La Région Sud se rêve en leader de l'énergie hydrogène
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La Région Sud se rêve en leader de l'énergie hydrogène

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Longtemps considéré comme une énergie futuriste, l’hydrogène a désormais le vent en poupe, pour stocker l’électricité, alimenter des voitures, recycler du CO2 ou rendre les processus industriels plus propres. Acteurs institutionnels et économiques de la région Sud sont convaincus d’avoir tous les atouts pour devenir un leader mondial et investissent des millions d’euros pour soutenir l’émergence de cette nouvelle énergie.

Piicto, l’association d’industriels de la zone de Fos Caban Tonkin, travaille notamment sur la valorisation de l’hydrogène fatal généré par les industriels de la zone industrialo-portuaire. Parmi ces industriels, le chimiste Kem One produit 10 000 tonnes d’hydrogène fatal par an. — Photo : Didier Gazahnes - Le Journal des entreprises

Jupiter 1000, Piicto, HyGreen Provence, Hynovar : développés en région Sud, ces projets ont pour point commun une énergie verte prometteuse. Une énergie qui annonce « une révolution aussi importante que l’arrivée du solaire photovoltaïque et de l’éolien », selon les mots de Philippe Boucly, président de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (Afhypac). Cette énergie, c’est l’hydrogène, qui a fait l’objet d’un plan de déploiement au niveau français, présenté le 1er juin 2018 par Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition énergétique.

L'écologiste se disait alors convaincu que « l’hydrogène peut devenir l’un des piliers d’un modèle énergétique neutre en carbone. » Cette molécule est produite par électrolyse de l’eau. Lorsqu’il est produit à partir de ressources renouvelables, l’hydrogène permet, grâce à des piles à combustible, de fournir de l’électricité et de la chaleur faibles en CO2. Très polyvalent, il peut être transporté et stocké sous forme liquide ou gazeuse. « Il permet de stocker l’électricité, d’alimenter des voitures, de recycler du CO2, de rendre les processus industriels plus propres », ajoutait Nicolas Hulot en 2018.

Un tissu économique et industriel fort

Une conviction partagée par Renaud Muselier, président de la Région Sud Provence Alpes Côte d'Azur, qui a élaboré un Plan Climat, décliné en 100 mesures concrètes, dont certaines visent à développer l’hydrogène. Il assure que le territoire « dispose d’un tissu économique et industriel fort qui lui permettrait d’avoir une longueur d’avance par rapport aux autres régions. »

La région Paca dispose d’atouts non négligeables, selon Stéphanie Le Maître, ingénieur énergie à la direction régionale de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) Paca : « La zone industrielle de Fos-sur-Mer abrite une production d’hydrogène à usage industriel, dont une part n’est aujourd’hui pas utilisée. Nous avons par ailleurs identifié à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) des capacités de stockage (cavités salines) uniques en France. La proximité de la mer et de la montagne nous permet d’envisager des applications variées et adaptées à tous les modes de transport. Enfin, nous avons un réseau d’acteurs sensibilisés à l’hydrogène qui sont prêts à démarrer et sont notamment réunis au sein du Club H2 Sud, piloté par le pôle de compétitivité Capenergies et qui compte déjà plus de 150 acteurs. »

Pour capitaliser sur ces avantages et conforter ces ambitions régionales, Capenergies a déjà soutenu, depuis 2015, le développement et le financement de plus de 25 projets. « Ils traitent de R & D ou de solutions de déploiement et ont réuni 36 millions d'euros de budget. Une quinzaine de projets supplémentaires sont en émergence », ajoute Flavien Pasquet, directeur de projet au sein du pôle de compétitivité Capenergies. La Région Sud a également débloqué une enveloppe de 5 millions d’euros pour animer la filière ou soutenir des projets locaux. Au niveau national enfin, l’Ademe se mobilise : un premier appel à projets, « Territoires d’hydrogène », a permis de sélectionner onze projets au niveau national, pour un potentiel d’investissement global de 475 millions d’euros. Plus de 90 millions d’euros de financement public ont été injectés en 2019 et de nouvelles actions sont en cours pour permettre à l’écosystème français de se structurer davantage et de se positionner sur les marchés d’avenir que sont la production et la distribution d’hydrogène, tant pour l’industrie que la mobilité.

L’épineuse question du financement

Ces soutiens financiers sont indispensables sur un marché en devenir, basé sur une technologie, certes mature, mais dont les coûts restent importants. « L’investissement pour un bus diesel est compris entre 200 000 et 250 000 euros ; un bus roulant au gaz coûte 275 000 euros, un bus électrique 400 000 euros et un bus roulant à l’hydrogène revient entre 600 000 euros et 700 000 euros. C’est là toute la difficulté du modèle économique de l’hydrogène. Néanmoins, la massification fera la compétitivité de cette nouvelle forme d’énergie », souligne Erick Mascaro, élu à la CCI du Var et directeur territorial Var chez GRDF.

En attendant, certaines start-up, comme la cannoise Hyseas Energy, positionnée sur le créneau de la pile à combustible, ne cache pas ses difficultés à se financer. Son dirigeant Arnaud Vasquez ne nourrit pas d’inquiétude quant au marché, mais en a concernant les ressources financières nécessaires au développement des technologies. Il déplore que « les financeurs de technologies innovantes veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils nous veulent proches du marché, et en même temps que nous ayons les plus hautes barrières à l’entrée possibles, c’est-à-dire que nous soyons les seuls à faire notre développement. » Hyseas Energy est pourtant partie prenante d’Hynovar, le premier projet lauréat en région Sud de l’appel à projets de l’Ademe, porté par un consortium public-privé de cinq partenaires (CCI du Var, Hyseas Energy, Cofely, les Bateliers de la Côte d’Azur et le Circuit Paul Ricard).

« Hynovar est doté d’une enveloppe de 6,49 millions d’euros et est ainsi le deuxième plus gros projet national à avoir été contractualisé : 1,3 million d’euros va au volet production d’hydrogène, 352 000 euros sont affectés à la distribution, 2,55 millions d’euros vont aux usages terrestres et 2,24 millions d’euros aux usages maritimes. Le budget global est engagé et les fonds seront débloqués par gros paquets d’investissement à chaque étape clé du développement du projet », détaille Stéphanie Le Maître.

Une mobilité plus propre sur terre et en mer

Ce projet, dont l’originalité est de faire le lien entre terre et mer, a été lancé en 2017 par la CCI du Var avec la volonté que « le Var prenne une place de leader méritée », avait souligné Jacques Bianchi, président de la chambre de commerce varoise. Sa première concrétisation majeure est intervenue en juin 2018 avec l’inauguration, l’avant-veille du départ du Grand Prix de France de Formule 1, d’une première unité de distribution d’hydrogène "vert" sur le Circuit Paul Ricard. Cette station installée par Engie Cofely et son prestataire Atawey dispose d’une capacité de ravitaillement de trois à cinq véhicules légers.

Le 21 juin 2018, les partenaires et soutiens du projet Hynovar inauguraient la première unité de distribution d'hydrogène "vert" sur le circuit automobile varois Paul Ricard. — Photo : CCI du Var

Dans un second temps, en 2021, une station dix fois plus importante, pour des transports terrestres et maritimes, doit voir le jour au Port de Brégaillon, à La Seyne-sur-Mer (Var). Son premier client serait la compagnie des Bateliers de la Côte d’Azur, qui opère des navettes maritimes en rade de Toulon. Ses dirigeants, les frères Yves et Christophe Arnal, avaient à cœur de « développer une solution alternative aux énergies fossiles, pour des raisons écologiques, pour faire face aux réglementations de plus en plus dures sur les émissions de gaz à effet de serre et pour ne plus être dépendants des fluctuations du prix des carburants. » Cette navette propre fonctionnant à l’hydrogène est développée avec le concours de la start-up Hyseas Energy. « Son coût global est de 5,2 millions d’euros. Nous en sommes à près de 300 000 euros investis sur fonds propres et d’autres investissements suivront quand la partie contractuelle avec l’Ademe sera sécurisée, détaille Arnaud Vasquez. Et nous ne nous arrêtons pas à la réalisation d’un démonstrateur, car nous avons une véritable vision industrielle et voulons démontrer que l’activité zéro émission est rentable et pérenne », ajoute le dirigeant cannois.

Pour faire vivre la future station de Brégaillon, deux autres champs d’application sont dans les tuyaux : la métropole toulonnaise s’est engagée en termes de transport urbain et pourrait faire circuler jusqu’à sept bus à l’hydrogène. Elle étudie aussi la possibilité d’adopter cette énergie propre pour ses navettes maritimes régulières. « Hynovar mutera prochainement en entreprise pour mener à bien le déploiement de stations. Et nous envisageons de travailler plus globalement sur la station d’avenir, une station qui proposerait de l’hydrogène, mais aussi du gaz naturel pour véhicules (GNV) et de l’électrique pour optimiser la partie foncière », explique Erick Mascaro.

Hynovar apportera ainsi sa pierre à l’édifice du volet mobilité du plan hydrogène présenté en 2018, dont l’objectif est de compter 100 stations, 5 000 véhicules utilitaires légers, 200 véhicules lourds d’ici 2023. « Toutefois, l’idée n’est pas de déployer des stations à hydrogène partout mais plutôt de favoriser le déploiement d’un mix énergétique », confirme Stéphanie Le Maître.

L’hydrogène comme outil de mutation industrielle

À Marseille aussi, l’hydrogène est sur toutes les lèvres, en particulier sur le port, où il est question de stockage avec Jupiter 1000. Premier démonstrateur "Power-to-Gas" en France mené par GRTgaz, il consiste à convertir et stocker sous forme d’hydrogène l’électricité produite par des filières renouvelables et a une capacité de production de cinq millions de kilowattheures d’énergie sur trois ans. Le 20 février, GRTgaz a injecté avec succès les premières molécules d’hydrogène dans son réseau.

Mais le port phocéen abrite un autre potentiel, qui permet de favoriser l'émergence d'une filière de production décarbonée en remplaçant les procédés polluants par l'électrolyse de l'eau. Pour le président du Conseil régional Renaud Muselier, « le Grand port maritime de Marseille est même une force incroyable pour accélérer cette filière de manière industrielle, notamment grâce à la zone de Fos-sur-Mer, qui dispose de plus de 7 000 tonnes d’hydrogène fatal (rejeté par l’industrie pétrochimique, NDLR). »

Beaucoup d’industriels utilisent et produisent de l’hydrogène. Il s’agit actuellement d’hydrogène "gris" (produit à partir d’hydrocarbures), et l’ambition est de basculer vers un hydrogène "vert". Kem One, entreprise de la filière vinylique, réalise déjà et utilise pour son processus de production de l’hydrogène à bas carbone à partir de l’électricité issue du réseau. « Il existe plusieurs milliers de tonnes d’hydrogène non utilisées chaque année. Nous sommes en train de réfléchir à une véritable utilisation de ces volumes », décrit Flavien Pasquet, de Capenergies. Une des destinations est actuellement à l’étude et a très récemment reçu le soutien de l’Ademe : HyAMMED (Hydrogène à Aix-Marseille pour une mobilité écologique et durable) prévoit la mise en exploitation d’une flotte de camions et bus à hydrogène dans le Sud-Est de la France.

>> Cette enquête a été publiée dans Le Journal des Entreprises n°392, édition Région Sud, avril 2020.

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