minitel à internet, aujourd’hui on passe d’internet au métavers. Nous sommes positionnés."
Gagner du temps pour baisser les coûts
Contrairement aux autres métavers souvent issus de gaming (jeu vidéo), Versity est un miroir du monde réel dont la première vocation est de faciliter les transactions immobilières, non seulement pour les Agences de Papa mais aussi pour tous les professionnels qui voudront en être clients. Quartiers, rues, appartements, maisons, de la cuisine au salon, à Nice, Paris, Nantes ou Lyon, seront ainsi modélisés pour être visités, depuis chez soi. "Si une grande surface veut s’implanter dans un secteur, il faudra d’abord qu’elle le soit dans le monde réel. Il faut vraiment une reproduction fidèle du monde réel. C’est tout ce qui fait la solidité du projet, on ne part pas dans tous les sens. Dans l’avenir, on pourra se balader via ses lunettes 3D, faire ses courses, passer à la pharmacie et payer son panier en ligne… C’est ce vers quoi nous tendrons. Il faut entrer dans le métavers et en ressortir avec un vrai produit."
Pour les fondateurs, Versity est ainsi là pour répondre ainsi à un besoin métier. "Chacun pourra visiter des appartements, mais de façon bien plus innovante que les visites 3D ou en réalité virtuelle qui existent déjà", assure Nicolas Fratini. Via son avatar, l’acquéreur pourra interagir en direct avec l’agent immobilier mais aussi par exemple avec un architecte d’intérieur, lui-même client de Versity, qui pourra proposer plan et devis en direct.
L’objectif est que tout le monde puisse proposer ses services, de l’artisan du coin qui peut intervenir pendant les travaux, aux magasins de matériaux, en passant par le notaire, l’assureur ou le banquier pour discuter du financement. Le tout sans se déplacer. "Ce projet n’est pas que pour nous, il est global, pour aider toutes les agences et les mandataires immobiliers, les acteurs de l’habitat et pour aider le consommateur à faire le meilleur choix, au meilleur moment. Les professionnels n’auront qu’une visite à effectuer en vrai, leurs frais seront ainsi réduits et leur client pourra mécaniquement en profiter. C’est la réponse à l’ensemble des problèmes que nous avons rencontrés jusqu’alors avec les Agences de Papa et auxquels les professionnels sont confrontés", explique Nicolas Fratini. "Dans notre métier, le plus chronophage est de récupérer le dossier des clients, reprend Frédéric Ibanez. Sur la blockchain, on retrouve tout : acte de propriété, diagnostics à jour… Tout est certifié, transparent, accessible, sécurisé." Les Agences de Papa ont ainsi servi de laboratoire à la création de Versity.
Un premier tour à 4,75 millions de dollars
Pour développer cette plateforme, elles se sont appuyées sur des développeurs blockchain ou des sociétés expertes dans la 3D en externe, en plus de leurs propres équipes. "Nous avons déjà un staff expérimenté en marketing, finance, informatique, des développeurs, un service commercial…. Nous avons déjà beaucoup dépensé pour en arriver là !" Une ICO va servir à financer la grosse majorité des frais dédiés à cette plateforme. Une ICO est une Initial Coin Offering, une offre initiale de jetons en français. Il s’agit d’une levée de fonds via laquelle une société émet des jetons ("tokens") auxquels les investisseurs souscrivent avec des cryptomonnaies. Ces jetons leur permettront d’accéder ensuite à des produits ou services de cette société. Les Agences de Papa comptent récolter 10 millions de dollars en cinq rounds. Le premier, fin juin, leur a déjà rapporté 4,75 millions de dollars. Parmi les investisseurs figurent le champion du monde de football Presnel Kipembé ou encore une société implantée aux Pays Bas.
Comme il existe le Bitcoin ou l’Ethereum, le Sity est la cryptomonnaie qui aura cours au sein de Versity et qui permettra à ses détenteurs d’acheter des Parsells. Il s’agit de terrain sous forme de NFT (Non fungible tokens), un fichier numérique auquel est attaché un certificat d’authenticité numérique. Dans Versity, ce Parsell désignera un code postal existant dans la vie réelle. Un investisseur pourra donc acheter (via une market place dédiée bientôt en ligne) le Parsell correspondant à sa maison (code postal 06 000 s’il habite à Nice par exemple) ou à tout autre lieu. "Un propriétaire recevra les revenus liés à tout ce qui se passe sur son code postal. Si un promoteur veut y construire un immeuble ou qu’un magasin veut s’y installer, il paiera un loyer, et nous prendrons une petite commission sur l’ensemble de ces échanges. C’est le premier NFT qui permet d’avoir de la rentabilité, c’est révolutionnaire", assurent les dirigeants.
Le métavers des Agences de Papa promet une immersion totale en 2023 en France avant de partir à la conquête du monde. Sur la porte d’entrée des bureaux de l’entreprise, l’ambition était clairement affichée depuis le départ avec un petit panneau où figure cette citation de Coluche : "Les portes de l’avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser".
